Dans la préface de Cromwell, Victor HUGO écrit: Les personnages de l'ode sont des colosses; ceux de l'épopée sont des géants; ceux du drame sont des hommes. L'ode naît de l'idéal, l'épopée du grandiose, le drame du réel. En quoi le héros du drame romantique que vous avez étudié vous paraît-il correspondre au point de vue de Hugo ?
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
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[Introduction]
Le drame se veut un genre théâtral nouveau.
En 1827, Victor Hugo publie un drame peuconnu pour lui-même, mais extrêmement célèbre pour sa préface, Cromwell.
Cette préfaceest en effet d'une ampleur extraordinaire, et se présente comme une tentative de définitiondu drame romantique; elle est, par son ton polémique et péremptoire, le manifeste de cegenre et de ses auteurs.
On peut notamment y trouver une définition du drame en contrasteavec deux autres genres qui se sont épanouis précédemment : l'ode et l'épopée.
Pour Hugo,« l'ode naît de l'idéal, l'épopée du grandiose, le drame du réel ».
Le drame abandonneraitdonc « l'idéal » ou les idées nobles et pures, et le « grandiose » ou les poses de majesté,pour le « réel » ; ses personnages seraient traités différemment : ni « colosses », ni «géants », ils ne seraient que des « hommes ».
Nous allons donc examiner si le héroséponyme du drame de Musset, Lorenzaccio, correspond aux canons esthétiques affichés par Hugo.
Nous verrons d'abord en quoi le héros de ce drame se présente comme un homme parmi d'autres, puiscomment il incarne essentiellement des valeurs négatives, et enfin quelle nouvelle définition le drame romantiquepropose du grandiose et de l'idéal.
[Un homme parmi d'autres]
Le héros de Lorenzaccio est un homme parmi d'autres.
Il abandonne le « grandiose » et « l'idéal », car il a lesdéfauts et les qualités de n'importe quel homme, ses contradictions, mais surtout parce que le dramaturgenous fait pénétrer son intimité la plus simple, et le traite seulement comme un personnage principal.
»Tout d'abord, nous devons définir en quoi un personnage du drame romantique devient un héros.
Il semble que ce nesoit que par sa présence prodiguée sur scène, le temps de parole qui lui est consacré, et sa place au cœur del'action.
Le personnage de Lorenzo apparaît dans 18 scènes sur 39, et il a droit à de nombreuses tirades ; il estégalement présent dans les discours des autres.
Par exemple dans l'acte d'exposition, à la scène 4, Alexandre parlelonguement de Lorenzo, comme Catherine et Marie, la tante et la mère de ce dernier, à la scène 6.
Ce personnageprodigué sur scène est au cœur des préoccupations des autres personnages, mais aussi au cœur de l'actionprincipale : le meurtre du duc.
Le personnage de Lorenzo peut donc être le héros de la pièce sans pour autant être« héroïque ».De plus, Lorenzo a des caractéristiques familières et communes.
En effet, de nombreuses scènes nous font pénétrerdans son intimité.
La scène 6 de l'acte I, nous l'avons vu, met en scène sa mère et sa tante.
Nous apprenons ainsiqu'il n'a jamais été un « guerrier », mais qu'il avait l'« amour » de la « solitude » et de la « vérité ».
Ses traits decaractère personnels, communs à de nombreux adolescents, nous deviennent familiers.
D'autre part, à la scène 1 del'acte III, la didascalie nous fait pénétrer dans un lieu intime, puisqu'elle nous indique que Lorenzo et son maîtred'armes s'exercent dans la chambre à coucher du premier.
Enfin, le héros du drame n'hésite pas à étaler sescontradictions ; en cela, il refuse de poser pour la statue d'un colosse.
Ainsi, Lorenzo fut un jeune homme pur quiaspirait à un idéal politique; mais la résolution pratique qui découle de ses qualités est la décision d'un meurtre,salvateur pour Florence, et destructeur pour lui-même.
Il « est rongé d'une tristesse auprès de laquelle la nuit laplus sombre est une lumière éblouissante » (III, 3), alors qu'il poursuit son idéal.
Dans la même scène, il se confie ences termes au vieux Philippe : « j'ai été honnête.
J'ai cru à la vertu, à la grandeur humaine, comme un martyr croiten son Dieu », « Ma jeunesse a été pure comme l'or ».
Et il commente ainsi la transformation qui s'est opérée en lui,après sa décision de tuer « de [sa] main un des tyrans de la patrie » : « Une statue qui descendrait de sonpiédestal pour marcher parmi les hommes [...] serait peut-être semblable à ce que j'ai été le jour où j'ai commencé àvivre avec cette idée.
» Le personnage de Lorenzo est donc bien, selon ses dires, un héros descendu de son soclede statue parmi les hommes.
[Un héros négatif]
En réalité, Lorenzo présente des caractéristiques particulièrement négatives ; loin d'être un exemple, il concentre lesdéfauts du commun des mortels.Physiquement, Lorenzo semble fragile, d'une grâce féminine.
Le duc le présente ainsi, dans la scène 4 de l'acte 1 : «Regardez-moi ce petit corps maigre.
Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives à peine assezfermes pour soutenir un éventail.
» Il l'appelle également, par dérision devant son évanouissement à la vue d'uneépée, « chère Lorenzetta », diminutif féminin en italien.
Son aspect physique en fait donc le sujet des railleries oudu mépris du duc et des autres hommes.Il incarne également la débauche et la corruption ;en effet, pour parvenir à assassiner le duc, il est devenu sonbouffon et son compagnon de débauche ; il a aussi choisi de paraître grotesque.
Son évanouissement feint devantle duc fait partie de la comédie de la lâcheté qu'il lui joue, mais son âme s'est réellement corrompue : il est « devenuvicieux, lâche, un objet de honte et d'opprobre », il « aime le vin, le jeu et les filles » (111,3).Plutôt que de héros, on pourrait parler à son sujet d'anti-héros ; il ne sert pas de modèle, mais de repoussoir pour lereste de l'humanité.
Sa mère rougit de lui ; elle dit à la scène 6 de l'acte I combien il lui paraît « cruel [...] de nepouvoir parler de son fils ».
Nous avons vu le mépris qui s'étale dans les propos du duc.
Or, il semble partagé partoute la ville : « Le voilà la fable de Florence.
» Même à la scène 3 de l'acte III, lorsque Lorenzo révèle à PhilippeStrozzi la raison de sa conduite, ce dernier lui demande : « Es-tu dedans comme au-dehors une vapeur infecte ? » ;la violence de la métaphore montre bien la répulsion que les familles de Florence ont pour Lorenzo.
D'ailleurs, lenombre des surnoms péjoratifs dont il est affublé en témoigne ; le pire est celui du titre de la pièce : Lorenzaccio.Lorenzo, ou plutôt Lorenzaccio, n'est donc pas un héros traditionnel, mais il est bien un héros tourmenté et.
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