explication muse vénale
Publié le 08/05/2024
Extrait du document
«
Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal / Parcours : alchimie poétique : la boue et l'or
LA MUSE1 VÉNALE2
1
Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu quand Janvier3 lâchera ses Borées4,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison5 pour chauffer tes deux pieds violets ?
5
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées6
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
10 Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir7,
Chanter des Te Deum8 auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque9 à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
Explication linéaire n°14 : VIII « La Muse vénale », partie « Spleen et Idéal », Les Fleurs
du mal, 1857
Félix Nadar (1820 - 1910), Charles Baudelaire au fauteuil,
Vers 1855.
Épreuve sur papier salé d'après un négatif sur
verre au collodion.
H.
21,2 ; L.
16,4 cm.
Nadar, grand portraitiste des années 1850 et de la bohême
parisienne, photographie le poète Charles Baudelaire entre
1855 et 1858 au cours de trois séances de pose, au moins.
1
Une des neuf déesses grecques qui présidaient aux arts libéraux (avec majuscule).
Mais dans le texte, mot écrit sans majuscules, femme inspiratrice du poète, maîtresse.
Qui se vend, qui est intéressé.
« Femmes vénales » désignent les prostituées.
3
Janvier est personnifié comme le montre la majuscule.
En effet ce mois a pour origine le dieu romain Janus.
Il est bifrons (« à deux visages ») et représenté avec une face tournée vers le passé,
l'autre sur l'avenir.
4
Vents du nord, eux aussi personnifiés.
5
Un bout de bois en partie consumée.
6
De couleur azur, bleu intense
7
Vase suspendu pour brûler l’encens pendant les cérémonies à l’église.
8
Chant religieux catholique de louange et d'action de grâces.
9
Acrobate, artiste qui fait des pirouettes pour amuser.
2
1
Étapes de
l’introduction
Accroche
Lecture du texte
« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » écrit Baudelaire dans le projet inachevé de son épilogue pour l’édition de 1861 des Fleurs du
mal.
Quatre ans auparavant, en 1857, Baudelaire avait publié ce recueil d’une centaine de poèmes qui fit scandale et fut l’objet d’un célèbre
procès.
Naissance : 1821, à Paris.
Mort : 1867, à Paris
Charles BAUDELAIRE est un auteur majeur du XIXe siècle.
Il développe en poésie un style personnel, tantôt inspiré du Romantisme récent,
tantôt versant dans le Symbolisme naissant.
Inclassable, il marque la littérature du XIXe siècle par son recueil de poèmes Les Fleurs du mal,
publié en 1857.
Ce recueil, dont le titre contient déjà un oxymore (« fleurs » opposé à « mal ») a une première partie intitulée Spleen et Idéal, dont le titre,
également oxymorique, pointe les deux « postulations simultanées » (expression de BAUDELAIRE, signifiant : deux tendances à la fois) :
1) le Spleen* (voir note), qui est la dépression, la chute, le péché, la misérable condition de l'homme sur terre, exprimée par des images
d'écrasement, d'étouffement, de stagnation, de boue, d'horizontalité…
2) et l'Idéal, qui est l'envol de l'esprit vers les valeurs supérieures (le beau, le bon, le vrai) transcrit par des images d'envol, de liberté, de
verticalité, d'ascension, de pureté comme celle du cristal ou de l'or.
« La Muse Vénale » est un sonnet (forme de poème fixe composé de deux quatrains et de deux tercets).
Il suit immédiatement un autre
sonnet intitulé « La Muse malade » qui lui fait pendant et abordant les mêmes thèmes : le poète en proie aux cauchemars, à des images
funestes, à la vie cruelle.
En mettant le ton et en s’entraînant !
Mouvement du
texte
Projet de lecture
Mouvement 1 (vers 1 à 8) : le poète s’adresse à la femme qui partage sa vie
Mouvement 2 (vers 9 à la fin) : suggestions du poète pour remédier à la misère
Montrer comment le poète donne une vision désenchantée de son art ?
Auteur
Caractérisation
du texte
Note explicative : qu'est-ce que le « spleen » ?
