DESCARTES ou La dictée de la raison par Martin Chodron de Courcel
Publié le 16/06/2020
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« Nous avons tant de fois éprouvé dès notre enfance, qu'en pleurant, ou commandant, etc., nous nous sommes fait obéir par nos nourrices, et avons obtenu les choses que nous désirions, que nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n'était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues... Mais il n'y a point, ce me semble, de plus digne occupation pour un philosophe, que de s'accoutumer à croire ce que lui dicte la vraie raison, et à se garder des fausses opinions que ses appétits naturels lui persuadent. Descartes, Lettre à***, mars 1638. Il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées. Descartes, Discours de la méthode, III. Les raisons du voyage Le père du rationalisme commence étrangement son apprentissage : sa première décision est de rompre avec le collège, avec l'Ecole et finalement avec le savoir. En matière d'instruction autant s'en remettre à son propre pouvoir ou plus simplement au hasard. Le voyage est chez Descartes certainement une promesse de divertissement, mais il est plus sérieusement la possibilité d'un savoir vrai, sans truquage, « car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité, dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l'événement le doit punir bientôt après, s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet » (Discours de la méthode, 1re partie). Dans les rencontres au hasard des voyages se joue un savoir peut-être restreint, souvent indigne, mais toujours entier et sans dissimulation possible. La traversée des apparences est donc la condition première de tout séjour dans le sérieux du monde. Philosopher dès l'aurore ? Entre le 31 mars 1596, date de sa naissance en Touraine dans une ville qui porte désormais son nom, et le 11 février 1650 date de sa mort à Stockholm, il y a dans la vie de Descartes une bien curieuse manière de faire mentir les lieux. Elève des Jésuites au célèbre collège de la Flèche, il obtient un régime de faveur, ne se levant qu'à une heure fort avancée de la matinée ; invité au soir de sa vie par la reine Christine de Suède, il se trouve dans l'obligation de lui donner des cours de philosophie dès cinq heures du matin. Un pays de légendes peut cacher une redoutable école et le lève-tard Descartes (il aimera toute sa vie prolonger la matinée au lit, travaillant paisiblement) ne devait survivre à ces entretiens matutinaux. «Les matins ont de la fraîcheur; l'esprit y prend des ailes... l'aurore est pressante et fulgurante, elle marche vers nous ; elle est sur nous. Elle nous éveille et encore nous éveille, nous poussant de l'esquisse à l'uvre, comme elle va » (Entretiens chez le sculpteur, 1). Nous voulions rappeler ces quelques lignes du philosophe Alain, indiquant à tout rationaliste son premier devoir, afin de rassurer les rationalistes du milieu de la journée ; leur maître commun ne s'est pas cru tenu d'y souscrire. LA PHILOSOPHIE CARTESIENNE Une philosophie compliquée La philosophie cartésienne est une philosophie compliquée et si la clarté, la simplicité ou la distinction sont bien des mots d'ordre cartésiens il faut aussi constater que l'élémentaire, terme d'une telle recherche, rompt avec la facilité. Ce que cherche interminablement Descartes ce sont des points de rupture, de vrais commencements, bref, des principes dont la force est de produire un parcours irréversible. Une philosophie compliquée parce que malgré l'ordre des raisons, sur lequel nous allons revenir, certains points de la doctrine renvoient directement à d'autres développements, par exemple la métaphysique à la morale ou encore la morale à une logique affinée. Une philosophie compliquée enfin, parce que le sens de chaque proposition est directement tributaire d'une compréhension de l'ensemble du parcours et qu'ainsi la vigilance du lecteur est à chaque instant requise. Les Méditations, en particulier, exigent une compréhension continuée où l'intelligence des propositions se trouve menacée à tout moment par l'oubli des présupposés précédemment exposés. Le cur du cartésianisme Au lecteur pressé qui aimerait courir au texte principal de cette philosophie, le conseil ne peut être que fort embarrassé car la réponse engage non seulement une lecture particulière de l'uvre mais plus fondamentalement sa propre conception de la philosophie. En fait, le lecteur a le choix entre deux textes : les Méditations et les Principes. Si la philosophie est une connaissance à sa manière se déployant sur le terrain du savoir, alors le texte capital est indiscutablement les Principes. Si la philosophie c'est avant tout la recherche des principes de la connaissance, c'est-à-dire une métaphysique, où l'homme qui veut savoir se prend brusquement d'inquiétude pour lui-même, s'interrogeant sur son mode d'insertion dans la rationalité exigée, alors le texte capital est ici les Méditations. La philosophie chez Descartes Philosopher pour Descartes, c'est d'abord restreindre son terrain d'investigation en discréditant les élans de la curiosité. Une multitude d'objets ou de problèmes ne peut que produire un savoir éclaté sans sérieux véritable en livrant la spéculation à la seule conduite du hasard. En somme pour Descartes on ne philosophe pas au gré des problèmes .. .»
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