Denis DIDEROT. (Lettres à Sophie Volland, 14 octobre 1760)
Publié le 19/12/2021
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«
Denis DIDEROT.
(Lettres à Sophie Volland, 14 octobre 1760)
[Diderot entretient depuis 1754 une correspondance assidue avec son amie
Sophie Volland.
Voici le début de la lettre qu'il lui adresse le 14 octobre 1760; il
passe alors l'automne, séparé d'elle, dans la famille du baron d'Holbach, autre
philosophe de ce siècle.]
Des pluies continuelles nous tiennent renfermés.
Mme d'Holbach s'use la vue à
broder ; Mme d'Aine1 digère, étalée sur des oreillers.
Le père Hoop, les yeux à
moitié fermés, la tête fichée sur ses deux épaules et les mains collées sur ses
deux genoux, rêve, je crois, à la fin du monde.
Le baron lit, enveloppé dans une
robe de chambre et renfoncé dans un bonnet de nuit.
Moi, je me promène en
long et en large, machinalement...
Je vais à la fenêtre voir le temps qu'il fait ; je
vois que le ciel fond en eau, et je me désespère.
Est-il possible que j'aie déjà vécu près de quinze jours sans avoir entendu parler
de vous ? Ne m'avez-vous point écrit ? ou Damilaville a-t-il oublié nos
arrangements ? ou ce subalterne qui devait recevoir vos lettres à Charenton, me
les apporter ici, et prendre les miennes, serait-il arrêté par le mauvais temps ?
C'est cela.
Quand il s'agit d'accuser les dieux ou les hommes, c'est aux dieux
que je donne la préférence.
Il y a près de deux lieues d'ici à Charenton.
Les
chemins sont impraticables, et le ciel est si incertain qu'on ne peut s'éloigner
pour une heure sans risquer d'être noyé.
Cependant je suis très maussade ; c'est Mme d'Aine qui me le dit à l'oreille.
Les
sujets de conversation qui m'intéresseraient le plus, si j'avais l'âme satisfaite,
ne me touchent presque pas.
Le baron a beau dire : « Allons donc, philosophe,
réveillez-vous.
» Je dors.
Il ajoute inutilement : « Croyez-moi, amusez-vous ici,
et soyez sûr qu'on s'amuse bien ailleurs sans vous.
» Je n'en crois rien.
1 - Madame d'Aine est la s œur de Madame d'Holbach.
2, Le père Hoop, commerçant écossais, est un ami de la famille.
3.
Damilaville, ami de Diderot, devait lui faire parvenir les lettres de Sophie Volland.
Introduction
- Les lettres d'auteurs sont souvent instructives sur leur intimité; ils s'y montrent plus
libres que dans leurs œuvres destinées à la publication.
Diderot n'échappe pas à la règle
et sa correspondance avec Sophie Volland, qui s'étend essentiellement de 1754 à 1769,
est pour nous l'occasion de le découvrir sans fard.
- À l'été 1760, Sophie est emmenée par sa mère à Isle; Diderot, de son côté, est au
Grandval depuis le 9 octobre 1760.
C'est de là qu'il adresse, le 14 octobre, une missive à
l'amie dont il se languit ; nous avons ici les trois premiers paragraphes de cette lettre
très longue.
- Sans Sophie, le mauvais temps qui règne au Grandval prend des proportions
désespérantes et seule l'écriture épistolaire sauve le philosophe du désespoir.
D'où les axes de réflexion suivants :
I.
Une atmosphère d'ennui
II.
Le poids de l'absence
I.
Une atmosphère d'ennui
A.
Le temps
- La pluie : c'est elle qui sert de cadre et de prétexte à la lettre.
Elle ouvre et ferme le
premier paragraphe : « Des pluies continuelles » (l.
1) ; « le ciel fond en eau » (l.
8).
-' Il s'agit presque d'un déluge : tout le « ciel fond », à tel point que l'on risque « d'être.
»
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