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ESPÉRER, verbe transitif.

Publié le 27/02/2005

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ESPÉRER, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif direct. 

A.—  Espérer + complément. 

1. [Le complément est un substantif] 

a) Espérer quelqu'un. 

—  Vieilli et régionalisme (Picardie, Ouest, Midi de la France, Québec).  Attendre l'arrivée, la venue de quelqu'un; attendre sa présence. Mon frère espère une épouse, et ma soeur un mari (MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York, tome 1, 1801, page 154 ). Certaines gens, pour une commission, l'attendaient [le facteur] au coin des routes; d'autres « l'espéraient « aux points fixes qu'on lui connaissait (JEAN-BALTHASAR MALLARD, COMTE DE LA VARENDE, La Normandie en fleurs,  1950, page 40) : 

Ø 1. Nous prîmes à travers champ pour gagner Théotime. Françoise nous attendait à la limite. Elle nous dit :

—  On vous espère à la métairie. C'est midi sonné.

HENRI BOSCO, Le Mas Théotime,  1945, page 208. 

—  Rare. Espérer quelqu'un + attribut..  Prêter à quelqu'un une qualité probable, avec une nuance intérieure de doute ou d'interrogation. Edmond, si vous saviez toutes les prières que j'ai adressées pour vous à Dieu, tant que je vous ai espéré vivant et depuis que je vous ai cru mort (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Christo, tome 2, 1846, page 430 ). Moi, je travaille en vous espérant pour lecteur. Un grand esprit, c'est un public. Votre applaudissement me paie (VICTOR HUGO, Correspondance,  1868, page 113 ). 

·    Emploi pronominal. Mme.  Éterlin s'espérait encore désirable et désirée (MAURICE DRUON, Les Grandes familles, tome 2, 1948, page 233 ). 

b) Espérer quelque chose. 

—  Vieilli et régionalisme. Synonyme : attendre quelque chose. Espérez un peu que la nuit vienne! (PAUL CLAUDEL, Partage de midi,  1949, I, page 1073 ). 

·    Absolument. —  Après? dit Groult en fronçant les sourcils. —  Espérez un peu, dit le Normand dans son patois, espérez (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Jocaste; le Chat maigre.  1879, page 102 ). Il me déclara qu'il avait à me montrer quelque chose... mais là, quelque chose... Espérez un brin! —  Et il appela (OCTAVE FEUILLET, Scènes et proverbes,  1851, page 339 ). 

—   S'attendre à quelque chose de manière intuitive; s'imaginer quelque chose [Ne cherchez pas là] les nuances de bistre et de vieille pipe qu'un peintre pourrait espérer : tout est blanchi à la chaux selon l'usage arabe (THÉOPHILE GAUTIER, Tra los montes,  1843, page 18 ). J'ouvris le carnet et fus d'abord déçu : j'espérais un roman, des contes (JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots,  1964, page 87 ). 

—   Attendre avec confiance un bien que l'on désire; considérer comme possible et probable sa réalisation; considérer comme certaine une chose dont on n'est pas scientifiquement, objectivement sûr. Espérer un miracle, la paix, le salut. Ma cousine (...) me laisse espérer un généreux pardon (GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré,  1797, page 1736 ). Le lord de la trésorerie : —  Jamais entrevue ne fut plus désirée. Richard : —  Vous y comptiez? Le lord de la trésorerie : —  Nous l'espérions (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Richard Darlington,  1832, II, 2, page 96 ). L'expression d'attente anxieuse du dieu Tlaloc, espérant la pluie comme un pauvre homme dont le soleil a calciné le champ (ÉLIE FAURE, L'Esprit des formes,  1927, page 118 ). 

—   Entrevoir la possibilité de quelque chose; escompter, logiquement et par voie de conséquence, quelque chose. La vue, à chaque instant, est arrêtée par des monts qui laissent à peine espérer un défilé (JEAN DUSAULX, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788, tome 2, 1796, page 57 ). La nuit (...) était trop inquiétante pour laisser espérer un départ à l'aube (JOSEPH PEYRÉ, Matterhorn, 1939, page 255) : 

Ø 2. Les bilans et les programmes d'emploi des énergies, de prospection et de mise en oeuvre des sources de matières premières, font espérer l'augmentation des « ressources naturelles « disponibles, grâce à la communication des informations et à la coordination des prévisions et des intentions des producteurs et des pouvoirs publics.

FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe.  siècle.  1964, page 560. 

—  Espérer quelque chose de quelque chose, espérer quelque chose de quelqu'un..  Escompter la réalisation de ce que l'on attend par l'action de quelqu'un ou de quelque chose. Que n'espérions-nous pas de sa jeune vertu! (BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Wallstein,  1809, V, 9, page 163 ).  Confer créosote exemple : 

Ø 3. Le paysan est timide à côté [du marin] ; il craint parce qu'il espère. Le marin a jugé cette masse fluide, évidemment sans projet et sans mémoire; et, parce qu'il ne peut espérer rien d'elle, il ne compte alors que sur lui-même.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1926, page 685. 

