Dans quelle mesure l'écriture autobiographique peut-elle recréer le passé ?
Publié le 08/12/2021
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Le passé re-surgit intact, mais apparaît clairement en décalage avec le présent. II. Mais un passé qui semble déformé par le regard rétrospectif _l'honnêteté de l'autobiographe vis-à-vis de sa propre vie peut souvent être remise en question : "L'autobiographie, qui paraît au premier abord le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux" dit Albert Thibaudet dans son livre Flaubert. Le regard rétrospectif de l'homme adulte déforme son souvenir, et lui fait voir d'une autre manière une existence qu'il a vécue au jour le jour. _L'auteur peut déceler dans l'ensemble de son existence une logique qui lui avait échappée tout d'abord : Rousseau dans les Confessions fait d'abord apparaître le thème de la fausse culpabilité et de l'injustice, commise envers lui. L'oeuvre donne à voir une existence organisée autour de ce thème (Rousseau s'estime injustement traité par ses pairs). Cette réorganisation a posteriori ne peut rendre exactement le passé tel qu'il a été vécu : elle le restitue comme passé figé. _dans L'âge d'homme, Michel Leiris systématise sa vie en l'organisant autour de deux grandes figures féminines, Lucrèce et ... . Il rapporte des événement qui lui sont arrivés en montrant que ses réactions étaient sous-tendues par ces deux figures tentatrices et opposées (Lucrèce figure la fascination pour le sulfureux, le sanglant; et .
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Le genre autobiographique suppose un retour dans le passé de l'auteur, c'est la définition même du genre.
Mais ceretour passe par deux médiations : la médiation temporelle d'une part, puisque l'auteur est plus vieux au moment oùil raconte, et son regard sur sa vie a dû beaucoup se modifier entre le moment où il l'a vécue, et le moment où ilrevient dessus; et la médiation de l'écriture, qui donne une forme particulière à ce qui au départ est impalpable (lepassé) et flou (le souvenir).On se demandera donc si le regard rétrospectif peut rendre le passé dans son authenticité; et si l'écriture peutrestituer la forme particulière du souvenir.
I.
L'écriture autobiographique confronte l'auteur à son passé ressuscité _Chateaubriand justifie ainsi son projet autobiographique dans l'incipit de ses Mémoires d'outre-tombe : "je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs".
Son projet est de replonger dans le passé pour rappeler des souvenirs intacts._Son entreprise semble couronnée de succès : Mémoires d'outre-tombe , livre III : le narrateur relate un incident arrivé la veille :se promenant à Montboissier, il entend le chant d'une grive : "...
ce son magique fit reparaître à mesyeux le domaine paternel; j'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dansle passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive"_Mais le passé n'apparaît que dans un décalage avec l'état présent du narrateur : dans la suite du texteChateaubriand compare la tristesse qui l'étreignait alors, née "d'un désir vague de bonheur" et celle d'aujourd'hui, quilui vient de son expérience.
Le passé re-surgit intact, mais apparaît clairement en décalage avec le présent.
II.
Mais un passé qui semble déformé par le regard rétrospectif _l'honnêteté de l'autobiographe vis-à-vis de sa propre vie peut souvent être remise en question : "L'autobiographie,qui paraît au premier abord le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux" dit Albert Thibaudetdans son livre Flaubert .
Le regard rétrospectif de l'homme adulte déforme son souvenir, et lui fait voir d'une autre manière une existence qu'il a vécue au jour le jour._L'auteur peut déceler dans l'ensemble de son existence une logique qui lui avait échappée tout d'abord : Rousseaudans les Confessions fait d'abord apparaître le thème de la fausse culpabilité et de l'injustice, commise envers lui. L'oeuvre donne à voir une existence organisée autour de ce thème (Rousseau s'estime injustement traité par sespairs).
Cette réorganisation a posteriori ne peut rendre exactement le passé tel qu'il a été vécu : elle le restituecomme passé figé._dans L'âge d'homme , Michel Leiris systématise sa vie en l'organisant autour de deux grandes figures féminines, Lucrèce et ...
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Il rapporte des événement qui lui sont arrivés en montrant que ses réactions étaient sous-tenduespar ces deux figures tentatrices et opposées (Lucrèce figure la fascination pour le sulfureux, le sanglant; et ...
lafascination pour la pureté et la roideur antique).
III.
Peut-on retrouver le passé dans son authenticité? _L'entreprise de Nathalie Sarraute avec Enfance apparaît comme une tentative de restitution du passé, revécu comme présent : elle rapporte, dans une forme fragmentaire et ponctuée de points de suspension, des souvenirséclatés, divers, sans leur donner d'explication : le souvenir est rendu dans son expérimentation immédiate, avec lavision de l'enfant qu'elle était alors._Mais cette tentative même restitue surtout l'atmosphère particulière du souvenir, qui fonctionne par bribes et resteflou.
C'est la mécanique de la réminiscence qui est explorée, plus que le passé lui-même.Au travers des différentes oeuvres autobiographiques de la littérature française apparaissent différentes modalitésdu retour au passé : la tentative de résurrection exacte du passé s'appuie sur une écriture qui organise l'importancedes évènements et délivre leur signification, ce qui contribue à les déformer; l'auteur lui-même affiche parfois savolonté de systématiser son existence, en montrant en quoi ses actions sont significatives de son essence propre;et la volonté de contourner ce caractère figé de l'écriture aboutit plutôt, comme chez Nathalie Sarraute, à unefidèle reproduction de l'atmosphère du souvenir.
Le projet autobiographique, qui s'appuie sur une résurrection dupassé, semble voué à l'échec; l'oeuvre finie apparaît comme le produit de cet échec, mais aussi comme une réussitelittéraire..
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