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Emily Brontë

Publié le 09/12/2021

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Il est impossible de lire Les Hauts de Hurle-Vent sans être admis dans l'intimité brûlante d'un être qui vous apprendrait tout à la fois l'orgueil, l'humilité, la sauvagerie ou la tendresse, un être avec lequel on voudrait rire, pleurer, partager joies et désespoirs. Emily Brontë écoule sa petite enfance, son adolescence et sa jeunesse parmi ses sœurs et son frère, dans la maison de l'austère pasteur Brontë accrochée au flanc d'une colline " battue par les vents ". Une solitude désincarnée referme autour des petits son cercle de silence au milieu duquel flotte comme un suspens du souffle humain, une stupeur de l'âme et du corps. Chacun d'eux commence alors à rêver sa vie avec les seuls moyens qui leur soient permis : ceux des mots que l'on ne prononce jamais, qui dansent au fond du cœur, qui déchirent, qui font saigner et crier. Mais ils ne crient ni ne se plaignent ; sauf, plus tard, Charlotte et Branwell qui essaieront vainement de briser le cercle enchanté, l'une à travers une œuvre de tendre et nostalgique amoureuse, l'autre dans le vice, la dégradation et l'anéantissement.

« Emily Brontë Il est impossible de lire Les Hauts de Hurle-Vent sans être admis dans l'intimité brûlante d'un être qui vous apprendrait tout à la foisl'orgueil, l'humilité, la sauvagerie ou la tendresse, un être avec lequel on voudrait rire, pleurer, partager joies et désespoirs. Emily Brontë écoule sa petite enfance, son adolescence et sa jeunesse parmi ses sœurs et son frère, dans la maison de l'austère pasteurBrontë accrochée au flanc d'une colline " battue par les vents ".

Une solitude désincarnée referme autour des petits son cercle de silenceau milieu duquel flotte comme un suspens du souffle humain, une stupeur de l'âme et du corps.

Chacun d'eux commence alors à rêver savie avec les seuls moyens qui leur soient permis : ceux des mots que l'on ne prononce jamais, qui dansent au fond du cœur, quidéchirent, qui font saigner et crier.

Mais ils ne crient ni ne se plaignent ; sauf, plus tard, Charlotte et Branwell qui essaieront vainement debriser le cercle enchanté, l'une à travers une œuvre de tendre et nostalgique amoureuse, l'autre dans le vice, la dégradation etl'anéantissement. Parmi cette marmaille douce d'une prodigieuse intelligence, Emily est peut-être celle qui sait le mieux se clore sur elle-même, non parprescience de sa destinée, mais par un sens aigu du sacrifice : sacrifice au vide qui l'entoure et l'habite, aux nuées qui se déchirent surles " Wuthering Heights ", sacrifice à la pauvreté, à la mort qui déjà frappe sa famille : la mère, les deux petites sœurs.

Tous sessacrifices se fondent les uns dans les autres pour former la substance future de son œuvre.

Elle ne sait pas qu'elle a été créée pour lavivre, cette œuvre, en un rêve de douleur. Les siens ne le savent pas davantage.

Et pourtant, comment s'empêcher de songer que chacun d'eux a été engendré uniquement pourpermettre un miracle : la vie et la mort d'Emily Brontë ? La vie et la mort de Heathcliff et Cathy ? Ainsi naît bientôt sur chacun de ces visages un signe de complicité entre eux et la solitude, eux et le silence, eux et la mort.

Ilsgrandissent, se racontent des histoires, se taisent ensemble, créent leur univers avec une férocité patiente et bâtissent autour,inconsciemment, de hautes murailles qui les préserveront à tout jamais de la réalité. Au moment où la féerie douloureuse de la jeunesse s'installe au milieu de la petite troupe, Charlotte la tendre s'émeut, se révolte, parten voyage pour secouer le cauchemar ; elle réussit même à entraîner Emily avec elle, mais pas longtemps.

La farouche jeune fille a tôtfait de retourner à ses " moors ", à la maison sans joie, à son horizon de collines pelées qu'elle aime arpenter en compagnie de son chienfavori.

Elle approfondit chaque jour davantage son dialogue avec la mort.

Afin de rendre ce dialogue plus vibrant, elle se fait chaque jourplus humble.

Elle devient la servante experte de tous les siens. On peut imaginer que, dès cette époque, l'œuvre jaillit en elle.

Elle n'est pas un écrivain, mais tout simplement une femme en qui l'amourfait germer un bel enfant.

Grâce à son instinct de femme, elle rejette tout ce qui n'est pas nourriture violemment féconde, elle veut qu'ensa chair et son sang naissent des feux sauvages.

Elle recompose au-dedans d'elle l'univers de l'amour qu'elle n'a pas connu et qu'elle neconnaîtra jamais.

Cet amour se gonfle, se noue, la dévore toute entière.

Elle devient amour.

Elle absorbe ensuite les désirs dévorantsd'amour dont les siens sont la proie.