2. [Le complément est une proposition] 

a) [Proposition complétive]  Espérer que..  Avoir une opinion, proche de la conviction, sans idée d'attente. Les Américains doivent venir me chercher ici pour une visite en Alsace. J'espère bien que ce ne sera pas le 26, ni le 27 (MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 11, 1917-18, page 371) : 

Ø 4. SOUBRIER. —  (...) Il paraît que tu lui as dit qu'au bout de huit jours j'en aurais assez de notre vie nouvelle.

SEVRAIS. —  J'ai dit : « J'espère qu'il n'en aura pas assez après huit jours. « Espérer et croire, ce n'est pas la même chose.

HENRI DE MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant,  1951, II, 4, page 891. 

—  Par affaiblissement. 

·    Formuler un souhait ou poser une question de manière atténuée ou indirecte. J'espère que le voyage s'est bien passé (HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 934 ). J'espère qu'il y a de l'eau chaude (FRANÇOIS MAURIAC, Asmodée,  1938, I, 6, page 48 ). Mes hommages, madame. J'espère ne pas être indiscret (GEORGES BERNANOS, Monsieur Ouine,  1943, page 1505 ). 

·    Atténuer la formulation d'un voeu, d'un souhait, d'une question (généralement en style épistolaire). Lord Beaconsfield espère que Votre Majesté se souvient de sa gracieuse promesse de ne pas écrire la nuit (ÉMILE HERZOG, DIT ANDRÉ MAUROIS, La Vie de Disraëli,  1928, page 296) : 

Ø 5. Nous espérons, Madame, que vous apprécierez comme il convient notre proposition et que vous voudrez bien prendre en considération les risques auxquels notre cabinet s'expose dans votre intérêt. Veuillez agréer, Madame...

GEORGES DUHAMEL, Le Notaire du Havre,  1933, page 174. 

b) [Proposition infinitive]  Escompter la réalisation de quelque chose d'une manière proche de la certitude. Ces dames espéraient bien se retrouver en haut (ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 623 ). —  À quelle heure espères-tu avoir fini? Au plus tôt et au plus tard. —  Entre trois et quatre (ANDRÉ MALRAUX, L'Espoir,  1937, page 621) : 

Ø 6. Nous continuâmes notre route pour doubler une pointe derrière laquelle nous espérions trouver un abri; (...) l'île (...) se termine (...) en pointe, et son plus grand diamètre est au plus d'une lieue.

Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU)  tome 3, 1797, page 179. 

B.—  Absolument. 

1. Avoir confiance dans l'avenir, dans la vie; entrevoir que la vie ne se termine pas dans le néant mais qu'il y a survie de l'individu (par la descendance, la vie future); entrevoir une issue favorable à la situation actuelle. « On commence à jouir, dis-tu, dès qu'on espère : « Je jouirois aussi déjà, si j'étois père; Mais pour un vieux garçon il n'est point d'avenir (JEAN-FRANÇOIS COLLIN D'HARLEVILLE, Le Vieux célibataire,  1792, II, 1, page 31 ). Il espère pourtant, ils espèrent tous, même le moribond. Tous veulent vivre (ROLAND LECALELÉ, DIT ROLAND DORGELÈS, Les Croix de bois,  1919, page 231) : 

Ø 7.... le bonheur n'est bonheur que quand vous le tenez; si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme, on ne peut ni raisonner ni prévoir au sujet du bonheur; il faut l'avoir maintenant Quand il paraît être dans l'avenir, songez-y bien, c'est que vous l'avez déjà. Espérer, c'est être heureux.

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1911, page 105. 

—  Locution proverbiale et.  HISTOIRE.   [Par allusion à Guillaume de Nassau, prince d'Orange, dit le Taciturne]  Confer Charles Du Bos, Journal, 1927, page 266 : 

Ø 8. À la longue, ils eussent pu prononcer avec Guillaume d'Orange qu'« il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer «.

FRANCIS AMBRIÈRE, Les Grandes vacances,  1946, page 220. 

2. Spécialement.  RELIGION CHRÉTIENNE.  Avoir la vertu d'espérance. Partout où souffrent ou espèrent des coeurs humains, le Christ établit sa demeure (FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1,  1934, page 53 ). Quelque Josué, en priant et en espérant comme il faut, a pu arrêter le soleil (ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1908, page 26) : 

Ø 9. Il faut avoir confiance en Dieu mon enfant

Il faut avoir espérance en Dieu.

Il faut faire confiance à Dieu.

Il faut faire crédit à Dieu.

