Dans l'avis « Au lecteur » de l'une de ses pièces, Molière écrit :« On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. »Vous discuterez cette remarque en vous demandant dans quelle mesure la lecture d'une pièce de théâtre permet d'imaginer la représentation, et si, par ailleurs, l'absence de mise en scène ne limite pas la signification et la rich
Publié le 15/05/2020
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Les origines du théâtre nous ramènent jusqu'aux pièces tragiques ou politiques de l'Antiquité grecque, qui sejouaient devant des milliers de spectateurs.
L'Occident médiéval a, lui, connu les « mystères» religieux (vies desaints) joués sur le parvis des églises, puis les représentations profanes auxquelles se mêlaient les baladins, et les mimes.
Ainsi, Molière semble donner au théâtre sa véritable nature en affirmant, dans l'avis «Au lecteur» de L'Amour médecin, que «les comédies ne sont faites que pour être jouées ».
Cependant les textes théâtraux ont une valeur littéraire appréciable aussi à la lecture.
La représentation est-elle «l'essence même du théâtre», comme l'affirme lecritique Henri Gouhier, ou bien le texte théâtral peut-il être lu comme une œuvre littéraire?
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Les distinctions opérées par Aristote dans la Poétique indiquent clairement que le théâtre est tourné vers la réalisation : la tragédie et la comédie diffèrent du récit par le fait qu'elles présentent les personnages «commeagissant, comme en acte».
Il s'agit donc de «représenter» des actions, de les réaliser sur scène.
Le rôle de la mise en scène est d'utiliser l'espace bien défini de la scène pour y planter le décor, les accessoires,éléments qui donneront des indications sur la signification de la pièce.
Dans Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, la première scène de l'acte I figure une pièce «à demi démeublée » que Figaro mesure en tous sens pour y placer lelit conjugal.
Le spectateur sait d'emblée que l'aboutissement de la pièce sera un mariage.
La gestuelle des acteurs apporte beaucoup à la compréhension : par exemple, la pièce de Samuel Beckett, Oh les beaux jours, impose au personnage de Winnie un enlisement progressif, indiqué par les didascalies*.
Au premier acte, elle est enterrée «jusqu'au dessus de la taille», au second acte «jusqu'au cou».
Beckett symbolise ainsi sansmême recourir aux mots l'impuissance de l'être humain en général.
Par ailleurs, si nous revenons aux distinctions d'Aristote, nous constatons que, sans l'action, il ne peut y avoir detragédie : l'action prime sur la psychologie des personnages.
Molière affirme d'ailleurs, dans ce même avis «Aulecteur» : «Il n'est pas nécessaire de vous avertir qu'il y a beaucoup de choses qui dépendent de l'action.
» Cedramaturge prolifique compte à son actif des pièces où les péripéties, les rebondissements importent bien plus que lacohérence psychologique des personnages.
Ainsi, dans Les Fourberies de Scapin, la malice du personnage tend à créer des situations à la limite de l'absurde, telle la scène de la bastonnade.
Ses pièces sont parfois accompagnéesde musique, de ballets.
Songeons à la fructueuse collaboration entre Molière et Lulli, pour le plus grand plaisir de laCour de Louis XIV.
Le spectacle devient alors total et met en jeu la sensibilité du public qui voit se dérouler devant lui un universmerveilleux.
En effet, le public est une composante essentielle de la représentation.
Les expériences récentes deRobert Hossein ou le succès des matchs d'improvisation, formules qui réclament une intense participation du public,rappellent la fonction première du théâtre : le spectacle par lequel le spectateur s'identifie aux personnages, et selibère ainsi de pulsions intérieures.
C'est la fonction de « catharsis » définie par Aristote, la purgation des passions.Or seule la représentation permet ce processus, grâce à la présence matérielle des acteurs.
François Mauriacécrivait dans son Journal : «Il n'y a pas de théâtre sans incarnation.
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Les tragédies classiques comme Phèdre de Racine présentent ainsi des personnages emprisonnés dans un destin terrible ; elles mettent en garde le spectateur contre l'inceste ; et la continuité des mythes qu'elles véhiculentdonne une idée de leur valeur universelle.
Au XXe siècle, Jean Cocteau a repris de la sorte l'histoire d'OEdipe, vieillede plusieurs millénaires, dans La Machine infernale.
Les comédies de Molière, quant à elles, mettent en scène des personnages stylisés (l'Avare, le Jaloux, l'Hypocrite) qui frappent l'imagination mieux qu'un héros de papier.
Enfin, on peut concevoir la représentation théâtrale comme une « cérémonie », selon l'expression de JeanDuvignaud.
Le dramaturge et acteur Antonin Artaud partageait également ce point de vue et définit le théâtre ainsi: «une véritable opération de magie».
L'attente des spectateurs, les trois coups, la levée de rideau et le moment oùles acteurs, redevenus eux-mêmes, saluent, semblent autant de phases rituelles qui entretiennent l'illusionthéâtrale.
Charles Baudelaire affirmait, dans Mon cœur mis à nu, en manière de boutade : «Ce que j'ai toujours trouvé de plus beau au théâtre [...], c'est le lustre ! » Antonin Artaud proposait même de revenir aux sources duthéâtre, en munissant les acteurs de masques, voire en supprimant le texte écrit.
Sa théorie, qui s'apparente authéâtre oriental Nô, appelle un spectacle mystérieux en évitant surtout les idées trop claires, qu'il appelle «idéesmortes», parce que sans magie.
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Pourtant, si la mise en scène assume une grande partie de la signification de la pièce et de ses effets, elle se fondecependant sur le « noyau » du texte.
En effet, toute pièce est d'abord un texte écrit contenant des éléments de mise en scène.
La mise en scène sedéduit des didascalies mais aussi du dialogue des personnages.
Par exemple, dans la scène d'ouverture du Tartuffe de Molière, l'agitation de Madame Pernelle se comprend d'après le petit portrait de soi qu'elle adresse à chacun(Doline, Marianne, Damis).
L'enjeu de la scène consiste pour elle, à sortir, pour les autres, à l'en empêcher.
La seulelecture permet d'imaginer une mise en scène..
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- Molière déclare dans son Avertissement au lecteur, en tête de L'Amour médecin (1665) : « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées et je ne conseille de lire celle-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. » Vous commenterez cette affirmation en montrant, à l'aide d'exemples précis, ce que la représentation d'une pièce de théâtre ajoute à sa lecture.
- « Tout le monde sait que les comédies ne sont faites que pour être jouées et je ne conseille de lire celles-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ». Commentez et discutez cette citation.
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- Selon l'opinion de deux auteurs contemporains, interpréter signifie dans son emploi courant: donner un sens à, et aussi s'agissant du théâtre: jouer, donner une image visuelle. l'interprétation du texte de théâtre est indispensable [...]. Elle peut être le fait des acteurs [...] Elle est aussi le fait du metteur en scène.[...]. Elle est, enfin, le fait du lecteur qui imagine selon ses goûts et sa culture les personnages, leurs faits et gestes, et charge donc le texte de sens divers.