étude linéaire de la princesse de Clèves
Publié le 25/05/2022
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«
Texte 10
-Je veux vous parler encore avec la même sincérité que j’ai déjà commencée,
reprit-elle, et je vais passer par-dessus toute la retenue et toutes les délicatesses
que je devrais avoir dans une première conversation, mais je vous conjure de
m’écouter sans m’interrompre.
» Je crois devoir à votre attachement la faible
récompense de ne vous cacher aucun de mes sentiments, et de vous les laisser
voir tels qu’ils sont.
Ce sera apparemment la seule fois de ma vie que je me
donnerai la liberté de vous les faire paraître ; néanmoins je ne saurais vous
avouer, sans honte, que la certitude de n’être plus aimée de vous, comme je le
suis, me paraît un si horrible malheur, que, quand je n’aurais point des raisons
de devoir insurmontables, je doute si je pourrais me résoudre à m’exposer à ce
malheur.
Je sais que vous êtes libre, que je le suis, et que les choses sont d’une
sorte que le public n’aurait peut-être pas sujet de vous blâmer, ni moi non plus,
quand nous nous engagerions ensemble pour jamais.
Mais les hommes
conservent-ils de la passion dans ces engagements éternels ? Dois-je espérer un
miracle en ma faveur et puis-je me mettre en état de voir certainement finir
cette passion dont je ferais toute ma félicité ? Monsieur de Clèves était peut-être
l’unique homme du monde capable de conserver de l’amour dans le mariage.
Ma
destinée n’a pas voulu que j’aie pu profiter de ce bonheur ; peut-être aussi que
sa passion n’avait subsisté que parce qu’il n’en aurait pas trouvé en moi.
Mais je
n’aurais pas le même moyen de conserver la vôtre : je crois même que les
obstacles ont fait votre constance.
Vous en avez assez trouvé pour vous animer à
vaincre ; et mes actions involontaires, ou les choses que le hasard vous a
apprises, vous ont donné assez d’espérance pour ne vous pas rebuter.
-Ah !
Madame, reprit monsieur de Nemours, je ne saurais garder le silence que vous
m’imposez : vous me faites trop d’injustice, et vous me faites trop voir combien
vous êtes éloignée d’être prévenue en ma faveur.
-J’avoue, répondit-elle, que les
passions peuvent me conduire ; mais elles ne sauraient m’aveugler.
Rien ne me
peut empêcher de connaître que vous êtes né avec toutes les dispositions pour la
galanterie, et toutes les qualités qui sont propres à y donner des succès heureux.
Vous avez déjà eu plusieurs passions, vous en auriez encore ; je ne ferais plus
votre bonheur ; je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi.
J’en aurais une douleur mortelle, et je ne serais pas même assurée de n’avoir
point le malheur de la jalousie.
Je vous en ai trop dit pour vous cacher que vous
me l’avez fait connaître, et que je souffris de si cruelles peines le soir que la reine
me donna cette lettre de madame de Thémines, que l’on disait qui s’adressait à
vous, qu’il m’en est demeuré une idée qui me fait croire que c’est le plus grand
de tous les maux..
»
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