Fatou CisséMaurice GenevoixChapitre IV (extrait)A peu de temps de là, vers l'heure où la mer découvre, Cissé descendit à la côte.
Publié le 22/05/2020
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Maurice Genevoix
Chapitre IV (extrait)
A peu de temps de là, vers l'heure où la mer découvre, Cissé descendit à la côte.
C'était
jour de grande marée : tout le village était dans les roches basses.
Khéba lui-même y
était descendu.
Depuis quelques semaines il changeait, plus manifestement depuis le
départ de Luc ; comme si l'absence de l'enfant et la solitude de Cissé l'eussent incliné à
un retour sur soi où tant de honte l'avait roulé que sa force et sa dignité d'homme s'en
étaient vues enfin aiguillonnées.
Il soupirait beaucoup encore, à la façon d'un artisan
qui oblige ses mains au labeur ; mais il riait de l'ancien Khéba, “ l'homme de la natte, à
la panse étalée, disait-il avec mépris, qui se serait au temps des pluies laissé manger vif
par les crabes plutôt que de remuer un doigt ”.
Il y avait aussi autre chose : un événement dont il avait été le héros, où il avait trouvé
tant de joie et de fierté ensemble qu'il en avait du coup dépouillé le vieil homme,
comme le serpent sort de sa peau.
Cela s'était passé le jour même où Niagaré avait parlé
pour l'épouvante de Cissé.
En vérité presque à la même heure, comme si le rêve qui
avait visité la voyante, en hâtant le drame pressenti, lui eût prêté plus de force magique
aux yeux de ceux qu'il atteignait.
Car il n'avait été, en lui-même, que banal, aussi banal que la morsure de murène dont le
vieux Francis était mort, mais que personne n'avait prédite.
Alors que Khéba et l'enfant
revenaient de leur promenade, une couleuvre de manguier, un dendraspis cracheur
s'était laissé glisser d'une branche : Luc l'avait presque touché du front.
Khéba,
heureusement, l'avait vu.
Il s'était jeté en avant avec une promptitude merveilleuse,
couvrant l'enfant de son gros corps, et de ses bras pliés protégeant sa propre face.
Au
même instant, la couleuvre crachait.
Alors seulement Luc s'était rendu compte.
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