Dans la seconde préface de Thérèse Raquin, Émile Zola déclare : « Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. »Vous estimerez la validité de ces intentions en les vérifiant dans l'oeuvre de Zola que vous avez étudiée.
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Introduction
En 1867, Émile Zola n'a que vingt-sept ans.
Il est un jeune écrivain dont l'oeuvre entière reste à venir.
L'écolenaturaliste dont il revendique la paternité en est encore à ses balbutiements.
Le Second Empire, qui va devenir lacible des Rougon-Macquart, est encore tellement puissant qu'aucune véritable attaque ne se décèle dans ce romanoù l'on voit se dessiner néanmoins les grandes lignes du naturalisme.
Précisément, c'est à les définir déjà que nousconvie le sujet qui nous est proposé.
Dans sa seconde préface, rédigée pour répondre avec une belle acrimonie auxcritiques ayant accueilli son roman, il se démarque du roman d'analyse classique (« j'ai voulu étudier destempéraments et non des caractères ») et se place dans une perspective quasi scientifique (« j'ai choisi despersonnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang »).
L'opposition des nerfs et du sang annonce laréflexion sur l'hérédité et ses dérèglements qui fera l'objet des Rougon-Macquart, et en particulier la réflexion menéesur les différentes formes que peut prendre la folie.Tout est expérimentation dans ce roman, expérimentation de l'immense oeuvre encore à créer, mais aussi d'unprojet unissant la recherche médicale et les innovations littéraires, particulièrement sensibles au scientismedominant cette époque.
Nous traiterons ce sujet en passant d'abord en revue les ingrédients requis parl'expérimentation qui nous est proposée, puis en examinant les résultats de cette expérience, nouvel avatar d'unefatalité orchestrée de bout en bout par un narrateur omniscient.
I.
Les ingrédients
1.
Le noeud de l'enfance
a) Madame Raquin, une mère abusive :
Une mère dévoreuse de ses enfants : « Camille s'irritait des soins incessants de sa mère : il avait des révoltes,il voulait courir, se rendre malade, échapper aux câlineries qui lui donnaient des nausées » (II).
Une tendresse trop possessive et néfaste : « Les tendresses, les dévouements de sa mère lui avaient donnéun égoïsme féroce ; il croyait aimer ceux qui le plaignaient et qui le caressaient ; mais, en réalité, il vivait àpart, au fond de lui, n'aimant que son bien-être, cherchant par tous les moyens possibles à augmenter sesjouissances » (II).
Un égoïsme calculateur (« elle peignit, avec un naïf égoïsme, le tableau de ses derniers bonheurs, entre sesdeux chers enfants » (XIX) qui la pousse à accepter le mariage de Thérèse et de Laurent comme elle avaitcombiné celui de Camille et Thérèse (« Madame Raquin regardait ses enfants avec une bonté sereine.
Elle avaitrésolu de les marier ensemble.
Elle traitait toujours son fils en moribond ; elle tremblait lorsqu'elle venait àsonger qu'elle mourrait un jour et qu'elle le laisserait seul et souffrant.
Alors elle comptait sur Thérèse, elle sedisait que la jeune fille serait une garde vigilante auprès de Camille » (II).
b) Camille et la tisane :
Enfant maladif, surprotégé : « L'enfant eut coup sur coup toutes les fièvres, toutes les maladies imaginables.Madame Raquin soutint une lutte de quinze années contre ces maux terribles qui venaient à la file pour luiarracher son fils » (II).
Camille/camomille • Kamilla est le nom allemand de la camomille, et d'ailleurs cette paronymie est fortement symbolique : à force de boire des tisanes amères et écoeurantes, il est devenu comme asexué : « Il voyait en[Thérèse] une camarade complaisante qui l'empêchait de trop s'ennuyer, et qui, à l'occasion, lui faisait de latisane » (II).
Faut-il rappeler que Camille est un prénom à la fois masculin et féminin ?
Camille « castré » par sa mère : « Arrêté dans sa croissance, il resta petit et malingre.
Ses membres grêleseurent des mouvements lents et fatigués.
Sa mère l'aimait davantage pour cette faiblesse qui le pliait.
Elleregardait sa pauvre petite figure pâlie avec des tendresses triomphantes, et elle songeait qu'elle lui avaitdonné la vie plus de dix fois » (II).
On peut rapprocher cette maternité étouffante et ses conséquences de lafaible santé de Maxime Rougon et surtout de la mort de son fils Charles (cf.
Le Docteur Pascal).
c) Thérèse étouffée à son tour :
Une orpheline totalement démunie (II).
Une enfance étouffante : « Thérèse grandit, couchée dans le même lit que Camille, sous les tièdes caresses desa tante.
Elle était d'une santé de fer, et elle fut soignée comme une enfant chétive, tenue dans l'air chaud dela chambre occupée par le petit malade » (II).
Le feu sous la glace : « Elle garda ses allures souples, sa physionomie calme et indifférente, elle resta l'enfant.
»
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