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ESCLAVE, substantif.

Publié le 06/12/2021

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ESCLAVE, substantif.  

Celui, celle qui est privée de sa liberté. 

A.—  Personne qui n'est pas de condition libre et se trouve sous la dépendance absolue d'un maître dont elle est la propriété. Esclave nègre, noir; une esclave chrétienne; vendre comme esclave. Là, l'esclave étoit hors de la loi commune à tous les citoyens, hors de la société par conséquent (LOUIS-GABRIEL A. DE BONALD, Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules ténèbres de la raison, tome 2, 1802, page 14 ). Le mouvement en faveur de la libération des esclaves avait commencé dans nos États du sud et bien avant la Guerre de Sécession (JULIEN GREEN, Journal,  1938, page 130) : 

Ø 1. Le fait que des serfs, véritables esclaves, ont appartenu longtemps à des maîtres, dont ils dépendaient totalement et qui disposaient discrétionnairement de leurs personnes et de leurs biens, a fait naître cette opinion, répandue chez beaucoup de nos contemporains, que le Moyen Âge, pour tout ce qui n'était pas noblesse ou clergé, a été une époque d'étroit asservissement physique, intellectuel et moral.

EDMOND FARAL, La Vie quotidienne au temps de Saint Louis,  1942, page 255. 

SYNTAXE : Esclave barbare, grec, turc; esclave affranchi; esclave enchaîné; le maître des esclaves; la guerre, la révolte des esclaves; la traite des esclaves; marché aux esclaves; être, devenir, se faire esclave; acheter, affranchir, vendre des esclaves; travailler comme un esclave. 

·    Emploi adjectival (notamment en fonction d'attribut ou d'apposition) La classe la plus nombreuse des hommes étoit esclave (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, tome 2, 1803, page 592 ). Une foule de comédies antiques roulent sur des questions d'état; il s'agit presque toujours de savoir si une personne est née libre ou esclave (JULES MICHELET, Histoire romaine, tome 1, 1831, page 125 ). 

—  Par hyperbole.  Personne au service d'une autre personne, et astreinte à des tâches pénibles, parfois humiliantes. Et les domestiques, que sont-ils donc, eux, sinon des esclaves?... Esclaves de fait, avec tout ce que l'esclavage comporte de vileté morale (OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 260) : 

Ø 2. Un patron se trouve toujours un peu rassuré par l'ignominie de son personnel. L'esclave doit être coûte que coûte un peu et même beaucoup méprisable. Un ensemble de petites tares chroniques morales et physiques justifient le sort qui l'accable.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 527. 

B.—  Par extension.  [Souvent avec un complément prépositionnel indiquant celui ou ce qui restreint la liberté]  Personne qui, tout en étant de condition libre, est dans un état de dépendance totale vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose et ne dispose pas librement de soi. 

1. [Le complément de nom exprimé ou sous-entendu désigne une personne ou un groupe humain] 

a) Domaine social et politique  Celui, celle qui est soumise à un pouvoir tyrannique. Le citoyen s'était constitué en quelque sorte l'esclave de la nation dont il faisait partie (BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, De l'Esprit de conquête et de l'usurpation,  1813, page 205 ). De chefs en sous-chefs, le crime descend jusqu'à l'esclave qui, lui, reçoit les ordres sans en donner à personne (ALBERT CAMUS, L'Homme révolté, 1951, page 228) : 

Ø 3. À partir d'un certain degré d'oppression, les puissants arrivent nécessairement à se faire adorer de leurs esclaves. Car la pensée d'être absolument contraint, jouet d'un autre être, est insoutenable pour un être humain. Dès lors, si tous les moyens d'échapper à la contrainte lui sont ravis, il ne lui reste plus d'autre ressource que de se persuader que les choses mêmes auxquelles on le contraint, il les accomplit volontairement...

SIMONE WEIL, La Pesanteur et la Grâce,  1943, page 157. 

—  Emploi adjectival (attribut ou apposé) Femmes esclaves; nations, pays esclaves. L'homme est né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux (MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours, Sur la constitution, 1793, page 495 ). Vous êtes, non le plus esclave, mais le plus valet de tous les peuples (PAUL-LOUIS COURIER, Pamphlets politiques, Pamphlet des pamphlets, 1824, page 218 ). 

b) Domaine moral. 

—   [Avec un complément prépositionnel exprimé ou sous-entendu, avec ou sans valeur péjorative]  Celui, celle qui se soumet entièrement à la volonté de quelqu'un, s'emploie exclusivement à le servir par intérêt, par passion. Obéir, se soumettre à quelqu'un en esclave. Un vieux bigot, esclave du prince par éducation, par devoir, par habitude (JEAN-PAUL MARA, DIT MARAT, Pamphlets, Nouvelle dénonciation contre Necker, 1790, page 80 ). Tous les jours près d'elle, j'étais un esclave, un jouet sans cesse à ses ordres (HONORÉ DE BALZAC, La Peau de chagrin,  1831, page 147 ). Marie Immaculée, ma Souveraine et Maîtresse, voici la prière très-humble de votre esclave (LÉON BLOY, Journal, 1901, page 74) : 

Ø 4. Jupiter, roi des Dieux et des hommes, mon roi, prends-moi dans tes bras, emporte-moi, protège-moi. Je suivrai ta loi, je serai ton esclave et ta chose, j'embrasserai tes pieds et tes genoux. Défends-moi contre les mouches, contre mon frère, contre moi-même, ne me laisse pas seule...