Petit à petit, sans jamais esquisser le moindre geste de passion ou de révolte, elle accomplit samission terrestre. Extérieurement, elle n'est qu'une belle jeune fille dont le dévouement, la douceur sont devenus légendaires dans la contrée.

C'est elle quifait l'ordre dans la maison familiale où règne une propreté méticuleuse ; c'est elle qui lave le linge, raccommode, astique les meubles, lescuivres, le carrelage ; c'est elle qui prépare les qui pétrit le pain ; c'est elle encore qui se rend par n'importe quel temps chez les pauvreset les malades.

Elle rafraîchit leur front avec ses mains, leur âme avec son silence.

Plus elle s'adonne à ses activités de ménagère ;mieux, elle préserve au-dedans d'elle le vide où commencent à s'agiter, aimer et souffrir ses personnages. Elle écrit enfin leur aventure d'un seul trait, comme s'il s'agissait de se délivrer d'elle en eux, de s'en remettre à leur destin, aveuglément.On pourrait croire qu'elle se supprime au profit de leur univers de passions et de haines qui est plus démoniaque et plus sacré que la vieelle-même.

Dès lors, la maison du pasteur Brontë semble frappée par une foudre lente qui détruira ses habitants les uns après les autres; rage de destruction nécessaire puisque l'œuvre accomplie commence à prendre son essor.

C'est Branwell qui meurt le premier d'une crisede delirium tremens.

Les Hauts de Hurle-Vent élèvent davantage leur voix désespérée.

On lit le livre dans toute l'Angleterre, on le jugeavec surprise, avec sévérité, on tente en vain de découvrir la véritable identité de ce rude écrivain qui se cache sous le pseudonyme deEllis Bell, puis on le condamne.

Donc il existe, il fait résonner partout sa cruelle plainte d'amour mêlée à celle de la tempête ; il jette dansles milieux lettrés les reflets de son âme possédée. La maison Brontë se fait plus muette, moins hospitalière.

Emily, que la mort de son frère a brisée, s'étiole.

Mais elle continue d'assumerles travaux du ménage, elle poursuit à travers la lande ses randonnées quotidiennes, tandis que la vie fuit d'elle par mille blessures.Charlotte, l'aînée, et Ann, la cadette pressentent le drame.

Elles la supplient de prendre du repos, d'accepter les soins d'un docteur ; ellesla harcèlent de leur tendresse bouleversée, mais Emily ne veut rien savoir.

La douce et la patiente entre dans de violentes colères, interditla porte de sa chambre, interdit qu'on lui parle de sa santé.

Elle s'obstine à se coucher tard, à se lever tôt, grelottante de fièvre, ravagéepar la toux.

Puis, un matin, pendant qu'elle se coiffe, elle tombe.

Et lorsque le médecin appelé par Charlotte arrive, Emily Brontë n'estplus. La maison devient plus sonore et plus glacée.

Ann s'éteint quelques mois plus tard, ensuite c'est au tour de Charlotte d'être enlevée ; etle révérend Brontë quitte enfin cette terre après six années de survivance. Les Hauts de Hurle-Vent grondent bientôt dans le monde entier.

Issu d'un cœur de femme, le livre est devenu lui-même un cœurpuissant, multiple, mi-mâle, mi-femelle.

Heathcliff le démon en assume le sang mâle ; Cathy la sauvage en assume le sang femelle.

Il ya d'abord l'enfance de ce cœur en qui rayonnent les espoirs, les élans capricieux.

Il y a le ruissellement de deux âmes parallèles quicherchent à se fondre l'une dans l'autre mais qui retardent cet instant béni par jeu, par méchanceté aussi, et parce qu'elles se saventhabitées par le même démon de pureté.

Elles s'aiguisent aux simulacres de la haine, à ceux de la solitude et du silence.

Et puisbrusquement les âmes s'aperçoivent qu'il est trop tard.

Heathcliff et Cathy sont arrachés l'un à l'autre, et l'immense cœur d'Emily Brontësaigne à n'en plus finir.

Les deux âmes prédestinées se rejoignent enfin au moment où Cathy, touchée par les grâces insignes de l'amouret de la mort, accueille Heathcliff.

Les amants s'étreignent en une seconde de connaissance fulgurante où rien n'a plus le pouvoir de lesséparer. On a mal et pitié pour Heathcliff et Cathy, mal et pitié pour Emily en songeant que sa traversée de la vie n'a été qu'un dialogue constantet modeste avec la mort.

Elle n'a connu ni enfance, ni jeunesse, ni vieillesse.

Et tous les siens, malgré eux, ont été conviés à la mêmeétrange fête de dépouillement. On ne peut qu'éprouver émotion et joie devant la paix qui est sienne à jamais, éprouver la même émotion et la même joie devant l'orageque Les Hauts de Hurle-Vent ne cesseront de faire gronder dans nos cœurs.. »

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