Être heureux est-ce ne rien désirer ?
Publié le 11/01/2021
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I. Oui, être heureux, c’est ne plus rien désirer.
Comme les désirs constituent de continuelles occasions d’éprouver des tensions douloureuses, mieux
vaut envisager d’écarter de tels désagréments.
On peut, en effet, ne plus désirer du tout, quand on a pu connaître la satisfaction de tous ses désirs.
Comme le montre Socrate devant Calliclès, une vie consacrée à la satisfaction effrénée de tous ses désirs, sans
limite et sans fin, correspond à une vie déréglée, comparable à ce châtiment infligé aux Danaïdes de remplir
éternellement des tonneaux percés… Mais si l’on tempère ses désirs, qu’on leur donne des limites et qu’on
les choisit, avec discernement, grâce à la raison, on peut, au terme de sa vie, s’apercevoir qu’on a su vivr e
avec sagesse et goûter des plaisirs qui n’ont pas nui, ni aux autres, ni à soi -même, et qu’on peut donc renoncer
définitivement à cette quête, parce qu’on en a joui "sobrement et suffisamment." C’est donc vertu d’un homme
sage, qui a eu l’occasion de r elativiser la place de ses désirs, dans une existence riche et pleine d’expériences.
Ce renoncement peut, au contraire, et beaucoup plus tôt se constituer comme la finalité première de
l’existence, dès qu’on s’aperçoit que le désir fait se répéter conti nûment la douleur de l’insatisfaction, dont on
grade la trace vivace et pénible, alors qu’on oublie aussitôt le plaisir qu’on a pu ressentir, dans le moment où
l’on a atteint l’objet de son désir et qui a été si fugace qu’on en a eu à peine la sensation… Par conséquent,
comme le préconise Schopenhauer, peut -être vaut -il mieux préférer ne rien désirer, puisque seules la douleur
et la privation nous laissent des impressions effectives et que nous sommes donc condamnés à souffrir sans
cesse.
En ce sens, Sch openhauer a -t-il été fortement influencé par le bouddhisme qui invite à se détacher de
toute quête de possession et de plaisir : « Dan s quel bonheur nous vivons, sans convoitise parmi ceux qui
convoitent ! Dans ce monde consumé par les passions, nous demeur ons guéris du désir » est -il écrit dans
Dhammapada.
Pour autant une telle ascèse est -elle envisageable, pour celui qui n’a pas l’intention de consacrer sa vie à
accéder à cet état d’"éveillé", qui correspond à une spiritualité exigeante et rigoureuse ? Cett e idée que notre
monde n’est qu’une illusion et qu’il n’offre que de vaines espérances, dont il faut absolument se défaire, pour
faire cesser les interminables réincarnations nécessaires, tant qu’on n’a pas réussi à se défaire de ses liens et à
se détacher de toutes choses, n’est pas forcément la voie qu’on est capable de prendre, quand on s’aperçoit de
la persistance des désirs en soi et qui rendent bien lointaine cette issue bienheureuse du Nirvana…
Alors la voie épicurienne peut sembler plus accessible , puisqu’elle consiste à classer les désirs et à
préférer ceux qui ne provoquent aucun trouble en soi.
Comme la cause de nos maux vient de l’insatisfaction
et qu’elle provoque le trouble, si l’on se contente de répondre aux désirs dont on trouvera facileme nt les objets
permettant leurs satisfactions, on évitera toute source de souffrance et on ne manquera pas d’être heureux.
Les
désirs naturels et nécessaires, manger quand on a faim, boire quand on a soif, dormir quand on a sommeil
peuvent toujours trouver leurs réalisations, dans ce qu’apporte la nature, par conséquent, si on se contente de
satisfaire ces désirs simples et limités, on connaîtra l’ataraxie et l’aponie (l’absence de trouble dans l’âme et
dans le corps) qui sont, pour Épicure les critères de la vie heureuse.
Par conséquent, le sage épicurien peut -il prétendre ne rien désirer, puisqu’il se limite à ce qui est naturel et
nécessaire, pour se maintenir en vie… Il se contente de ce qu’il a et n’aspire à rien d’autre qu’à l’absence de
douleur.
Au f ond, il se débarrasse de tous les troubles que causent les désirs, induits par les artifices et la
culture et il se contente de satisfaire les besoins… Mais est -ce une vie authentiquement humaine ? Peut -on
penser la vie d’un homme seulement préoccupé, comm e un animal, de sa survie ?.
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