DESCARTES INUTILE ET INCERTAIN
Publié le 20/06/2020
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« Ce serait un .puissant briseur de mythes, l'auteur qui parviendrait à défaire le lien établi entre l'adjectif « cartésien» et la notion de rationalité, qui nous délivrerait de l'usage habituel de « cartésien » comme synonyme de. « méthodique » et, de « logiquement cohérent». _ Une grave erreur historique serait ainsi effacée et, d'autre part, on verrait disparaître un tic de langage bien superflu- l'invocation du patronage cartésien à propos de toute démarche impliquant apparemment quelque suite dans les . idées. Descartes est, avec une quasi-unanimité, considéré à la fois comme un modèle de rigueur intellectuelle et comme. le fondateur du rationalisme moderne. Les deux opinions, à vrai dire, ; ne doivent pas être confondues. La première relève d'un- examen interne du système de preuve utilisé par Descartes dans sa philosophie, d'un examen externe et comparatif des résultats auxquels il est arrivé, compte tenu des problèmes qui se posaient à son époque, et compte tenu des résultats obtenus par d'autres chercheurs disposant des mêmes informations que lui. La seconde soulève la question du rationalisme, et de ce qu'il convient d'entendre par ce terme. A première vue, quelqu'un peut difficilement être rangé parmi les - rationalistes s'il néglige obstinément toute information contraire à ses thèses, toute vérification périlleuse pour elles. Rigueur dans la méthode et rationalisme doivent donc bien, .normalement, aller de pair ou se rejoindre. Mais il reste que des penseurs irrationalistes peuvent manifester - une grande capacité d'organisation «logique» dans l'exposé de leur doctrine, au moins quant à la forme. Des rationalistes, inversement, peuvent travailler dans un désordre apparent, qui na de réalité que psychologique. Des paranoïaques peuvent être d'une exemplaire méticulosité dans l'argumentation, sans être le moins du monde rationnels. On peut éventuellement adhérer à un rationalisme global et mal défini comme on adhérerait à n'importe quelle vision métaphysique (encore que les besoins satisfaits par la métaphysique n'aient ordinairement pas d'affinité avec un tel choix), ou encore par conformisme social, ce qui dut se produire quand régnait le « scientisme » du XIXe siècle (s'il a jamais complètement régné, puisque le xixe a pu être également décrit comme une suite dexplosions irrationalistes). Que Descartes soit chronologiquement le pre-mier philosophe de type moderne, par ailleurs, c'est incontestable. Reste à savoir dans quel sens il faut entendre cette expression et quelle fonction le « philosophe moderne » commence, avec Descartes, à remplir dans l'ensemble de la culture. Cette fonction ne coïncide pas nécessairement avec la rigueur intellectuelle, ni même avec le désir d'assumer ce qu'il y a de moderne dans la culture moderne, ni toujours, tant s'en faut, avec le rationalisme. Si j'applique à Descartes l'expression de « philosophe moderne», c'est dans le sens où j'ai défini la philosophie moderne en l'opposant à la philosophie ancienne, dans le premier chapitre du tome II de mon Histoire de la philosophie occidentale h En effet, Descartes est le premier philosophe de l'histoire des idées qui se trouve dans la situation que j'ai .décrite comme caractéristique du penseur moderne et impliquant pour la philosophie un déplacement radical dans , la topographie du savoir. Le xviie siècle est .celui où le contraste entre, science et philosophie est perçu comme un fait culturel fondamental. La méthode requise pour la pratique de la science est perçue elle-même comme distincte du mode de pensée traditionnel en philosophie. Newton en particulier a souligné en des phrases célèbres l'incompatibilité des deux façons de procéder. On cite souvent, par exemple, la première phrase de l'Opticks : « Mon dessein dans ce livre n'est pas d'expliquer les propriétés de la lumière à l'aide d'hypothèses, mais de les exposer et de les démontrer par la raison et par les expériences » On cite plus souvent encore le méprisant « je n'imagine point d'hypothèses » (Hypo-theses. non fingo) qui se trouve dans les Principes mathématiques: « Je n'ai pu encore, y écrit plus précisément Newton dans le Scholium generale, parvenir a déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravité, et je n'imagine point d'hypothèses. Car tout ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse : et les hypothèses, soit métaphysiques, soit. physiques, soit mécaniques, soit celles des qualités occultes, ne doivent pas être reçues dans la philosophie expérimentale. » Ces textes sont, bien entendu, postérieurs à Descartes qui est mort en 1650, mais ils constituent la simple répétition des principes directeurs galiléens et de nombreuses autres déclarations du même genre bien antérieures à Galilée. Pour Newton comme pour Galilée, il ne s'agit pas de condamner les hypothèses, au sens d'explications plausibles quoique non, encore entièrement vérifiées. Les uvres de Newton sont elles-mêmes remplies de telles, hypothèses, sans lesquelles la recherche n'existerait pas. Mais le caractère hypothétique d'une interprétation peut tenir à ce qu'elle se. dessine à la frontière de notre connaissance des faits, telle qu'elle est au moment où le savant les interprète ; ou bien elle peut tenir au contraire à ce que la spéculation ignore, volontairement ou pas, les faits accessibles. C'est la deuxième sorte d'hypothèses, les hypothèses «gratuites» que vise Newton, comme l'indique l'emploi du verbe fingo : « forger de toutes pièces », « fabriquer arbitrairement ». Ce qui est donc à la base de cette polémique, c'est la distinction entre hypothèse scientifique et hypothèse métaphysique, distinction affirmée à la fin de la Renaissance pour la première fois comme fondamentale, clairement perçue par les contemporains comme découlant de l'existence d'une méthode jamais pratiquée auparavant de façon conséquente. Le problème est donc de se demander comment Descartes a réagi en face de cette nouvelle méthode, s'il l'a lui-même pratiquée puisqu'il avait pour son propre compte des ambitions scientifiques , ou quelle méthode il a lui-même inventée et s'il a réussi dans cette révolution épistémologique à créer un nouveau type de philosophie tenant compte ou même rendant compte de la nouvelle organisation du savoir. Quel but Descartes assigne-t-il à la philoso-phie ? Quelle' méthode suit-il pour atteindre ce but ? Quel est le contenu de sa philosophie, tel qu'il résulte de l'application de cette méthode ? ...»
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INUTILE ET INCERTAIN
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_ Une grave erreur historique serait ainsi effacée
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impliquant apparemment quelque suite dans les .
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Descartes est, avec une quasi-unanimité;
considéré à la fois comme un modèle de rigueur
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le fondateur du ratio
nalisme moderne.
Les deux opinions, à vrai dire,
: ne doivent pas être confondues.
La première
relève d'un exame11 interne du système de
preuve utilisé par Descartes èlans sa philo
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