Dubuffet (Jean)

« 1 / 2 28 juin 1967 Série C-35 Fiche N• 1848 Dubuffet (Jean) 1.

En avril 1967, le peintre français Jean Dubuffet présentait pour la première fois, au Musée des arts décoratifs de Paris, une sélection des œuvres qu'il rassemble depuis vingt ans au nom de la Compagnie de l'art brut (qu'il a créée) et qui ont pour auteurs " des personnes obscures ...

le plus souvent indemnes de toute éducation artistique "• en l'occurrence des malades mentaux et des ..

naïfs"· Cette manifestation remettait en mémoire les premières recherches de Jean Dubuffet, quand il entendait se rattacher à l'art spontané des schizophrènes et des enfants pour ..

sortir l'art de ses chambrages " et découvrir un langage neuf.

~.

Dubuffet naît au Havre en 1901, et il entre de bonne heure dans le domaine de la création artistique qui, selon lui, est ouvert à tous, puisque peindre.

c'est comme parler ou marcher.

Mais il manque ses premiers pas: la peinture "primitive ..

qu'il prend pour modèle, bien que libre de tout poncif, se trouve limitée par l'insuffisance technique des improvisations enfantines, par le caractère obsessionnel, sans renou­ vellement possible, des œuvres de fous.

L'artiste a plus de quarante ans quand il surmonte enfin son parti pris d'analphabétisme.

Et paradoxalement, virtuosité tech­ nique et diversité s'affirmeront, de 1945 à 1947, comme les traits dominants de son œuvre.

3.

Cette diversité justifie la publication (chez Pauvert) d'un catalogue en 21 fasci­ cules divisant les travaux déjà accomplis en autant de périodes.

Y figure celle des « Portraits» (1947) intitulée ..

Beaux malgré eux " par l'humour sarcastique du peintre.

Du visage de ses amis (Ponge, Michaud, Paulhan), il a retenu les rides, les boutons, les difformités, par besoin de " mettre ce qu'il aime en extrême péril "· et par volonté d'accentuer le côté le plus ordinaire de son sujet pour le replonger dans la profonde unité du monde.

Ainsi de ses" Corps de Dames» (1950-1951) dont la pâte grumeleuse suggère parfois des êtres à mi-chemin entre la femme, le sol et l'écorce, intégrés au reste de la nature, devenus choses parmi les choses.

4.

L'art brut dont se réclame Dubuffet recourt aux matériaux les plus grossiers (gou­ dron, terre, charbon) pour figurer des contours informes ("Sols et Terrains ..

); aux couleurs tranchées du vinyl pour encager dans des puzzles géants les foules grouil­ lantes de l'« Hourloupe ..

; aux objets les plus communs (robinet, lavabo, cafetière) pour caricaturer la civilisation technique et ses " Ustensiles utopiques "· Mais l'in­ forme impose sa présence et sa densité, la foule s'organise au sein du chaos, les objets sans valeur atteignent au monumental: l'art du peintre leur a permis d'accéder à l'évidence picturale.

5.

Tandis que cette œuvre sans concessions esthétiques, et qui voudrait échapper à toute préoccupation de style, reçoit la consécration des musées (ces lieux "où l'on va comme au cimetière "• selon DubUffet), une querelle se poursuit quant à sa signifi­ cation profonde.

Les uns, arrêtés par ses outrances, n'y voient que provocation de virtuose; d'autres lui prêtent des vertus philosophiques: en déclenchant le rire du sage, elle l'incline à accepter le monde dans sa totalité, avec sa cocasserie, sa trivia­ lité et ses horreurs. 2 / 2. »