En 1883, Jules Ferry, adressant une lettre aux instituteurs, écrit :«Que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non ! La famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens.»
Publié le 15/05/2020
                             
                        
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                                                                    École publique, école privée ; mission de l'école ;rénovation des programmes ; importance des diplômes ; perspective de chômage ; malaise des usagers, écoliers,collégiens, lycéens, enseignants ; apparition de la violence dans certains établissements : tels sont certains desthèmes qui reviennent le plus souvent dans les discours officiels, les médias, les pensées de chacun, car tout lemonde est passé par l'école, certains y sont restés (les maîtres), d'autres y retourneront par l'intermédiaire de leursenfants...
                                                            
                                                                                
                                                                    Reste à définir, c'est le plus important pour y voir clair, la mission de l'école.
                                                            
                                                                                
                                                                    En 1883, Jules Ferry écritune lettre aux  instituteurs d'où il ressort, en substance, que leur mission n'est pas de faire des discours compliquésni de  pratiquer  «un docte 	-enseignement».
                                                            
                                                                                
                                                                     Leur rôle est d'aider  «la famille  et la société»  «à bien  élever  leurs	enfants, à en faire des honnêtes gens» : le civique et le moral doivent donc l'emporter.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nous essaierons d'abordd'expliquer les paroles de Jules Ferry, avant de nous interroger sur les raisons pour lesquelles l'école est si contestéede nos jours et de chercher à savoir quelle serait la mission d'une école idéale.
Ce qu'il importe d'abord de remarquer c'est que la lettre de Jules Ferry s'adresse aux instituteurs et qu'elle concernedonc en priorité les écoliers du primaire (en gros, la classe d'âge de six à quatorze ans qui jusque-là était, dans samajorité, «interdite d'école») : les lois dites Jules Ferry organisant le principe d'une école gratuite, obligatoire etlaïque, concernent en priorité cette «tranche d'âge» et le milieu social le plus défavorisé (le monde agricole : laFrance de cette fin de siècle est encore très largement un pays rural).
                                                            
                                                                                
                                                                    Il y a beau temps que les enfants des milieuxfavorisés peuvent fréquenter des établissements scolaires performants (enseignement secondaire dans des lycées,etc.).
                                                            
                                                                                
                                                                    Jules Ferry  naturellement  n'a pas  «inventé»  l'école, il met  en place  d'abord  un système  éducatif qui vatoucher des enfants qui jusque-là sont exclus du savoir.
                                                            
                                                                                
                                                                    S'agit-il pour autant, et exclusivement, de «philanthropie»désintéressée et d'amour généreux de la jeunesse ? On aimerait pouvoir tenir un tel discours, mais ce serait, à laréflexion, un peu naïf.
                                                            
                                                                                
                                                                    Les hommes du pouvoir ont en réalité de secrètes (pas tant que cela d'ailleurs : voir cettelettre) arrière-pensées : en effet, au-delà de l'apprentissage indispensable à la lecture, à l'écriture, au calcul (lire,écrire, compter sont les trois bases du savoir minimum : aujourd'hui encore les directives ministérielles insistent là-dessus  dans de multiples  circulaires  officielles, comme si les  choses  n'allaient  pas de soi),  ce qui  intéresse  lespoliticiens de l'époque, c'est de transmettre une idéologie (au moins, des idées fortes) et cela par l'intermédiaired'un corps d'élite : celui des instituteurs, tout entier rallié à la cause de la République (et, cela va de soi, à ce qu'onnomme l'école de la République).
                                                            
                                                                                
                                                                    Il ne s'agit rien de moins, en effet, que de transmettre des «valeurs» qui n'ont pasencore cours partout  : la France  paysanne est  traditionnellement  conservatrice, les  pesanteurs sociales y sonttelles que les idées  nouvelles  ont bien  du mal à  s'y frayer  un chemin  ; comme  en 1793  en Vendée,  on y estvolontiers  soumis aux anciennes  valeurs, le trône  et l'autel sont  reconnus comme les divinités  suprêmes  par lamajorité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il s'agit, par l'intermédiaire de ces «hussards
de la République» d'extirper l'hérésie du sein des campagnes : c'est-à-dire d'en chasser l'idée monarchique, sinonl'idéal religieux (la laïcité suppose une neutralité religieuse à l'intérieur de l'école mais le congé du jeudi permet auxenfants de suivre les cours de catéchisme de monsieur le curé) : la France profonde se coupe en deux.
                                                            
