« Croyez-moi, ceux qui lisent sont plus intelligents, plus habiles, plus riches que ceux qui ne lisent pas. Et surtout, ils sont plus heureux. Ils ont toujours à portée de main un remède souverain pour combattre la tristesse, les soucis, le vide. »Michel TOURNIER.À l'aide d'exemples précis, commentez ce point de vue sur la lecture et dites dans quelle mesure vous le partagez.

« Dans nos sociétés de plus en plus vouées à la tyrannie de l'audiovisuel, avec toutes les images réelles ou virtuellesqui nous environnent de plus en plus (certains diront « qui nous submergent pour nous noyer ! »), dans nos maisons,dans les journaux, sur les murs des villes, la lecture (entendons celle de « livres » en bonne et due forme) reste,pour quelques esprits, ce que d'aucuns jugent rétrograde, le dernier critère de la civilisation : d'un côté une élite quis'évertue à maintenir les traditions de l'écrit et s'entête à se plonger dans les oeuvres littéraires pour mieux s'yretrouver ; d'autres (traités de « modernes » ou d'illettrés selon les points de vue), davantage ouverts sur lanouveauté, buvant avec avidité les images, désireux de se distraire avant tout.

Ainsi semble penser l'écrivain MichelTournier, affirmant avec autorité que « ceux qui lisent sont plus intelligents, plus habiles, plus riches » que lesautres.

Il ajoute en outre : « et surtout, ils sont plus heureux...

».

Ainsi donc, la lecture apporte non seulement lesavoir et l'intelligence mais, en plus, le bonheur.

Qu'en est-il exactement ? N'y a-t-il vraiment que la lecture quipuisse nous donner tout cela ? Ne faut-il pas apprendre à devenir un bon lecteur qui pourra ainsi acquéririntelligence et ouverture d'esprit ? Pourra-t-il ainsi, en plus, devenir heureux ? Ne pas lire est une attitude très répandue, y compris à l'école, où le travail essentiel du professeur de lettresdemeure celui-ci : obliger — car souvent il faut utiliser la contrainte, voire la coercition — ses malheureux élèves(dès le collège, voire, pourquoi pas, dès le primaire) à ouvrir cet objet de toutes les terreurs : un livre.

Maiscomment en est-on arrivé là, un siècle au moins après l'institution par Jules Ferry de l'école gratuite et obligatoireet, donc, l'assurance que chaque citoyen saura lire (et compter) ? Comment expliquer le pessimisme des sondagesselon lesquels un Français sur deux (ou à peu près) ne lit aucun livre ? On répondra, d'abord, que ce n'est pasnouveau et qu'on n'a, de toute façon, jamais autant lu qu'aujourd'hui ; que jamais, quoi qu'on en dise, les grandesoeuvres n'ont été autant lues : romanciers, poètes du passé sont publiés en livres de poche et exposés à laconvoitise de chacun.

Reste que le livre, en devenant un objet usuel et accessible a, peut-être, dès lors, perdu samagie.

Mais c'est une autre affaire.

On répondra ensuite que tout le monde lit, ou presque.

Mais que lit-on ? MichelTournier ne le dit pas explicitement, mais on peut supposer qu'il sous-entend des « livres » et même « des oeuvreslittéraires » passées ou contemporaines, et non des journaux ou des ouvrages à classer dans la rubrique « divers »et qui se multiplient désormais.

Car on continue à lire.

Certes, il y a de moins en moins de lecteurs de journaux, maisles publications de périodiques plus ou moins spécialisés sont de plus en plus nombreuses, sur les sujets les plusprécis (des échecs à la photo, de la moto à la cuisine légère).

De même, fleurissent les livres de souvenirs, demémoires, de conseils pratiques ou d'astrologie.

Apparemment, pour Michel Tournier, ces livres-là ne rendent pas «plus intelligents ».

On pourra toujours dire qu'un livre scolaire améliore la culture, qu'un livre de bricolage rend « plushabile », qu'un livre de Sulitzer rend plus « riche » (ne serait-ce que son auteur !), de même que tous ces ouvragesqui apprennent à ceux qui n'ont pas encore perdu leur emploi comment placer judicieusement leurs économies.

