En quoi peut-on dire que dans la tragédie tout est déjà joué lorsque la pièce commence, qu'il n'y a rien à faire comme le dit le prologue d'Antigone d'Anouilh ?
Publié le 08/12/2021
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Définition des termes du sujet Le sujet porte sur la définition et les caractéristiques de la tragédie tels qu'ils sont posés par Anouilh dans le prologue de sa pièce Antigone (on pourra se référer à ce passage du prologue : « Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur le dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, - pas à gémir, non, pas se plaindre, - à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. [...] Et il n'y a plus rien à tenter, enfin ! »). La définition d'Anouilh met en lumière le caractère d'inéluctabilité de l'intrigue tragique, c'est-à-dire que la tragédie ne répondrait pas aux schémas narratifs traditionnels (noeud - péripéties - dénouement) puisque le dénouement serait déjà contenu en elle dès le départ - et connu ou du moins deviné du spectateur - et qu'il n'y aurait donc aucune possibilité pour les personnages d'échapper à leur sort : c'est finalement la question de la place du destin - ou du fatum, en latin - tragique qui se pose, et qui est en effet un élément fondamental du genre tragique depuis l'Antiquité. Il faut préciser maintenant les deux éléments contenus dans le sujet. Le premier élément est : « tout est joué lorsque la pièce commence » : cela renvoie, nous l'avons vu, au fait que le fonctionnement de la tragédie n'est pas une fonctionnement de péripéties et de dénouement, et que la fin est pratiquement connue avant même d'entrer dans le théâtre, notamment dans la mesure où les tragédies reprennent des canevas anciens et connus de tous. Le second élément est plus précis et porte sur la place des personnages et de leur volonté dans la tragédie : « il n'y a rien à faire » : non seulement la tragédie semble avoir sa fin contenue dans la situation même qu'elle met en place, mais encore elle ne laisse aucune marge de manoeuvre possible à ses personnages, dont la volonté n'existe finalement que parce qu'elle se soumet au destin que la tragédie fait peser sur elle. Ces deux éléments invitent à s'interroger sur le rôle que joue le destin dans la tragédie et sur Il va falloir se demander en quoi cette définition se vérifie dans l'ensemble du genre tragique, si elle est pertinente et si elle est suffisante - renvoie-t-elle à une simple caractéristique ou à un élément constitutif fondamental du genre tragique ? Eléments pour le développement * L'intrigue déjà connue de la tragédie : l'enjeu de la pièce n'est pas de raconter une histoire nouvelle L'intrigue a une place tout à fait particulière dans le genre tragique, dans la mesure où elle est presque toujours empruntée à des schémas anciens, souvent antiques - ainsi, en allant voir l'Antigone d'Anouilh, le spectateur a en tête le schéma de l'Antigone de Sophocle et connaît déjà l'enjeu de l'intrigue et son dénouement. Cela est vrai pour toutes les tragédies écrites au XXème siècle - Antigone, donc, mais aussi La machine infernale de Cocteau ou Amphitryon 38 de Giraudoux - mais aussi et surtout pour les tragédies classiques que l'on considère comme les tragédies majeures de la littérature française. Dans les préfaces de la plupart de ses tragédies, Racine fait ainsi référence à l'auteur antique auquel il emprunte son canevas, et annonce que l'intrigue que l'on va suivre est sans doute déjà connue de nous.
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Définition des termes du sujet Le sujet porte sur la définition et les caractéristiques de la tragédie tels qu'ils sont posés par Anouilh dans le prologue de sa pièce Antigone (on pourra se référer à ce passage du prologue : « Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur le dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, – pas à gémir, non, pas se plaindre, – à gueuler à pleine voix cequ'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore.
[…] Et il n'y a plus rien à tenter, enfin ! ») . La définition d'Anouilh met en lumière le caractère d'inéluctabilité de l'intrigue tragique, c'est-à-dire que la tragédie ne répondrait pas aux schémas narratifstraditionnels (nœud – péripéties – dénouement) puisque le dénouement serait déjà contenu en elle dès le départ – et connu ou du moins deviné duspectateur – et qu'il n'y aurait donc aucune possibilité pour les personnages d'échapper à leur sort : c'est finalement la question de la place du destin – oudu fatum , en latin – tragique qui se pose, et qui est en effet un élément fondamental du genre tragique depuis l'Antiquité. Il faut préciser maintenant les deux éléments contenus dans le sujet.
Le premier élément est : « tout est joué lorsque la pièce commence » : cela renvoie,nous l'avons vu, au fait que le fonctionnement de la tragédie n'est pas une fonctionnement de péripéties et de dénouement, et que la fin est pratiquementconnue avant même d'entrer dans le théâtre, notamment dans la mesure où les tragédies reprennent des canevas anciens et connus de tous.
Le secondélément est plus précis et porte sur la place des personnages et de leur volonté dans la tragédie : « il n'y a rien à faire » : non seulement la tragédie sembleavoir sa fin contenue dans la situation même qu'elle met en place, mais encore elle ne laisse aucune marge de manœuvre possible à ses personnages, dontla volonté n'existe finalement que parce qu'elle se soumet au destin que la tragédie fait peser sur elle.