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mouches,  1943, III, 3, page 104. 

·    Emploi adjectival (attribut ou apposition) Mon âme est triste; mon coeur est esclave, et mon imagination m'effraie (NAPOLÉON 1ER, Lettres à Josephine,  1796, page 21 ). Ils sont tous plus ou moins esclaves : de leur mari, de leur femme, de leurs enfants; c'est ça leur malheur (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 524 ). 

—  Employé absolument, péjoratif, substantif ou adjectif (attribut ou apposition) (Celui, celle) qui est porté à obéir servilement. Une âme d'esclave; une mentalité, une morale d'esclave. L'homme est tyran ou esclave par la volonté, avant de l'être par la fortune (PIERRE-JOSEPH PROUDHON, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la Misère, tome 1, 1846, page 331 ). La cohorte ricanante de ces petits rebelles, graine d'esclaves, qui finissent par s'offrir, aujourd'hui, sur tous les marchés d'Europe, à n'importe quelle servitude (ALBERT CAMUS, L'Homme révolté,  1951, page 376) : 

Ø 5. Cinq ou six savants qui se trouvaient là se mirent à faire bassement la cour aux ministres, et même aux députés. Ils eurent bientôt pour rivaux deux ou trois littérateurs célèbres, un peu moins plats dans la forme et peut-être plus esclaves au fond, mais cachant leur bassesse sous des formes de parfaite urbanité.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Lucien Leuwen, tome 3, 1836, page 14. 

c) Par métaphore. domaine de l'inanimé.  (Ce) qui est subordonné à la volonté de l'homme ou à une chose considérée comme ayant un pouvoir. Le corps esclave. L'esprit est tout. Le matériel est esclave du spirituel (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Cahier gris, 1922, page 615 ). La machine exige. D'abord moyen d'action, esclave, elle a peu à peu retenti sur le maître qui la maniait (RENÉ HUYGHE, Dialogue avec le visible,  1955, page 41 ). 

2. [Le complément prépositionnel exprimé ou sous-entendu désigne une chose]  Personne dont la volonté personnelle, la liberté de jugement ou d'action sont entravées ou abolies par l'action de forces contraignantes, bonnes ou mauvaises, intérieures ou extérieures à l'individu (passions, instincts, contraintes sociales, valeurs morales, déterminismes physiques ou historiques, etc.). Esclave de ses habitudes, de ses passions. Esclave de l'équité, quand elle avait une affaire devant les juges (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 4, 1859, page 435 ). J'étais devenu un esclave de l'opium (CHARLES BAUDELAIRE, Les Paradis artificiels,  1860, page 372 ). Cet air égaré, à quoi se reconnaissent les esclaves d'une passion et les prisonniers évadés (BLAISE CENDRARS, Bourlinguer,  1948, page 383) : 

Ø 6. L'expérimentateur vrai (...) n'est l'esclave ni des faits, ni des idées. Il domine son sujet avec un esprit calme et le critique sainement. Il cherche la vérité et et non la confirmation d'une théorie ou d'une idée préconçue.

CLAUDE BERNARD, Principes de médecine expérimentale,  1878, page 251. 

SYNTAXE : Esclave des convenances, de préjugés, de son milieu; esclave du règlement, de son travail; esclave du devoir, de sa parole; esclave des circonstances, de la nécessité. 

—  Emploi adjectival. Les Français sont, de tous les peuples de l'Europe, le plus esclave des préjugés et le plus asservi à la routine (VICTOR-JOSEPH ÉTIENNE, DIT DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée-d'Antin, tome 1, 1811, page 47 ). Un plus grand poëte encore que lui [Byron] n'aurait pas, je crois, été si esclave des choses extérieures et si admirateur de la nature (JULES BARBEY D'AUREVILLY, 4e.  Memorandum,  1858, page 97) : 

Ø 7.... dans les manières de M. de Guermantes, homme attendrissant de gentillesse et révoltant de dureté, esclave des plus petites obligations et délié des pactes les plus sacrés, je retrouvais encore intacte après plus de deux siècles écoulés cette déviation particulière à la vie de cour sous Louis XIV et qui transporte les scrupules de conscience du domaine des affections et de la moralité aux questions de pure forme.

MARCEL PROUST, Le Côté de Guermantes 2,  1921, page 437. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 4 136. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 9 254, b) 6 430; XXe.  siècle : a) 3 724, b) 4 007. 

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