des idées sur la pièce de Schiller les Brigands
Publié le 11/11/2023
Extrait du document
«
FRANZ
Tout est désert, solitaire, vide, au-dessus des étoiles...
mais s’il y avait un peu plus
que cela ? Non, non, il n’y a rien ! Je l’ordonne, il n’y a rien de plus! Pourquoi ce
frisson qui me parcourt les os ? Mourir ! Pourquoi ce mot m’étreint-il ainsi ? Rendre
des comptes au vengeur qui est au-dessus des étoiles…
(Acte V, scène 1)
À la suite du reniement de son père orchestré par Franz, son frère jumeau, Karl
entame une vie de brigand.
Trouvant asile dans les forêts de Bohème, il mène une
bande formée avec ses camarades de classe.
Or, pendant l’absence du jumeau
prodigue au château familial, Franz tente de s’emparer du pouvoir paternel et de
conquérir Amalia, la fiancée de Karl.
La jalousie, la tyrannie, la révolte et le sang
n'épargneront personne.
Contemporain de Goethe, Friedrich von Schiller (1759-1805) a écrit Les
Brigands alors qu’il étudiait la médecine à la Karlsschule Stuttgart, une école militaire
despotique et retranchée du monde.
Publiée en 1782, dans une Allemagne (le SaintEmpire romain germanique) tiraillée par les conflits, la pièce constitue une œuvre
emblématique du mouvement littéraire Sturm und Drang (« tempête et passion »).
Tirant ses influences de penseurs et d’artistes comme Rousseau, Hamann et
Shakespeare, ce mouvement est fondé sur la liberté et la remise en question du
rationalisme des Lumières, ainsi que de l’ordre établi, qu’il soit social, esthétique,
religieux ou politique.
Rarement montée au Québec, la pièce a fait l’objet ici d’un travail colossal
d’adaptation ; le metteur en scène Maxime Denommée souhaitant non pas en
donner à voir une représentation historique, mais plutôt rendre hommage à Schiller
et au message qui traverse le texte.
Cette production dirigée qui mettra en lumière le
talent et le travail « tempétueux et passionné » des finissant·e·s de l’École supérieure
de théâtre sera donc aussi l’occasion de découvrir cette œuvre puissante.
Il s’agit des « Brigands » (« Die Räuber ») de Friedrich Schiller 1, poète et
dramaturge allemand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se reconnaît
immédiatement comme sienne par un mélange particulier qui tient à la poésie par
les passions et à la philosophie par le goût pour les réflexions — un mélange qui
a tant imprégné l’art dramatique en Allemagne « que depuis lors il est
difficile de parler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du
Schiller” » 2.
L’inclination de Schiller pour le théâtre allait, pourtant, à l’encontre
des lois de l’École militaire où il fut éduqué.
Huit années durant, son
enthousiasme lutta contre la discipline que lui imposaient ses instituteurs.
La
surveillance, l’uniformité répétée des mêmes gestes, les punitions corporelles qui
suivaient de près les menaces, blessaient profondément un jeune homme qui
sentait en lui-même des penchants plus élevés, plus purs et plus divins que la
direction où il était poussé de force.
Elles auraient dû étouffer sa passion pour le
théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser.
« Les Brigands » qu’il écrivit en
cachette étant élève révélèrent au monde un poète universel à l’intelligence trop
étendue pour voir les limites de l’humanité dans les frontières de sa patrie : «
J’écris en citoyen du monde qui ne sert aucun prince.
J’ai
perdu, jeune, ma patrie pour l’échanger contre le vaste
monde… », dit-il 3.
Combien il est singulier, d’ailleurs, que les pièces de Schiller
promènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent toujours les interprètes du
patriotisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Carlos », la France avec
« La Pucelle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec «
Marie Stuart ».
Quand la mort vint le saisir, il travaillait encore à « Démétrius »,
dont il avait installé l’intrigue dans une Russie où il n’était pas davantage allé que
dans les autres pays.
Il n’y a que « Wallenstein » qui soit réellement allemand ;
mais non pas l’Allemagne moderne, celle du Saint-Empire.
« Citoyen de
l’univers qui accueille dans sa famille tous les visages humains
et embrasse avec fraternité l’intérêt collectif, je me sens appelé
à poursuivre l’homme derrière tous les décors de la vie en
société, à le rechercher dans tous les cercles, et si je puis
employer cette image, à poser sur son cœur l’aiguille de la
boussole », dit-il 4.
On comprend pourquoi la République française
nouvellement établie, qui appelait l’humanité à venir se joindre à elle, conféra à ce
poète de toutes les nations le titre de citoyen français par un décret signé par
Danton en 1792.
Il n’existe pas moins de sept traductions françaises des « Brigands », mais s’il
fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle d’Adrien-Chrétien Friedel et
Nicolas de Bonneville.
« Menschen haben Menschheit vor mir verborgen, da ich an Menschheit
appellierte, weg denn von mir, Sympathie und menschliche Schonung ! — Ich
habe keinen Vater mehr, ich habe keine Liebe mehr, und Blut und Tod soll mich
vergessen lehren, daß mir jemals etwas theuer war ! — Kommt, kommt ! — Oh
ich will mir eine fürchterliche Zerstreuung machen — es bleibt dabei, ich bin euer
Hauptmann ! und Glück zu dem Meister unter euch, der am wildesten sengt, am
gräßlichsten mordet, denn ich sage euch, er soll königlich belohnt werden —
Tretet her um mich ein Jeder, und schwöret mir Treue und Gehorsam zu bis in
den Tod ! »
— Passage dans la langue originale
« Les hommes ont caché l’humanité quand j’en appelais à l’humanité.
Loin de moi
sympathie et pitié !… Je n’ai plus de père, je n’ai....
»
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