                                                                        
                                                                    Si dans lesvilles,  dans les quartiers  ouvriers au moins,  le combat  est gagné  d'avance,  il n'en  est pas  de même  dans lescampagnes, les bourgs ruraux, où les deux écoles se font face : l'école de Dieu et celle de la République ; d'un côtéSatan,  de l'autre  Jésus-Christ.
                                                            
                                                                                
                                                                     Les hostilités  peuvent commencer  (elles n'ont pas encore  fini, à vrai  dire).
                                                            
                                                                                
                                                                     Or,curieusement, sans faire preuve d'esprit excessif de paradoxe, les deux écoles se ressemblent, au moins sur un point: convertir les âmes.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'enfant n'est souvent qu'un enjeu, une sorte de champ de bataille, mais le combat qui s'y livrevise d'une  part à conquérir  les parents,  d'autre part à prendre,  à un  plus  haut  niveau,  le pouvoir  [dans unedémocratie, une voix (masculine) en vaut une autre : celle de l'ouvrier ou du paysan vaut celle du grand patron oudu gros propriétaire terrien : l'école est le terrain favori de toute campagne électorale].
                                                            
                                                                                
                                                                    Chez monsieur le curé, onendoctrine  en faisant  entrer dans la tête  des enfants  la peur  des «rouges»  (c'est la couleur  des idées  ditesavancées des socialistes) ; de l'autre on fait voir les mérites de la République dispensant le savoir, en opposition auxobscurantistes qui ont toujours refusé d'éclairer les pauvres pour les maintenir dans un esclavage jugé salutaire poureux.
                                                            
                                                                                
                                                                    Tel est,  très vite  résumé,  le principe  de la guerre  scolaire  qui oppose  l'école confessionnelle  à l'écolerépublicaine [on parle aujourd'hui d'école libre (comme si l'autre ne l'était pas) ou privée, — le mot est plus juste —et d'école publique : la couleur «confessionnelle» étant davantage effacée].
Désormais  les propos  de Jules  Ferry  deviennent  clairs : moins  que de «cultiver»  les enfants,  il s'agit  de leurtransmettre  la bonne  parole  républicaine  : d'où  le mépris  du politicien  pour les «discours»,  les «dissertationssavantes», les «brillants exposés» ou le «docte enseignement» : on remarquera, par l'étude du champ lexical, lerejet de tout ce qui est éminemment culturel (savant, brillant, docte), c'est-à-dire de l'ordre du pur «savoir» ; lerejet aussi de tout ce qui tourne autour de la réflexion et du maniement des idées : discours, dissertations, exposéssont condamnés en bloc.
                                                            
                                                                                
                                                                    Sont refusées des disciplines qui toutes renvoient à l'intellectualité, au philosophique, brefà tout ce qui est réservé à l'enseignement de l'étage supérieur, le «secondaire», auquel seule l'élite a accès (l'élitesociale  bien sûr,  mais aussi  ceux qui réussiront,  parce qu'ils   	sont les meilleurs,  à sortir brillamment du  primaire	républicain et de  leur classe sociale modeste).
                                                            
                                                                                
                                                                    Pour  l'heure, le propos est plus modeste,  ou plus ambitieux, celadépend des points  de vue  de chacun.
                                                            
                                                                                
                                                                     L'école n'est pas conçue  comme une «machine»  à dispenser  desconnaissances  (c'est l'affaire  du «lycée»),  mais comme  un lieu  où l'on  éduque  : «la  famille  et la société  vousdemandent de  les aider», écrit Ferry.
                                                            
                                                                                
                                                                     L'instituteur est  un «délégué», un  envoyé de la «société»  au service des«familles».
                                                            
                                                                                
                                                                    La famille est jugée incapable d'élever seul l'enfant (et de l'élever, surtout, dans le sens de la nouvelleidéologie, puisque dans sa majorité la «famille» française rurale ne la partage pas encore) : on lui adjoint donc laprésence d'un instituteur chargé d'expliquer la bonne parole, de former les esprits, d'éclairer les âmes...
                                                            
                                                                                
                                                                    «aider à bienélever (les) enfants» et «à en faire des honnêtes gens».
                                                            
                                                                                
                                                                    Il semble qu'il y ait là le principe sur lequel tout le systèmescolaire de la Ille République  repose ; l'ignorer implique  de nombreux contresens : l'école doit certes apprendre,instruire, transmettre des notions de base (c'est tellement évident qu'il n'est nul besoin de le rappeler : l'instituteur.
                                                                                                                    »
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