Discuter ce jugement de G. Lanson : « Le reproche qu'on pourrait faire à Corneille, ce serait plutôt, tout au contraire de ce qu'on a dit, d'avoir trop exclusivement tiré l'action des caractères : à tel point que sa tragédie a parfois quelque chose de factice, l'air d'un jeu concerté, d'une partie liée et soumise à des conventions préalables. Les personnages ne comptent pas assez avec le hasard et les circonstances... Rien n'intervient qui dérange leur action; et le miracle, préciséme
Publié le 09/12/2021
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Discuter ce jugement de G.
Lanson : « Le reproche qu'on pourrait faire à Corneille, ce serait plutôt, tout aucontraire de ce qu'on a dit, d'avoir trop exclusivement tiré l'action des caractères : à tel point que sa tragédie aparfois quelque chose de factice, l'air d'un jeu concerté, d'une partie liée et soumise à des conventions préalables.Les personnages ne comptent pas assez avec le hasard et les circonstances...
Rien n'intervient qui dérange leuraction; et le miracle, précisément, c'est que rien n'intervienne.
»
Sujet difficile en ce sens qu'il faut comprendre : « Tout au contraire de ce qu'on a dit ».
Lanson fait allusion àcette idée, en effet courante, que la volonté du héros cornélien est telle qu'elle surmonte l'obstacle dès qu'il seprésente; d'où la nécessité d'imaginer un second, un troisième obstacle et de compliquer l'action; complicationnécessaire pour agir sur les caractères et non pas conséquence de ces caractères.
Selon Lanson, au contraire, sicompliqués que soient les événements, Corneille n'invente jamais que ceux dont la volonté peut triompher.
C'est là «la convention préalable ».
Dans les drames de la vie, il peut, il doit y avoir souvent, en effet, des hasards, descirconstances matérielles, contre lesquels la volonté ni l'intelligence ne peuvent rien.
Or, ces hasards, irréparables,ne se produisent jamais chez Corneille.
Le sujet étant ainsi compris, nous avons à expliquer et discuter le rapportde l'action romanesque et du caractère des personnages chez Corneille.Nous sommes ainsi amenés à une analyse du héros cornélien.
Ce héros est évidemment, ainsi qu'Auguste, « maîtrede lui comme de l'univers ».
Mais il est aussi, le plus souvent, maître des événements.
Il nous semble que Rodriguesera nécessairement vainqueur du comte, vainqueur des Maures, vainqueur de don Sanche.
Horace doitnécessairement faire triompher Rome.
Auguste ne peut pas tomber victime d'une conspiration, si bien ourdie qu'ellesoit.
Nicomède lutte contre son père, sa belle-mère, Attale, Rome, dans les conditions les plus défavorables ; il estcependant sûr de l'emporter et nous en sommes sûrs avec lui; si Attila n'atteint pas les buts que son énergieindomptable veut atteindre, c'est seulement parce qu'il meurt subitement au dénouement, etc.
(Ce caractère estd'ailleurs plus marqué dans les pièces qui sont médiocres ou ne sont pas les chefs-d'œuvre).
L'action est donccombinée pour nous donner l'impression de cette toute-puissance de la volonté.
Jamais un de ces hasards fortuitset redoutables qui si souvent mettent la volonté en présence d'une sorte de fatalité.
Les romantiques feront, aucontraire, grand usage de ces sortes de fatalités.
Hernani, Ruy Blas sont poursuivis par des puissances mystérieuseset hostiles, contre lesquelles leur intelligence et leur héroïsme doivent nécessairement se briser.Vous pouvez expliquer cette conception cornélienne de la vie en reprenant ce que nous avons dit pour le sujetprécédent; on la retrouve plus ou moins chez tous les contemporains de Corneille.
Vous pouvez aussi la discuter, lajuger.
Et ce jugement comportera, pour ainsi dire, deux moments : 1° l'affirmation de Lanson est-elle absolumentvraie? 2° dans la mesure où elle l'est, devons-nous y voir une critique, plus ou moins grave, du génie cornélien? Elleest certainement vraie, dans la plupart des cas ; et c'est pour cela que nous n'avons pas cherché à lui opposer unecontrepartie.
Mais il est vrai également que dans les chefs-d'œuvre et même dans les bonnes pièces de Corneille, lespectateur n'y songe pas.
Il admire la volonté, comprend sa puissance et ne se préoccupe pas des hasards contrelesquels elle ne pourrait rien.
Faut-il préférer à de pareils sujets ceux qu'évoque Jules Lemaître dans la dissertationqui va suivre, ceux où la vie est le jouet des hasards, hasards des sentiments et hasards des événements? C'estune question de goût personnel..
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