Dans le discours qu'il prononça en Suède lors de la remise de son prix Nobel, Albert Camus disait : « L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image prilvilégiée des souffrances et des joies communes. » En l'appliquant au domaine de la littérature, vous direz quelles réflexions vous inspire cette formule, sans omettre de vous appuyer sur des exemples précis et variés.
Publié le 09/12/2021
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Loin de la société humaine, il peut retrouver par l'imagination les images charmantes du passé, le souvenir des êtres chers. C'est dans la nature, au rythme de la marche, que le rêveur solitaire trouve son épanouissement. C'est alors que l'individu a la pleine jouissance de sa liberté. Chez les Romantiques, ce désir d'indépendance vis-à-vis des contraintes et des désillusions qu'engendre la vie sociale, s'affirme avec plus de netteté encore. La solitude est alors le symptôme d'un refus du monde et bien souvent d'une inadaptation radicale de l'artiste qui préfère l'évasion au compromis avec une société où il ne trouve pas sa place. On ne sera dès lors pas surpris de la récurrence, chez les écrivains de la période romantique, d'épisodes romanesques ou de poèmes qui présentent des êtres fuyant sur les routes, au plus profond des forêts comme au sommet des monts, à la recherche de leur identité ou d'un bonheur lui-même fugitif, Lamartine, Vigny, Musset, Hugo se sont fait, dans le domaine poétique, les chantres de cette solitude parfois heureuse, souvent souffrante, de cette conquête de la liberté. On trouvera une admirable illustration de leur lyrisme dans le poème de Vigny, « la Maison du berger » {les Destinées), invitation à fuir « un monde fatal, écrasant et glacé » pour retrouver la pureté et le bonheur dans l'épaisse bruyère des montagnes. Les sentiments qui s'expriment dans ce poème, les joies et les souffrances de rêver la femme aimée, ne sont pas des émotions communes mais des émotions uniques dont le poète souligne la singularité. C'est précisément cet amour qui lui donne le sentiment de sa propre individualité. L'écriture poétique apparaît bien dans ce cas une « réjouissance solitaire » qui n'accueille que l'être aimé, et l'artiste semble ne trouver le chemin de la création que dans ce retrait par rapport au monde et dans l'approfondissement de ses propres sentiments.
«
Exercer son art ne doit pas conduire l'écrivain à oublier les autres.
C'est ce qu'Albert Camussoulignait en 1957, lors de la remise de son prix Nobel : « L'art n'est pas à mes yeux uneréjouissance solitaire.
II est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leuroffrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes.
» Pour l'auteur deL'Étranger et de la Peste, l'artiste doit donc s'efforcer de rencontrer la communautéhumaine.
Loin de s'isoler, il doit chercher pour communiquer avec ses semblables le langagele plus universel, celui de l'émotion, et quelle image plus émouvante pourrait-il donner auxhommes que celle de leurs propres sentiments, de leurs propres épreuves joyeuses ousouffrantes? Toutefois la conception de l'artiste formulée par Camus ne saurait rendrecompte de toutes les voies de la création littéraire.
Certains écrivains n'ont-ils pas fait deleur œuvre un éloge de la solitude, un refus de l'engagement, une critique des sentiments «communs » ? Partant de la formule de Camus, on peut dès lors proposer une définition unpeu différente de l'art d'écrire.
Écrire : s'isoler pour retrouver les autres, susciter uneémotion et une réflexion moins communes que nouvelles par le moyen d'une créationauthentique. À première vue, il apparaît clairement que l'écriture littéraire est, pour celui qui la pratique, une forme decommunication avec autrui.
Publier un livre, c'est en effet, au sens strict, le rendre public, l'offrir au lecteur.
Écrirepeut donc être considéré comme une façon de s'ouvrir au monde en s'adressant, comme le dit Camus, au « plusgrand nombre d'hommes ».
Cette volonté de communiquer s'affiche d'ailleurs bien souvent dans des préfaces,avant-propos et dédicaces qui instaurent, alors même que l'œuvre est ouverte par le lecteur, une sorte de dialogueimaginaire entre l'auteur et lui.
Ainsi Baudelaire s'adresse, à l'orée du recueil des Fleurs du mal, au lecteur qu'ilnomme : « mon semblable, mon frère ».