C es deux éléments invitent à s'interroger sur le rôleque joue le destin dans la tragédie et surIl va falloir se demander en quoi cette définition se vérifie dans l'ensemble du genre tragique, si elle est pertinente et si elle est suffisante – renvoie-t-elle àune simple caractéristique ou à un élément constitutif fondamental du genre tragique ? Eléments pour le développement * L'intrigue déjà connue de la tragédie : l'enjeu de la pièce n'est pas de raconter une histoire nouvelle L'intrigue a une place tout à fait particulière dans le genre tragique, dans la mesure où elle est presque toujours empruntée à des schémas anciens, souventantiques – ainsi, en allant voir l' Antigone d'Anouilh, le spectateur a en tête le schéma de l'Antigone de Sophocle et connaît déjà l'enjeu de l'intrigue et son dénouement.
Cela est vrai pour toutes les tragédies écrites au XXème siècle – Antigone , donc, mais aussi La machine infernale de Cocteau ou Amphitryon 38 de Giraudoux – mais aussi et surtout pour les tragédies classiques que l'on considère comme les tragédies majeures de la littérature française.
Dans lespréfaces de la plupart de ses tragédies, Racine fait ainsi référence à l'auteur antique auquel il emprunte son canevas, et annonce que l'intrigue que l'on vasuivre est sans doute déjà connue de nous.
La préface de Phèdre est intéressante à ce titre : Racine y déclare avoir emprunté son intrigue à Euripide – qui lui-même l'avait puisée à une certaine mythologie commune – et en examine la teneur, en en révélant les ressorts – destin, culpabilité – comme si lelecteur de la préface connaissait nécessairement cette intrigue et sa source.
Cela constitue une première manière de considérer que « tout est déjà jouélorsque la pièce commence » * La place du destin dans la tragédie Une autre caractéristique de la tragédie est la soumission totale des personnages à un destin, qui prend souvent la forme d'une influence de la divinité(Henri Gouhier, dans le Théâtre et l'existence , donne pour critère de reconnaissance de la tragédie le fait que les personnages soient soumis à une transcendance).
Ainsi Phèdre peut dire, dans la pièce éponyme : « Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flancOnt allumé le feu fatal à tout mon sangCes dieux qui se sont fait une gloire cruelleDe séduire le cœur d'une faible mortelle »Cela signifie que les personnages n'ont aucun pouvoir sur leur propre trajectoire, ils sont comme des marionnettes aux mains des dieux, si bien qu'il n'y apour eux « rien à faire » : la tragédie n'est pas un genre soumis aux lois de l'action individuelle – comme pourra l'être le drame par exemple – mais un genrequi met en scène l'impuissance à l'action et retire aux personnages toute capacité d'action sur leurs propres vies.
Le spectateur, du reste, connaît lamalédiction qui pèse sur les personnages – par exemple, il saura que la malédiction qui pèse sur la famille mythique des Atrides pèsera sur l'Electre deGiraudoux de même qu'elle a pesée sur celles de Sophocle et d'Euripide.
* Du point de vue du spectateur : la tragédie est-elle un genre qui met le spectateur face à l'inéluctabilité du destin ? On peut pourtant se demander quel rapport le spectateur entretient avec ce fait caractéristique de la tragédie que tout soit joué dès le départ : il « n'y a rienà faire », pour les personnages, dans la tragédie, mais le propre de la tragédie est-il de mettre le spectateur face à l'inéluctabilité de son propre destin ?Ionesco, dans Notes et contre-notes , écrit « Je n'ai jamais compris, pour ma part, la différence que l'on fait entre le comique et le tragique.
Le comique étant intuition de l'absurde, il me semble plus désespérant que le tragique.
Le comique n'offre pas d'issue.
»Cela invite à se demander en quoi le genre tragique ménage malgré tout une issue : cette issue se trouve peut-être dans l'incommensurabilité qui existeentre le personnage tragique et le spectateur de la tragédie, ce personnage tragique étant toujours d'une lignée royale soumise à la volonté des dieux ; ainsile spectateur de la tragédie n'est pas vraiment concerné par ce qui se passe sur la scène, tout au plus peut-il être pris de « terreur » et de « pitié », commele voulait Aristote dans la Poétique , et se voir donc « purgé » de ses passions propres, nécessairement moindres que celles que connaissent les personnages tragiques.
Ainsi, le désespoir auquel fait référence le sujet n'est pas une source d'angoisse pour le spectateur de la tragédie ; s'il n'y a pasd'issue pour les personnages tragiques, cela ne vient pas toucher le spectateur : la tragédie est un monde clos qui ne met pas en jeu les capacités d'actionhumaines ; pour le spectateur, il reste donc toujours quelque chose à faire (à titre de comparaison, on pourra comparer le rapport de la tragédie avec l'actionhumaine avec le rapport qu'entretient avec cette action humaine le théâtre de l'absurde du XXème siècle, qui, lui, vide réellement l'existence humaine detout sens et provoque chez le spectateur un réel malaise).
Conclusion La définition que propose Anouilh de la tragédie dans le prologue d' Antigone met en lumière une caractéristique fondamentale de ce genre : tout y est déjà noué dès le départ et les personnages ne pourront pas échapper à ce nœud car leur destin est ainsi fait.
On peut ensuite s'interroger sur le rôle de ce destinquant au spectateur : le destin disqualifie en effet l'action et la responsabilité individuelles, et fait de la tragédie un monde clos dans lequel tout estinéluctable.
La question de l'espoir ne s'y pose finalement pas : s'il n'y a rien à faire pour les personnages, cela ne désespère pas pour autant le spectateurqui n'est pas soumis au même fatum , et c'est de cette manière que l'on peut limiter l'influence du destin dans le genre tragique..
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