explication de texte français - la bruyère: De la société et de la conversation
Publié le 22/04/2024
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«
1
De la société et de la conversation
I Un caractère bien fade est celui de n’en avoir aucun.
2 C’est le rôle d’un sot d’être importun : un homme habile sent s’il convient ou s’il ennuie ; il
sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part.
3 L’on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d’insectes.
Un bon
plaisant est une pièce rare ; à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d’en soutenir
longtemps le personnage ; il n’est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.
5 Si l’on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain de puéril dans les
entretiens ordinaires, l’on aurait honte de parler ou d’écouter, et l’on se condamnerait peut-être à un
silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles.
Il faut donc
s’accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les
vagues réflexions sur le gouvernement présent, ou sur l’intérêt des princes, le débit des beaux
sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes ; il faut laisser Aronce parler proverbe, et Mélinde
parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines et de ses insomnies.
7 Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore
moins.
Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : « Il fait
froid » ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : « Il pleut, il neige.
» Vous me
trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites : « Je vous trouve bon visage.
»
— Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair ; et d’ailleurs qui ne pourrait pas en dire
autant ? — Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler
comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables les diseurs de
phobus ; vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l’étonnement : une chose vous
manque, c’est l’esprit.
Ce n’est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir
plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de
vos grands mots qui ne signifient rien.
Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ;
je vous tire par votre habit, et vous dis à l’oreille : « Ne songez point à avoir de l’esprit, n’en ayez
point, c’est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l’ont ceux en qui vous ne
trouvez aucun esprit peut-être alors croira-t-on que vous en avez.
»
9 Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne
pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose.
On parle à la table
d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ;
il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette
cour, des femmes du pays, des ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont
arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater.
Quelqu’un se hasarde de le
contredire, et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies.
Arrias ne se trouble
point, prend feu au contraire contre l’interrupteur : « Je n’avance, lui dit-il, je raconte rien que je
ne sache d’original : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris
depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune
circonstance.
» Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée,
lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son
ambassade.
»
11 Etre infatué de soi, et s’être fortement persuadé qu’on a beaucoup d’esprit, est un accident qui
n’arrive guère qu’à celui qui n’en a point, ou qui en a peu.
Malheur pour lors à qui est exposé à
l’entretien d’un tel personnage ! combien de jolies phrases lui faudra-t-il essuyer ! combien de ces
mots aventuriers qui paraissent subitement, durent un temps, et que bientôt on ne revoit plus ! S’il
conte une nouvelle, c’est moins pour l’apprendre à ceux qui l’écoutent, que pour avoir le mérite de la
dire, et de la dire bien : elle devient un roman entre ses mains ; il fait penser les gens à sa manière, leur
met en la bouche ses petites façons de parler, et les fait toujours parler longtemps ; il tombe ensuite en
des parenthèses, qui peuvent passer pour épisodes, mais qui font oublier le gros de l’histoire, et à lui
qui vous parle, et à vous qui le supportez.
Que serait-ce de vous et de lui, si quelqu’un ne survenait
heureusement pour déranger le cercle, et faire oublier la narration ?
2
12 J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche ; le voilà
entré : il rit, il crie, il éclate ; on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre.
Il n’est pas moins redoutable
par les choses qu’il dit que par le ton dont il parle.
Il ne s’apaise, et il ne revient de ce grand fracas que
pour bredouiller des vanités et des sottises.
Il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux
bienséances, que chacun a son fait sans qu’il ait eu intention de le lui donner ; il n’est pas encore assis
qu’il a, à son insu, désobligé toute l’assemblée.
A-t-on servi, il se met le premier à table et dans la
première place ; les femmes sont à sa droite et à gauche.
Il mange, il boit, il conte, il plaisante, il
interrompt tout à la fois.
Il n’a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des conviés ; il abuse
de la folle déférence qu’on a pour lui.
Est-ce lui, est-ce Euthydème qui donne le repas ? Il rappelle à
soi toute l’autorité de la table ; et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu’à la lui
disputer.
Le vin et les viandes n’ajoutent rien à son caractère.
Si l’on joue, il gagne au jeu ; il veut
railler celui qui perd, et il l’offense ; les rieurs sont pour lui : il n’y a sorte de fatuités qu’on ne lui
passe.
Je cède enfin et je disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte, et ceux qui le
souffrent.
14 Il faut laisser parler cet inconnu que le hasard a placé auprès de vous dans une voiture
publique, à une fête ou à un spectacle ; et il ne vous coûtera bientôt pour le connaître que de l’avoir
écouté : vous saurez son nom, sa demeure, son pays, l’état de son bien, son emploi, celui de son père,
la famille dont est sa mère, sa parenté, ses alliances, les armes de sa maison ; vous comprendrez qu’il
est noble, qu’il a un château, de beaux meubles, des valets, et un carrosse.
16 L’esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu’à en faire trouver
aux autres ; celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit l’est de vous parfaitement.
Les hommes n’aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à être instruits et
même réjouis qu’à être goûtés et applaudis ; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui.
18 C’est une grande misère que de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler, ni assez de
jugement pour se taire.
Voilà le principe de toute impertinence.
19 Dire d’une chose modestement ou qu’elle est bonne ou qu’elle est mauvaise, et les raisons
pourquoi elle est telle, demande du bon sens et de l’expression : c’est une affaire.
Il est plus court de
prononcer d’un ton décisif, et qui emporte la preuve de ce qu’on avance, ou qu’elle est exécrable, ou
qu’elle est miraculeuse.
23 Il y a parler bien, parler aisément, parler juste, parler à propos.
C’est pécher contre ce dernier
genre que de s’étendre sur un repas magnifique que l’on vient de faire, devant des gens qui sont
réduits à épargner leur pain ; de dire merveilles de sa santé devant des infirmes ; d’entretenir de ses
richesses, de ses revenus et de ses ameublements un homme qui n’a ni rentes ni domicile ; en un mot,
de parler de....
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