Étude linéaire: Marivaux, Les fausses confidences : lecture linéaire N°3, Acte III, scène 12, depuis « Vous donner mon portrait ! » jusqu’à « …on doit lui pardonner lorsqu’il a réussi. »
Publié le 23/06/2024
Extrait du document
«
Marivaux, Les fausses confidences : lecture linéaire N°3, Acte III, scène 12,
depuis « Vous donner mon portrait ! » jusqu’à « …on doit lui pardonner
lorsqu’il a réussi.
»
A l’issue de l’acte II, dans lequel, à la scène 15, Dorante a été poussé par le
stratagème d’Araminte à lui avouer sa passion, on assiste, dans l’acte III, à la
dernière machination imaginée par Dubois.
Il s’agit d’une lettre que le valet
aura dictée à son maître et dans laquelle il avoue être amoureux d’Araminte.
Il
projette aussi de quitter la France et de partir avec son « ami » en Amérique
afin de guérir de son chagrin de n’avoir pu épouser celle qu’il aime.
Cette
nouvelle accentue la tension éprouvée par les personnages car nous sommes
proches du dénouement.
Tout le monde étant au fait de l’intrigue amoureuse,
Madame Argante brusque les événements, en particulier en insistant sur la
nécessité pour sa fille d’engager un nouvel intendant au nom de la
«bienséance » et aussi parce qu’elle sent que son projet, la réalisation de ses
ambitions sociales, va peut-être échouer face à Dorante.
Cette brusquerie se retournera finalement contre elle.
On en a un exemple
dans les premières scènes de l’acte III.
Monsieur Remy a été conduit à
prendre la défense de son neveu face à Madame Argante qui propose
toujours un autre intendant.
L’échange est comique, car M.
Remy ne s’en
laisse pas compter, arguant du fait que Dorante a été employé par Araminte et
non par elle, que raisonnablement, son intervention, pour ce qui est du choix
de l’intendant n’est pas légitime.
On voit la détestation entre les deux personnages.
Dorante est qualifié d’
« impertinent » et M.
Remy de « petit praticien ».
La hauteur, le mépris ont
quelque chose de comique, car ils sont le résultat de la vanité du personnage
qui veut s’élever au dessus de sa condition.
Petit retour sur la scène 15.
Araminte joue avec les sentiments de Dorante.
C’est un jeu de questionsréponses dans lequel Araminte a pour objectif de le « pousser à bout ».
Cette
scène offre l’occasion à Dorante de montrer la valeur de son amour, l’intensité
de sa passion.
On note qu’il se comporte en parfait honnête homme.
A la fois tendre, passionné, il ne veut divulguer le nom de l’aimée.
Il construit
par son discours une figure féminine idéale, renouvelant l’idéal courtois du
chevalier pour qui la Dame devient l’objet de tous les sentiments, de toutes
les émotions.
Araminte, est inatteignable : « On ne connaît rien de si beau ni
de si aimable qu’elle ! et jamais elle ne me parle ou ne me regarde, que mon
amour n’en augmente.
» ou plus haut : « Me réserve le ciel de concevoir la
plus légère espérance ! Être aimé, moi ! non, Madame.
Son état est bien audessus du mien.
»
Dorante connaît un amour absolu dont Araminte est l’objet.
C’est de manière détournée que Dorante avoue son amour, par le biais de ce
portrait enfermé dans sa boîte, et qu’Araminte lui découvre : « Ah ! Madame,
songez que j’aurais perdu mille fois la vie, avant d’avouer ce que le hasard
vous découvre.
» La didascalie indique alors la posture de Dorante, qui est
celle du chevalier face à sa Dame : « Il se jette à ses genoux », en signe de
totale soumission.
Il renouvellera ce geste à la scène 12 de l’acte III.
Acte III :
La question de l’intentant est débattue dans les premières scènes de l’acte III.
Araminte réapparaît à la scène 6.
L’échange est vif et Araminte joue sur les
mots, à quoi Madame Argante réplique : « point d’équivoque ».
À la scène 8, c’est Monsieur Remy qui prend de nouveau la défense de
Dorante, appuyant son discours sur la valeur des individus et non plus sur le
prestige social, ou la naissance, ce qui est une question qui traverse le théâtre
de Marivaux : « … car au reste, s’il était riche, le personnage en vaudrait bien
un autre ; il pourrait bien dire qu’il adore.
»
Sur une nouvelle proposition ayant trait à l’intendant, Araminte s’écrie :
« N’entendrai-je parler que d’intendant ? » et elle ajoute, au grand dam de sa
mère qui lui demande ce qui la « fâche » : « Tout ; on s’y est mal pris ; il y a
dans tout ceci des façons si désagréables, des moyens si offensants, que tout
m’en choque.
»
Madame Argante et le comte sont de mauvais stratèges.
Trop d’insistance a
nui à leur projet et en particulier à Madame Argante dont l’autorité, les
interventions brutales et peu aimables ont provoqué l’agacement de sa fille.
Scène 12 :
Scène 8, le contenu de la lettre est révélé à tous, scène 9, Dubois déconseille
à Araminte de recevoir Dorante, ce qui a pour effet la conséquence inverse.
Scène 11, Dorante est malheureux, il pleure à sa porte.
A la scène 12, ils se
retrouvent face à face en un duo où chaque personnage, « ému » comme
l’indique la didascalie va laisser parler son coeur.
Au début de la scène, Dorante se conduit comme si tout était perdu, et il
s’exprime « plaintivement », demandant à Araminte de ne rien « ajouter à (sa)
douleur ».
C’est un objet: le portrait que Dorante demande à Araminte, et c’est au détour
d’une phrase qu’Araminte comprend (« Surprise de l’amour ») qu’elle éprouve
un sentiment amoureux pour lui : « Songez-vous que ce serait avouer que je
vous aime ? ».
La subordonnée « que je vous aime » est cependant
dépendante d’un verbe au conditionnel.
Ce n’est qu’une éventualité, au fond.
Mais Dorante la conduit à se déclarer, malgré son amour propre (Ne pas
oublier leurs conditions sociales respectives).
Elle semble découvrir un aspect
inconnu d’elle-même : « Et voilà pourtant ce qui m’arrive ».
C’est un constat
inattendu.
Elle énonce à voix haute ce qui était enfoui au plus profond d’ellemême, à savoir ce désir de céder à l’amour, de laisser s’exprimer cet aveu
très inconvenant selon les critères de l’époque.
C’est un aveu spontané,
énoncé sans vraiment réfléchir.
la didascalie « d’un ton vif et naïf » souligne
que ces mots ont jailli sans qu’elle y prenne garde.
Sans que l’éducation ou ce
qu’elle se doit à elle-même intervienne.
Elle ne résiste plus.
La réaction de Dorante est celle d’un parfait honnête homme et rappelle,
comme nous l’avons vu plus haut, celle d’un chevalier qui fait allégeance à sa
dame.
La posture, de même que la tournure hyperbolique « Je me meurs »
donnent une dimension courtoise à la scène.
Araminte pour l’instant semble avoir perdu ses repères moraux, ceux qui ont
dicté sa conduite : « Je ne sais plus où je suis.
» Elle est troublée, stupéfaite
par ce qu’elle....
»
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