Des_Cannibales_lecture_linéaire
Publié le 03/06/2022
Extrait du document
«
Le nègre de Surinam
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus
que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à
ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
"Eh, mon Dieu ! lui dit
Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ?
- J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
- Est-ce M.
Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le
nègre, c'est l'usage.
On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux
fois l'année.
Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape
le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe
la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas.
C'est à ce prix que vous mangez
du sucre en Europe.
Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons
sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches,
adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave
de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère.
" Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne.
Les
chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous.
Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous
sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs.
Je ne suis pas généalogiste ; mais
si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains.
Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible..
»
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