Et c'est à la France tout entière que Michelet dédie son histoire de Jeanned'Arc : « Souvenons-nous toujours, Français, que la Patrie chez nous est née du cœur d'une femme...
»L'apostrophe au lecteur laisse alors place à un « nous » collectif dans lequel l'écrivain réunit l'ensemble des humainsrassemblés autour de lui par leur communauté de sentiments ou par l'expérience historique d'une même génération.Dans le corps même de l'œuvre, le souci d'une communication avec le public peut se faire jour : l'écrivain s'emploie àjustifier tel ou tel aspect de sa pensée ou bien encore il profite de son livre pour adresser un appel à sescontemporains.
C'est ainsi qu'Aragon, dans La Diane française, recueil de poèmes écrits pendant les années noiresde la Seconde Guerre mondiale, invite les hommes et les femmes de son pays à résister à l'ennemi :
« Entendez Francs-Tireurs de FranceL'appel de nos fils enfermésFormez vos bataillons formezLe carré de la délivrance ».
La volonté de l'écrivain de transformer et de transcender son œuvre en une œuvre collective, résonnant de tous lesbattements de cœur d'un pays, répond, à l'évidence, au besoin d'échapper à la solitude et au repli sur soi que laguerre peut engendrer.Cette dimension collective de l'œuvre littéraire n'est peut-être jamais aussi sensible qu'au théâtre.
Écrire pour lascène, c'est oser une confrontation directe, immédiate entre sa création et le public.
Pour que cette confrontationdevienne une communion, le poète dramatique doit « être les autres », selon la formule de Victor Hugo : il doitdonner l'occasion aux spectateurs de se reconnaître dans l'œuvre représentée, il doit toucher leur sensibilité.
Lalittérature n'est donc pas seulement une façon de communiquer avec un public : elle peut être, et doit être, selonCamus, un moyen de l'émouvoir.En effet, vivre comme le voulait l'écrivain « au niveau de tous » suppose que l'artiste établisse une relation avec lesautres dans un langage universel : celui de l'émotion.
Or comment communiquer aux hommes une émotion partagéesi ce n'est en représentant ce qu'ils sentent et ce qu'ils vivent : les « souffrances et les joies communes » ?L'écrivain devrait dès lors faire de son œuvre une sorte de miroir de la condition humaine dont il réfléchirait lesinstants heureux et malheureux.
En outre, le véritable artiste devrait s'efforcer de ne retenir de sa propreexpérience que ce qui s'accorde avec la destinée du plus grand nombre : « II ne nourrira son art, et sa différence,qu'en avouant sa ressemblance avec tous » (Camus, Discours de réception).Ce projet d'une littérature universelle par la vérité et la communauté des sentiments qu'elle dépeint trouve sonexpression chez de nombreux écrivains.
L'œuvre dramatique de Shakespeare atteint cette dimension collective enoffrant le spectacle de l'histoire et des passions humaines.
Elle tire son authenticité de la confrontation et de laréunion des sentiments les plus contradictoires, offrant tour à tour une vision comique ou tragique de l'existencehumaine.
Ainsi l'image pathétique du vieux roi Lear abandonné par ses filles aînées est-elle inséparable de celle deson fou, ironique et bouffon.
On retrouve chez Zola cette volonté de ne pas séparer les deux faces de la destinéede l'homme : refusant à la fois l'optimisme béat et le pessimisme outrancier, il souhaite, dans le cycle romanesquedes Rougon-Macquart, « montrer la joie de l'action et le plaisir de l'existence » mais aussi les tragédies sociales dusiècle.
Germinal, récit et témoignage sur la condition des mineurs du Nord de la France, lui offre précisémentl'occasion de révéler les espoirs et les souffrances d'un peuple au travail.Affirmer sa ressemblance avec tous, c'est finalement pour l'écrivain signifier son engagement dans le monde.
A cepropos, la position de Camus doit être précisée : l'artiste est responsable de ce qui se passe à son époque.
Lagrandeur de sa mission et de son devoir est d'assumer cette responsabilité qui ne s'accommode ni de l'individualisme,ni de l'indifférence.
Chercher à entrer en sympathie avec ceux qui souffrent, avec ceux qui aiment, avec ceux qui serévoltent ou désespèrent, conduit à révéler la vérité de l'expérience humaine.C'est précisément dans cette recherche que réside le sens du métier d'écrivain.
Celui-ci doit en définitive éclairer les.
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