Il faut avoir cette confiance en Dieu d'avoir espérance en lui.

Il faut faire cette confiance à Dieu d'avoir espérance en lui.

Il faut faire ce crédit à Dieu d'avoir espérance en lui.

Il faut faire espérance à Dieu.

Il faut espérer en Dieu, il faut avoir foi en Dieu, c'est tout un, c'est tout le même.

CHARLES PÉGUY, Le Porche du Mystère de la deuxième vertu,  1911, page 240. 

3. Expressions. 

a) J'espère, j'espère bien, je l'espère. Incise à valeur exclamative pour nuancer une affirmation dont on doute, ou pour essayer d'influencer la réponse à une interrogation que l'on fait. Les détails suivans suffiront, je l'espère, pour en donner une idée (MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York,  1801, page 236 ). Tu n'es pas marié, j'espère? (JEAN-PAUL SARTRE, La Nausée, 1938, page 178 ). 

b) (Ah çà, eh bien,) j'espère!   Exclamation admirative ou exprimant le contentement. Ah çà! j'espère que voilà assez de fatigue pour une nuit (EUGÈNE LABICHE, La Fille bien gardée, 1850, I, 19, page 330 ). « Eh bien, j'espère! Quelle promenade! Vous avez été voir Compiègne, je parie! « Il riait d'aise, et levait les bras (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Pénitencier, 1922, page 717 ). 

II.—  Emploi transitif indirect. 

A.—  Espérer + dans (ou en) + substantif. 

1. Rare. Espérer dans/en quelqu'un..  Avoir une confiance absolue; espérer selon la vertu théologale d'espérance; faire de Dieu, de la religion, d'un être supérieur le fondement de sa vie et le guide du futur. Il vaut encore mieux se fier aux tigres qu'aux hommes. Mais le ciel, dans qui j'espère, ne nous abandonnera pas (JACQUES-HENRI BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, La Chaumière indienne,  1791, page 133 ). Mon âme a espéré dans le Seigneur (PAUL CLAUDEL, Le Livre de Christophe Colomb,  1929, 2e.  partie, page 1187) : 

Ø 10. « (...) S'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est point ressuscité. Et si le Christ n'est point ressuscité, votre prédication est donc vaine et vaine aussi est votre foi... Si c'est pour cette vie seulement que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus misérables de tous les hommes « [d'après Saint Paul] . Mais ce n'est pas pour cette vie seulement que le chrétien espère, et c'est pourquoi il est le plus heureux des hommes...

ÉTIENNE GILSON. L'Esprit de la philosophie médiévale,  1931, page 175. 

2. Espérer dans, en quelque chose.  S'en remettre à. Et l'on espère dans le sort, faute de pouvoir s'assurer sur soi (HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes,  1925, page 173 ). Nous nous reprochons d'avoir alors trop espéré dans l'avenir (JULES VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort,  1949, page 180 ). 

B.—  Espérer + de + complément. 

1. [Le complément est un substantif]  Espérer de quelque chose.  Escompter quelque chose de favorable, d'heureux, grâce à l'action de quelque chose. J'espère beaucoup de ma visite (GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré,  1797, page 1723 ). 

2. Vieilli ou, de nos jours, littéraire.  [Le complément est un infinitif; la réalisation du complément comporte le doute, l'incertitude (confer supra même sens que I A 2 b)]  Espérer + de + proposition infinitive. Il ne faut pas espérer d'éternuer à l'insu du voisin (FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1,  1934, page 65 ). Comme s'ils espéraient de tomber au premier effort, pour n'avoir plus à avancer (EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 402) : 

Ø 11.... nous pouvions espérer de trouver quelques rafraîchissemens dont nous avions grand besoin.

Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU)  tome 3, 1797, page 177. 

Remarque : On rencontre dans la documentation a) Espérable, adjectif, rare.  Qui peut être espéré; susceptible d'être espéré. Il n'y a plus pour moi d'amis espérables (LÉON BLOY, Journal, 1892, page 55). Une sorte de sommaire « réduction au piano « (...) voilà tout ce qui est loyalement espérable et tout ce que j'oserai tenter (JEAN RICHEPIN, Aimé, 1893, page 54). Même si les Allemands se retirent (ce qui n'est guère espérable), les Italiens, je pense, défendront Tunis (ANDRÉ GIDE, Journal, 1943, page 177). b) Espérant, ante, adjectif.  Qui espère; qui est enclin à la confiance, à l'espérance. Germinie arriva (...), tout heureuse, toute gaie, tout espérante (EDMOND ET JULES DE GONCOURT, G. Lacerteux, 1864, page 129). Âmes espérantes et pieuses (MAURICE BARRÈS, Mes Cahiers, tome 10, 1913, page 139). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 10 777. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 18 438, b) 18 711; XXe.  siècle : a) 11 966, b) 12 877. 

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