EL Les effarés
Publié le 29/06/2024
Extrait du document
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"Nous ne connaissons, pour notre part, dans aucune littérature, quelque chose d'un peu farouche et de si
tendre, de gentiment caricatural et de si cordial, et de si bon, et d'un jet franc, sonore, magistral, comme Les
Effarés." Verlaine Poètes maudits (1883)
En 1870, Rimbaud se rend à Paris pour présenter ses poèmes de jeunesse regroupés plus tard sous le
nom du « recueil Paul Demeny ».
Il souhaite rencontrer les parnassiens et intégrer leur groupe.
Ses poèmes de
cette période sont donc caractérisés à la fois par une imitation de la forme parnassienne (c'est le cas dans
« Soleil et Chair ») mais également par un désir de liberté qui s'annonce et s 'exprime tant dans les thèmes
abordés (Ma bohème, Au cabaret vert) qu'à travers la forme (celle du sonnet par ex pour Ma Bohème qualifié
de « fantaisie » entre satire et poésie).
C'est également aux premiers romantiques que Rimbaud s'adresse,
Hugo en particulier.
Le poème les effarés rédigé le 20 septembre 1870 rappelle, tout comme les Etrennes des
orphelins, la manière hugolienne, celle des Châtiments qui par des tableaux dramatique, lyrique et épique
peint la misère du peuple et appelle à la compassion.
Ainsi, le poème les Effarés, poème à la manière de Hugo,
propose un tableau pathétique de ces enfants pauvres mais sous lequel affleure l'ironie.
Un poème donc entre
parodie et satire.
Dans l’édition du recueil de 1919, le poème suit « A la musique » : on notera le contraste
entre les bourgeois d’un côté et les orphelins misérables de l’autre.
Le poème relate la scène suivante : la nuit, 5 orphelins « les effarés, les 5 petits, sont pelotonnés contre le
soupirail d’une boulangerie pour voir le boulanger faire le pain : la chaleur, l’odeur, le chant qui s’en dégagent
les ravissent et les conduisent à une sorte de ferveur religieuse ; cependant, ils demeurent en pleine nuit, dans
la neige et le vent, sans avoir du tout contenté leur faim.
Lecture
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Par Adeline d’Hermy/ https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-lacomedie-francaise/arthur-rimbaud-les-effares-1870-9945808
Par Cécile Brune/ https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-lacomedie-francaise/les-effares-d-arthur-rimbaud-lu-par-cecile-brune-5046061
La forme du poème : structure métrique, structure syntaxique, structure narrative
Le poème est composé de 12 tercets hétérométriques : alternant octosyllabes dans les deux premiers vers et
un tétrasyllabe dans le dernier : forme qui rappelle celle de l'ode ( triade de 3 couples d'abord lyrique puis
poème satirique en distique chez Horace) et qui rappelle également la brisure de l'alexandrin hugolien.
La
forme du poème oscille donc entre imitation de la forme hugolienne et parodie c'est -à dire un chant
discordant non sans accent satirique défini comme un pot pourri de formes » à visée critique.
En effet, il
s'agit pour Rimbaud à la fois d'imiter, mais aussi de faire une nouvelle oeuvre, de se libérer
Le poème est donc composé de
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douze tercets hétérométriques : les deux premiers vers sont des octosyllabes, le troisième est un
tétrasyllabe (vers de quatre syllabes).
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Les deux vers longs riment ensemble, le vers court rime avec le vers court du tercet suivant, ce qui
revient à dire que la forme de base du poème sur le plan de la rime est le sizain.
Mais un sizain
typographiquement scindé en deux tercets séparés : aab / ccb.
➔ On peut dire que la structure choisie est déjà génératrice d'une certaine tension : elle met en attente
le lecteur jusqu'au vers 6 avant d'obtenir une unité strophique achevée.
Sur le plan du rythme, ce dispositif crée un effet particulier, fondé sur la syncope.
La longueur réduite des
vers (8-8-4) a pour conséquence un rythme bien marqué, proche des rythmes de la poésie populaire et de la
chanson.
Composition :
La syntaxe partage le poème en deux parties nettement distinctes, de longueurs inégales : 5 tercets / 7
tercets.
Les cinq premières strophes (v.1-15), en effet, constituent quatre phrases autonomes.
Les strophes 2,3,4,5
s'achèvent chacune par un point.
Au contraire, les sept strophes suivantes sont reliées entre elles par la
syntaxe et ne forment qu'une seule longue phrase.
C'est d'abord un enchaînement de trois propositions
subordonnées conjonctives de temps introduites par "quand" (repris par "que" en tête de la strophe 8 dans la
version que nous commentons).
Puis, la proposition principale s'énonce (vers 25-26 de la strophe 9)
immédiatement suivie d'une proposition subordonnée conjonctive de conséquence : "qu'ils sont là tous ..." (v.
