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Ernst Jünger

Publié le 16/05/2020

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« ERNST JUNGER né en 1895 DEPUIS la mort de Hermann Hesse et de Thomas Mann, ErnstJünger tient la première place dans les lettres allemandes, mais une place si singulière, si gênante pour ses cadets qu'ils préfèrent tenir pour inexistant celui dont la grandeur les offusque et qu'ils accusent de vivre en dehors de son temps.

Il est vrai que cet ancien disciple de Nietzsche, après avoir chanté dans Orages d'acier ( 1920) la guerre notre mère et l'idéal viril du guerrier, prône dans sa Visite à Godenholm ( 1952) une conception morale inspirée de la philosophie orientale, en particulier de Lao- Tseu.

Par la qualité de son intelligence, la hauteur de ses vues, la richesse, la profondeur et l'étendue de sa culture, par l'aristocratie de sa pensée comme par son style élégant et son langage précis, Ernst Jünger défend une position originale qui repousse également l'humanisme rationaliste et bourgeois si cher à Gœthe et à Mann, les forces obscures de l'esprit romantique, le culte de la violence et la mystique de l'instinct.

Il n'attache pas d'importance à l'expression « actuelle » de l'histoire fondée sur le journalisme, le cinéma, la publicité, la technique et les armes nucléaires.

Ce qui compte pour lui, ce n'est pas l'actualité, mais le mythe, « réalité intemporelle qui se répète dans l'histoire ».

Né à Heidelberg, Ernst Jünger subit d'abord une discipline militaire qui exalta en lui le sens du devoir et de l'héroïsme.

Elle n'étouffa pourtant pas les tendances profondes de sa nature, l'attrait du mystère et du sacré, la sensibilité, l'imagination.

A seize ans, il répond à un appel venu de ses songes :il s'enrôle dans la légion étrangère.

Et cela nous vaut Jeux africains (1936).

Cette légion dont il s'était formé une image fantasmagorique, il veut bientôt la fuir, il la fuit en effet.

On le rattrape, il connaît la solitude de la prison.

Son père le fait libérer et comme il a triché sur son âge pour se faire engager, on n'a point de peine à le rapatrier.

Deux ans plus tard la guerre éclate : il éprouve ses sortilèges et ses horreurs, subit ses orages d'acier et les subit dans son corps, car sept fois il est blessé.

La plus haute décoration du courage allemand, « Pour le Mérite », lui est décernée.

Une fois l'armistice venu, il s'adonne à la litté­ rature et le succès d'Orages d'acier lui promet une brillante carrière.

Il l'obtient et l'histoire de sa vie se confond avec la liste de ses œuvres.

Passionné de tout, et en particulier des sciences d'observation, la zoologie et la botanique, il s'intéresse aussi aux sciences humaines, à la socio­ logie et l'étude politique.

Ce qui l'amène à écrire l'Ouvrier (1932), fait surprenant de la part d'un individualiste aussi résolu, mais non à s'enrôler dans un parti en dépit des pressions qu'on exerce et qui seront encore plus fortes après l'accession de Hitler au pouvoir.

Il s'est exprimé là-dessus dans l'un de ses plus beaux livres, le Cœur aventureux ( 1929) : «On ne peut pas, aujourd'hui, travailler pour l'Allemagne en groupe.

On doit le faire seul, comme un homme qui s'ouvre de son couteau une brèche dans la forêt vierge, en espérant qu'ailleurs d'autres font de même.

» Il l'a redit depuis dans le Traité du rebelle ou le Recours aux forêts (1951) : «Il faut combattre sans cesse, mais seul, lucide, avec une sorte de désespoir hautain.

» C'est pourquoi il ne s'exile pas comme Thomas Mann, c'est pourquoi il entre dans « l'émigration intérieure », attitude qui flatte aussi bien son goût pour la retraite, pour l'échec apparent, que son sens du secret.. »

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