Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871 - commentaire
Publié le 29/06/2020
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« (Après le coup d'État du 2 décembre 1851, un soulèvement a lieu en Provence. Pendant la nuit, deux jeunes gens ont rejoint, par la longue route qui descend de Plassans, un pont sur la Viorne, au fond de la vallée, et, sur l'autre versant, ils vont apercevoir trois mille insurgés républicains qui descendent la route de Nice et auxquels le jeune homme devait se joindre.) La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, était comme couvert par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne <1 2>, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté. Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871 (1) La cascade gigantesque : la lumière de la lune, en tombant sur le terrain en gradins qui forment « l'amphithéâtre », fait penser à une cascade. (2) La Viorne : cours d'eau de la région.Vous présenterez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez y analyser, par exemple, les procédés par lesquels l'auteur associe la nature à la colère des hommes pour former une vaste symphonie. Mais ces indications ne sont pas contraignantes, et vous avez toute latitude pour organiser votre travail à votre gré, en évitant toutefois toute étude linéaire et toute séparation artificielle du fond et de la forme. ? Ce texte est avant tout un vaste mouvement de phrase, de foule, de sonorités. C'est pourquoi il faut penser à bien dégager et justifier le terme si important du libellé : « symphonie ». On doit y ajouter les termes « épopée » et « vision », car d'un mouvement de foule réel à I'« élan[...] grandiose », on passe à une véritable transfiguration visuelle et auditive. ? La difficulté sera donc de dissocier la « colère des hommes » de la personnification fantastique des éléments naturels, alors que le texte justement les associe de plus en plus intimement. Il faut deux thèmes bien délimités et, comme le libellé le précise bien, il ne faut pas croire pouvoir éviter la difficulté en constituant un thème purement formel ; ce qu'il ne faut jamais faire, car c'est un non-sens dans le commentaire qui doit montrer au contraire que l'art, le style et ses procédés, l'écrivain les façonne pour mettre en valeur pensée, sentiment, description, portrait, etc. ...»
«
ÉPREUV
E 19
Aix-Marseille, Montpellier,
Nice-Corse, Toulouse Juin
1990
TEXTE
(Après le coup d'État du 2 décembre 1851, un soulèvement a
lieu en Provence.
Pendant la nuit, deux jeunes gens ont rejoint,
par la longue route qui descend de Flassans, un pont sur la
Viorne, au fond de la vallée, et, sur l'autre versant, ils vont
apercevoir trois mille insurgés républicains qui descendent la
route de Nice et auxquels le jeune homme devait se joindre.)
La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible.
Rien
de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quel
ques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'hori
zon.
La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui
semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du
chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les
chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tem
pête humaine.
Quand les derniers bataillons apparurent, il
y eut un éclat assourdissant.
La Marseillaise emplit le ciel,
comme soufflée par des bouches géantes dans de mons
trueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des séche
r esses de cuivre, à tous les coins de la vallée.
Et la campagne
endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi
qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit
jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes
ardentes du chant national.
Alors ce ne fut plus seulement
la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers loin
tains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets
d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix
humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à
Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les
bleuâtres clartés de la lune, était comme couvert par un peu
ple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au
fond des creux de la Viorne , le long des eaux rayées de
mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de
ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre cha
que refrain avec une colère plus haute.
La campagne, dans
l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté.
Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871
(!) La cascade gigantesque : la lumière de la lune, en tombant sur le terrain en gradins
qui forment « l'amphithéâtre », fait penser à une cascade.
(2) La Viorne : cours d'eau de la région..
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