27 de la strophe 9).
Les strophes 10 et 11 sont composées de groupes apposés au sujet de la proposition : "(Ils
sont tous là,) collant [...], tout bêtes, faisant [...]".
Enfin, arrive la dernière strophe qui est composée,
syntaxiquement parlant, de deux propositions subordonnées conjonctives de conséquence coordonnées
complétant le participe "collant" (v.28) : "(collant leurs petits museaux roses [...] si fort,) qu'ils crèvent leur
culotte (et) que leur chemise tremblote / au vent d'hiver."
Ce système complexe de propositions subordonnées permet à Rimbaud de différer indéfiniment une
péripétie attendue (l'éclatement des culottes) qui constitue la "chute" du poème.
Elle cherche à installer une
tension, un suspens, au cœur du poème et à mettre en valeur la péripétie finale.
➔ Mouvements :
Le premier mouvement du poème des strophes 1 à 5 présente un tableau dramatique des effarés un soir
d'hiver devant un boulanger qui cuit son pain : tableau dramatique qui suscite la pitié mais dont on observera
les connotations discordantes
Le second mouvement constitué d'une phrase complexe englobe trois strophes ( 5 à 8) introduite par une
anaphore « quand...
» qui constitue une proposition subordonnée temporelle évoquant la sortie du pain du
four suivie des strophes 9 à 11 qui elles évoquent les conséquences sur les effarés : renaissance et prière mais
cette prière est adressée à un boulanger= ironie qui affleure et renforcée par la strophe finale détachée par les
tirets = commentaire ironique du poète : intrusion du réel ici non pour créer le pathétique, mais le comique.
ProblématiqueC'est donc à ce double mouvement entre imitation et parodie comme voix discordante que
nous nous intéresserons pour montrer comment Rimbaud dans ce poème détourne la forme hugolienne
qu'il imite pour produire une nouvelle poésie .
En d'autres termes, comment Rimbaud s'affranchit ici des
modèles poétiques et affirme sa liberté ?
Étude du poème
Le titre « les effarés » rappelle un poème de Hugo, le même que celui qui préside à la rédaction des Étrennes
des Orphelins : « les pauvres gens » et aussi un poème de Coppée .
Le sens du titre : désigne par le pluriel un
groupe de personnes+ emploi du déterminant défini « les » : tableau visuel + sens de « étonnés, hagards,
inquiets stupéfait, troublé » mais aussi ici sens latin de « ferus » : « indompté, farouche ».
R présente donc un
tableau à la manière de Hugo, u tableau dramatique, mais également une nouvelle forme : l'effaré est le poète
indompté qui va se révolter.
PREMIER MOUVEMENT : Un tableau pitoyable de cinq petits misérables
Strophe 1/2 :
Le tableau s'ouvre sur une vision d'ensemble du groupe présenté de façon indistincte : emploi de l'adjectif
« noirs » qui évoque les ténèbres, la misère + dimension picturale obscure : peinture en demie teinte.
Ce sont
d'abord leurs caractéristiques qui nous sont proposées : aspect donc puis position « à genoux »
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fusion entre la couleur et l'atmosphère : hiver ici mentionné par la neige qui crée un contraste visuel/
enfant+ évoque la froideur.
Cette dernière est renforcée par l'atmosphère « brumeuse » càd un état
flottant, entre pluie et clarté, flottement donc de la lumière qui annonce le flottement entre pathétique
et ironie.
On note les sonorités en « n, m, b » comme signes de fermeture : « noir », « neige »
« brume »
fermeture de l'espace qui contraste avec le « soupirail qui s'allume ».
Le soupirail = indice géographique
à la fois ouverture à la partie inférieure d'un édifice = mouvement vertical des effarés qui sont assis
devant cet édifice comme devant un autel.
Le soupirail s'allume : parodie de la lumière divine, de la
grâce.
Ici, c'est le four du boulanger qui s'allume.
+ soupirail vient du latin « suspirare » : soupir religieux.
La position des suppliants au vers 3 devient celle de « culs en rond ».
La position est détaillée
dans la strophe 2 : enjambement du vers 3 au vers 4 : strophe brisée « A genoux » : position de suppliants « cinq petits » : termes qui qualifient les silhouettes du vers 2 + expression qui appelle à la compassion par la substantivation de l'adjectif « petits » = impression d'écrasement
v.
4 : brisure dans le vers : rythme 3/3= régularité mais ensuite une exclamation marque la rupture : le
substantif « misère ! » détaché du vers et de la tonalité de départ sonne comme un commentaire
1.
soit compassion devant le tableau
2.
soit ironie distanciée par rapport au pathétique.
Ironie d'ailleurs possible car aux vers 5 et 6 on voit ce qu'il adore : le boulanger....
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