Le mot « Spleen » apparaît pour la première fois au 18e S, orthographié « spline », dans une lettre de Diderot à Sophie VOLANT datée du 28 oct.1860 : il dit avoir le « spline » ou « vapeurs
anglaises », une sorte d'état dépressif composé à la fois d'ennui et de dégoût.
Origine du mot ?
En Anglais, le mot « spleen » signifie « la rate » (l'organe) et correspond à une croyance médicale des siècles précédents, la « théorie des humeurs », selon laquelle certains organes du corps
ont le pouvoir de sécréter une substance spécifique (une sorte d'hormone…), appelée « humeur », qui était censée déterminer notre état psychologique (notre « humeur »).
Ainsi, le foie
produisait de la bile et l'on se « faisait de la bile ».
La rate, elle, produisait une humeur responsable de la mélancolie… (ancien nom de la dépression ou du trouble bipolaire).
Ce mot prend une dimension philosophique avec BAUDELAIRE : dans les poèmes il correspond au mot « Ennui », en Français et avec une majuscule.
Attention, « ennui » est un terme très fort :
une tourmente de l'esprit, liée à l'angoisse existentielle.
Ce n'est pas simplement le fait de s'ennuyer.
On peut le remplacer par : « tourment ».
C'est un état physique et psychologique pathologique (maladif), indissociable du vide et du tragique de la condition humaine, ce qui peut conduire jusqu'au délire et à la folie.
2
Texte
Mouvement 1 : le poète s’adresse à la femme qui
partage sa vie
LA MUSE VENALE
Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées
Explication
Le désenchantement est amorcé dès le titre : comme le titre du recueil (Les Fleurs du mal), « La Muse vénale » est un
titre antithétique car il associe deux termes opposés → la Muse : une des 9 divinités (filles de Zeus et de Mnémosyne
qui présidaient aux arts) et → « vénale » qui signifie « qui se vend », « qui est intéressée par l’argent » par ailleurs,
l’expression « filles vénales » désigne les prostituées.
Donc, Baudelaire semble prendre de la distance avec la
conception traditionnelle de la Muse : une divinité sacrée, inspiratrice et protectrice du poète.
Bassement attirée par
l’argent, sa muse est vulgaire.
Et on ne peut pas écarter la proximité sonore entre « vénale » et « vénérienne », sachant
les ravages de cette maladie dans l’univers interlope du 19ème siècle.
1er quatrain
- Le poète apostrophe de façon emphatique et familière la muse (pas de majuscule, il s’adresse donc à l’amante, à la
femme qui partage sa vie) / interjection lyrique « Ô » + GN avec déterminant possessif « muse de mon cœur » +
apposition « amante des palais » + alexandrin très équilibré 6 syllabes + césure + 6 syllabes et allitérations en [M/ La
muse est caractérisée par un terme a priori mélioratif « amante des palais » qui rappelle le haut lieu des Muses :
l’Olympe.
Mais le fait qu’elle soit « amante » de « palais » au pluriel, indique une femme « vénale », attachée aux
choses matérielles.
Ce 1er vers semble à 1ère vue se conformer à la tradition lyrique : un poète s’adresse à la muse afin
de solliciter son aide.
Mais dès le 2d hémistiche le poète montre sa déception.
- Dans les vers 2, 3, 4 le poète s’adresse familièrement / tutoiement / à la muse dont le sort matériel le préoccupe.
On
remarque le décalage entre une forme superficiellement poétique et élégante entre ces deux vers et la fin du quatrain :
périphrase + personnifications de l’hiver et des vents du nord « Janvier lâchera ses Borées », majuscules / adjectifs
antéposés (placés avant) le nom + allitérations en [N] + oxymore poétique « neigeuses soirées » / Ces 2 vers paraissent
de facture classique avec des références mythologiques et une écriture conventionnelle recourant à des images
connues du lecteur.
Janvier est également une figure double : il est le mois du dieu JANUS, divinité des transitions,
gardien des portes, une face tournée vers le passé et une vers le futur voir ici....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « La muse vénale ». Commentaire
- Explication linéaire Ma bohême Rimbaud
- Explication linéaire n°2 : Molière, Le Malade imaginaire, Acte III, scène 3
- explication linéaire Merleau ponty: Les champs perceptif donne une ubiquité spatiotemporelle a l’homme
- Explication linéaire Acte I Scène 3 Ruy Blas