Onajoutera que, pour être plus heureux, les conseils de madame Nadine de Rotschild auront une certaine efficacité(surtout si on est du même milieu social que cette charmante dame).

« Tristesse, souci, vide » disparaîtront devantles bonnes histoires de Michel Lebb ou de Lagaff (?) ou le livre des « grosses têtes » (ça existe) : les livres ontaujourd'hui tendance à devenir un sous-produit des oeuvres télévisées pour leur conférer une sorte d'éternité,comme si chacun pressentait qu'envers et contre tout, l'écrit seul pouvait donner aux choses une forme vraimentdurable. On se demande pourtant, si l'on passe sur la différence de « support », quelle différence il y a entre ce genre delivres et les mêmes insanités entendues ou vues.

Il y a, en effet, de « mauvaises lectures » comme il y a, parailleurs, de très bons films et d'excellentes émissions de télévision.

Comment croire aux vertus de la suite d'Autant en emporte le vent, ou à celles des exploits de Son Altesse Sérénissime ou d'OSS 117 ou encore à certains romans de gare, et aux élucubrations de certains récits d'anticipation ? Quant à gagner en intelligence, en habilité et enrichesse intérieure, on peut autant le faire au cinéma, devant son poste de télévision, pas seulement en regardantdes émissions dites « culturelles » ou les quelques émissions littéraires qui demeurent sur les dernières chaînespubliques.

L'image peut être un prodigieux moyen de culture, et certaines oeuvres cinématographiques sont pour lemoins aussi riches, aussi pleines et complexes que certains livres, quand elles sont signées Fritz Lang ou Visconti,par exemple.

Quant au bonheur, le spectateur « hédoniste » peut le trouver, en toute simplicité, au cinéma, devantcertains films qui l'émerveillent : une comédie musicale signée Gene Kelly ou Stanley Donen, où l'on chante sous lapluie sans aucun complexe, un western où les beaux yeux clairs de Gary Cooper reflètent les grands espaces del'ouest américain, des films noirs aux images comme sculptées dans le noir et blanc, traversées par l'imperméablemythique de Bogart et le sourire ironique de Lauren Bacall.

Bref, le bonheur existe, même devant les images et « àportée de main », le cinéphile a désormais toujours une cassette vidéo qui lui donne quatre-vingt-dix minutesd'ineffable.

Il suffit de savoir choisir, « pour combattre la tristesse, les soucis, le vide », les armes adaptées ; c'est-à-dire de grandes oeuvres, quelles qu'elles soient.

Certains préféreront manger des chips ou des chamallows ;d'autres s'absorberont dans la collection Harlequin ou les oeuvres complètes de Barbara Cartland.

Qu'est-ce qui est,pour la santé mentale et physique, le plus dangereux ? Devant certains livres, en effet, on se sent animé de la fougue d'un Jean-Jacques Rousseau interdisant à sonimaginaire disciple Émile la lecture d'un livre quelconque : un livre, c'est, en effet, un corps étranger, un objet quivient de l'extérieur, qui n'est donc pas « nous », une sorte de virus qui vient nous infecter, alors que l'idéal serait,bien sûr, de tout apprendre par nous-mêmes, par l'expérience, par une découverte personnelle : utopie, certes.

Onimagine le temps qu'il faudrait à chaque enfant pour redécouvrir seul les bases de tout savoir.

Mais l'idée est justeaussi : tourner son regard sur le dedans n'est-il pas plus fructueux que d'accumuler, par les livres, une connaissancequi n'est pas vraiment à soi et qui nous imposera, en quelque sorte, une manière de voir les choses qui ne sera pastout à fait nôtre ? Ainsi, Émile apprendra l'astronomie par l'expérience, en regardant le ciel.

Une seule lecture lui serapermise : celle de Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

Comment se débrouiller seul, voilà un sujet intéressant pour un. »