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Ethnocentrisme et hiérarchisation des cultures ?

Publié le 28/01/2010

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L'historien grec Hérodote, en une anecdote savoureuse rapportée dans son Enquête, notait déjà le scandale monstrueux que constitue pour nous autrui lorsqu'il ose se comporter différemment de nous : «Que l'on propose à tous les hommes de choisir, entre les coutumes qui existent celles qui sont les plus belles et chacun désignera celles de son pays — tant chacun juge ses propres coutumes supérieures à toutes les autres. Il n'est donc pas normal, pour tout autre qu'un fou du moins, de tourner en dérision les choses de ce genre. Tous les hommes sont convaincus de l'excellence de leurs coutumes, en voici une preuve entre bien d'autres : au temps où Darius régnait, il fit un jour venir les Grecs qui se trouvaient dans son palais et leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger, à sa mort, le corps de leur père: ils répondirent tous qu'ils ne le feraient jamais, à aucun prix. Darius fit ensuite venir les Indiens qu'on appelle Calaties, qui, eux, mangent leurs parents; devant les Grecs (qui suivaient l'entretien grâce à un interprète), il leur demanda à quel prix ils se résoudraient à brûler sur un bûcher le corps de leur père : les Indiens poussèrent les hauts cris et le prièrent instamment de ne pas tenir de propos sacrilèges. Voilà bien la force de la coutume, et Pindare a raison, à mon avis, de la nommer dans ses vers la reine du monde. «

« L'ethnocentrisme peut adopter des formes explicites, des manifestations évidentes : ainsi, la tradition grecque quidénomme barbare tout ce qui n'appartient pas à la culture hellénique.

En opposant au monde grec tout ce qui n'estpas lui, sans aucune distinction, le vocabulaire exprime une distinction claire : la culture grecque est reconnuetandis que les autres sont niées dans leur existence spécifique.

Elles le sont même dans leur appartenance àl'humanité, puisque le mot barbare fait référence, par son étymologie, au monde animal.

De même, dans la discussionsur l'esclavage naturel ou conventionnel, Aristote évoque la croyance selon laquelle les Grecs se considèrent noblespartout où ils se trouvent, alors qu'ils reconnaissent aux étrangers cette possibilité seulement dans leur propre pays.La forme la plus extrême de l'ethnocentrisme consiste par conséquent à refuser l'humanité à ceux qui ne possèdentpas la même culture.

Lévi Strauss donne maints exemples de cette attitude dans les sociétés primitives quiréservent le terme 6'« hommes » aux membres du groupe.

Il évoque également à l'époque de la conquête desAmériques la manière dont les Espagnols et les Aztèques s'essayaient, chacun de leur côté, à tester le caractèrehumain de leurs prisonniers.

De ce point de vue, la liquidation de communautés entières, dont l'histoire fournit plusd'une illustration, pousse à son terme la logique de l'ethnocentrisme en supprimant les membres des autres cultures. L'intégration de l'autre Cependant, remarque Lévi-Strauss, l'ethnocentrisme peut revêtir des apparences plus subtiles, mais non moinsnocives.

Reconnaître et accepter les différences superficielles, tout en affirmant l'identité en profondeur, conduitparfois à une politique d'intégration de civilisations différentes, de gré ou de force.

C'est le cas de l'idéologie de lacolonisation, qui reconnaît la différence dans un premier temps, mais se propose de la supprimer par une intégrationprogressive, au nom de la supériorité de la culture colonisatrice.

Très proche de cette conception, l'idée quel'humanité suivrait une évolution unique dont les différentes cultures ne seraient que des étapes, les stades plus oumoins avancés, révèle également une vision ethnocentrique. Les hommes des cultures considérées comme inférieures, ou parvenues à un moment antérieur du développement,sont en fait niés dans leur spécificité, et donc ramenés à la culture de référence.

L'analyse de Lévi-Strauss dansRace et Histoire souligne l'étroite liaison de cette entreprise d'assimilation avec l'idée de progrès et la prétention audéveloppement maximal des sociétés occidentales.

L'autre comme objet Enfin, on peut concevoir une forme encore plus diffuse d'ethnocentrisme dans l'approche même des autres cultures.L'usage de concepts, forgés dans une civilisation donnée et appliqués à une culture étrangère, peut entraîner laréduction de celle-ci à une simple apparence, et le refus de lui prêter une quelconque valeur.

Expliquer lesmentalités primitives en fonction des catégories de la science occidentale et leur dénier toute valeur en lesramenant à des comportements magiques dénués de toute rationalité revient à une forme détournéed'ethnocentrisme.Plus généralement, il est permis de se demander si toute la pratique ethnologique, quelle que soit la déontologie deceux qui l'exercent, n'est pas entachée de ces formes subreptices.

En effet, il est illusoire de considérer comme ungeste neutre l'observation de peuples primitifs et de compter pour rien le regard de l'ethnologue.

L'interventionextérieure modifie doublement les rapports existants : elle crée une zone de contact, et elle ne peut appréhender cequ'elle perçoit que par le biais des modèles culturels de l'observateur.

Que l'attitude de ce dernier soit plus ou moins« compréhensive » ne peut empêcher qu'elle soit en dernier ressort effectuée d'un point de vue partiel.

J.

Baudrillardtire les dernières conséquences de ce raisonnement lorsqu'il affirme » « Pour que vive l'ethnologie, il faut que meureson objet.

». »

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