Dans La poésie moderne et la structure d'horizon (p.6), Michel Collot écrit: L'écriture poétique, loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors. Expliquez et discutez cette affirmation en fondant votre réflexion sur des exemples précis et d'époques diverses.
Publié le 09/12/2021
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Il faut que celui-ci taille dans un "marbre sans défaut". Les courts poèmes deviennent des bijoux d'orfèvre. On retrouve cette même approche dans les oeuvres de Théodore de Banville, qui remet en valeur les règles prosodiques dans Petit traité de versification française. Les poètes Parnassiens comme Leconte de Lisle, Sully Prudhomme ou Hérédia, refusant de traiter l'actualité politique ou d'étaler les souffrances et les affres de leur monde intérieur, privilégient la forme, et se coupent du "dehors" contemporain. Hérédia se perfectionne dans l'art du sonnet dans Les Trophées, et travaille notamment le dernier vers dans un souci de beauté formelle. Ainsi, dans "Soleil couchant": "Et le soleil couchant[...] / Ferme ses branches d'or de son rouge éventail". Théodore Banville, le jongleur verbal de L'Ode funambulesque, a également mis en avant l'intérêt et la valeur de la rime, ce que Verlaine rejettera au bénéfice de l'assonance. Ce souci de perfection verbale et esthétique, cette recherche de la beauté pour elle-même, est ainsi une expérience poétique qui s'apparente à une attitude de repli. La recherche de l'hermétisme, de l'obscurité et de l'élitisme en matière de poésie est une autre démarche qui envisage l'écriture poétique comme autosuffisante.
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\Sujet déposé : Dans La poésie moderne et la structure d'horizon (p.6), Michel Collot écrit: L'écriture poétique, loin de se replier surelle-même, vise constamment un dehors.
Expliquez et discutez cette affirmation en fondant votre réflexion sur desexemples précis et d'époques diverses.
A partir des travaux et des recherches des théoriciens formalistes, des réflexions des linguistes comme celles deJakobson, le poème a pu être envisagé comme une concrétion de mots, de phrases, de rythmes, de sons, comme unsystème formel clos sur lui-même, comme une structure privilégiant la fonction poétique, c'est-à-dire le messagepour lui-même, aux dépens de la fonction référentielle.
Toutefois, un certain nombre de critiques et d'auteurs ontpar réaction refusé de cautionner cette vision cloisonnée de l'art poétique en montrant, comme Michèle Aquien, quela poésie n'était pas que "linguistique".
Ainsi Michel Collot a souligné le lien irréductible qu'exige la poésie entre troisinstances, celles du sujet, du langage et du monde.
Dans La poésie moderne et la structure d'horizon, il affirmeégalement que "l'écriture poétique, loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors".
Il souhaite decette façon prendre ses distances avec une conception autotélique du poème, en mettant en avant la notion de"visée" et d'"horizon", en opposant l'image du repli, d'enfermement, à une image d'ouverture intentionnelle, enprivilégiant un mouvement centrifuge extatique à un mouvement centripète, ou à un monolithisme vain.
La poésien'est jamais, selon lui, enfermée sur elle-même.
Or, à diverses époques, des poètes ont prôné ce "repli", ce retour,cette suffisance du poème à lui-même, dans un mouvement formaliste ou élitiste.
Il est ainsi intéressant d'analyserla conception de l'écriture poétique de Michel Collot en montrant en quoi la fonction référentielle ne peut êtretotalement niée dans l'opération poétique, puis d'étudier certaines tentatives poétiques qui ont au contraire choisicette voie du "repli", pour enfin montrer que la poésie peut non seulement s'envisager comme "visée" d'un dehors,mais aussi comme exploration d'un dedans, celui de l'auteur (le sujet lyrique), voire de l'âme humaine en général.
* * * Soulignant l'impasse des recherches formalistes, qui aboutissent à l'enfermement du poème sur lui-même,quelques critiques et poètes ont mis en relief l'ouverture de l'½uvre poétique en faisant intervenir notamment lerôle du lecteur dans la réception du livre, qui n'est pas seulement un ensemble, mais aussi, selon les mots d'UmbertoEco, une "½uvre ouverte".
Pour Michel Collot, cette ouverture apparaît sous les termes de "dehors" et d'"horizon".La poésie "vise constamment un dehors" écrit-il.
Mais de quel "dehors" s'agit-il? Sur quel objet l'½uvre poétiqueporte-t-elle son attention? En fait, ce dehors peut être à la fois le premier destinataire du poème, c'est-à-dire lelecteur, un ensemble plus vaste représenté par la société ou encore le réel, le monde extérieur pris dans saglobalité.
Dans la poésie épique d'Homère, la poésie chantée des troubadours ou la poésie récitée des salons précieux oumondains, l'aspect oral de l'½uvre poétique met en avant sa fonction d'échange, de communication et dedestination.
Même pour Jacques Roubaud, "compositeur de mathématique et de poésie", la poésie doit être "dite".
Lepoème ne peut vivre sans lecteur, sans auditeur, il est destiné à être lu, à haute voix ou en toute intimité, mais ilsemble en tout cas s'adresser à quelqu'un, à un destinataire qui peut représenter ce "dehors" visé par l'écriturepoétique dont parle Michel Collot, s'apparenter en d'autres termes à la conscience du lecteur.
dans son épitaphe,Villon s'adresse ainsi aux "Frères humains" de la postérité.
Dans ses sonnets, Ronsard s'adresse à Hélène ou àCassandre.
Le poème se veut séduction dans tous les sens du terme, et notamment dans son sens étymologique etapologétique "se ducere", d'amener à soi.
La femme désirée est à la fois l'origine du poème et sa "visée".
Dans sesFables, La Fontaine s'adresse également plus ou moins directement à des êtres humains, au roi ou à la cour, àtravers ses morales.
La poésie officielle du XVIIème siècle, comme celle de Malherbe, auteur de "l'Ode à la reine", oula poésie satirique "vise", évoque ou interpelle des individus ou des lecteurs en particulier.
Dans Les Fleurs du Mal,Baudelaire choisit comme destinataire "l'hypocrite lecteur", son "semblable" et son "frère".
Le poème n'est pasconsidéré qu'en lui-même, mais comme une ½uvre qui va être parcourue, comme des instants qui vont êtrepartagés.
Sartre dira ainsi qu'il n'y a d'art que "pour et par autrui".
Le lecteur pourrait de cette façon être ce"dehors" visé dès l'écriture poétique, dès l'élaboration du poème ou du recueil par l'auteur lui-même.
Mais "l'horizon" envisagé par Michel Collot pourrait également s'apparenter à un ensemble plus vaste, à lasociété entière.
La poésie engagée semble en effet revendiquer la transmission d'un message destiné à lacivilisation, aux hommes et à leur société.
Elle se définit comme une action, une force agissante, comme une révoltecontre toute forme de soumission ou d'acquiescement.
Elle "vise" la tyrannie, la barbarie, la discrimination.
Qu'ils'agisse des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné qui "vise" les guerres de religion qui "afflig[ent]" la France, desChâtiments de Victor Hugo qui "vise" et ridiculise Napoléon III, de La Diane Française d'Aragon, ou des "Feuilletsd'Hypnos" de René Char, les mots deviennent des armes.
Forger des phrases, c'est alors prendre les armes pour un.
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