Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau: Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant.
Publié le 22/05/2020
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Jean-Jacques Rousseau
Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très
remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses
actions la moralité qui leur manquait auparavant.
C'est alors seulement que la voix du
devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là
n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter
sa raison avant d'écouter ses penchants.
Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs
avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se
développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière
s'élève à tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent
au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en
arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un
homme.
Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer.
Ce que l'homme perd par
le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il
peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il
possède.
Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la
liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui
est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le
droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre
positif.
On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui
seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est
esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté.
Mais je n'en ai déjà que
trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n'est pas ici de mon sujet.
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