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Corrigé de l4EAF sur juste la fin du monde de lagarce

Publié le 19/05/2024

Extrait du document

« L’intitulé du sujet invite à interroger la portée de la pièce de Jean-Luc Lagarce Juste la fin du monde : drame simplement « intime », personnel, ou alors universel ? Affaire d’un seul, ou de tous ? Il prend en compte la double signification du mot « drame », qui désigne à la fois une pièce de théâtre et une « situation individuelle pénible et dangereuse ».

L’adjectif « intime », si l’on reprend la définition du Cnrtl, renvoie « à un niveau très profond de la vie psychique, qui reste généralement caché sous les apparences ». Plusieurs démarches sont donc envisageables pour traiter le sujet : l’élève peut s’intéresser à la façon dont la pièce fait affleurer un « drame intime », celui de Louis d’abord, le protagoniste de la pièce venu annoncer à sa famille sa mort prochaine.

Il lui est aussi possible d’étudier comment ce premier drame met au jour d’autres drames individuels, lesquels trouvent leur expression dans une crise familiale.

Il peut également interroger la dimension universelle des « petites tragédies » intimes à l’œuvre dans le texte lagarcien, qui invitent à une réflexion plus vaste sur le drame de la parole et l’incapacité des hommes à communiquer leurs peines. Juste la fin du monde : drame intime de Louis.  Monodrame de Louis. L’intrigue que Lagarce choisit de mettre en scène dans Juste la fin du monde place d’emblée la pièce sous le signe de l’intimité.

Celle-ci se présente en effet comme un huis clos familial à cinq personnages – la mère, sa fille, ses deux fils, la femme de l’un des fils –, qui se déroule « un dimanche, évidemment », dans la maison où vivent la mère et sa fille.

La fable est mince: le fils aîné, Louis, revenu voir les siens après plusieurs années d’absence pour leur annoncer qu’il va mourir, repart « sans avoir rien dit de ce qui [lui] tenait à cœur », sans avoir même poussé un « grand et beau cri ».

Il est possible de rappeler, tout en la nuançant, la dimension autobiographique de la pièce, projet très personnel de l’auteur, qui trouve son origine dans des sources vécues (la crise personnelle de juillet 1983, mentionnée dans le Journal de Lagarce, les relations souvent tendues que l’auteur a entretenues avec sa famille, sa maladie tenue secrète). Le drame intime qui se joue dans Juste la fin du monde est donc avant tout celui de Louis, drame qui a déjà commencé dans les coulisses.

C’est la voix de Louis qui se fait entendre au seuil de l’œuvre, à travers un prologue qui se présente sous la forme d’un monologue.

Le jeune homme y expose la crise personnelle qu’il traverse depuis « de nombreux mois déjà » : il se sait condamné, affronte la peur, l’attente de sa « mort prochaine et irrémédiable ».

C’est encore sa voix, toujours solitaire, qui résonne dans l’épilogue.

Dès lors, l’ensemble de Juste la fin du monde semble orienté de son point de vue, et le dialogue qu’il noue avec les membres de sa famille peut être interprété comme l’extériorisation de son drame intime, la projection de sa scène intérieure.

Le dispositif choisi fait alterner les scènes de dialogue entre les membres de la famille et plusieurs monologues (I,5 ; I,10 ; II,1), tous attribués à Louis.

Ces monologues, sortes d’absences suspendues au temps dramatique, figurent comme autant de récitatifs qui révèlent l’intériorité tourmentée du personnage, tout en exhibant sa singularité au cœur de sa famille.

Il en va de même pour l’« Intermède » dont la scène 3 évoque un « rêve » dans lequel le protagoniste redevient un enfant.

De cette façon, Juste la fin du monde peut s’analyser selon l’angle du « théâtre intime » initié par Strindberg, et plus particulièrement comme « monodrame ».  Dire / ne pas dire sa mort. Le premier drame intime auquel Louis est confronté se trouve dans le combat qu’il va livrer pour se décharger auprès des siens du poids de son secret.

Dans le prologue, il exprime avec force ce qui l’a décidé à revenir auprès des siens : la volonté de se faire le « messager » de sa propre mort.

Mais « rien jamais ici ne se dit facilement » ; pris dans le flot des rancœurs familiales, Louis repart sans avoir révélé son sort.

Pourtant, ironiquement, le dramaturge offre au jeune homme plusieurs occasions de dévoiler son secret.

Ce dernier reste tu cependant : Louis, venu pour « dire », se trouve frappé d’aphasie au contact des autres.

Sa parole est sans cesse suspendue ou mise à mal, comme lorsque Catherine lui dit dans la scène 6 de la première partie : « Ne me dites rien, je vous interromps / il est bien préférable que vous ne me disiez rien », invitant le jeune homme à se confier à Antoine plutôt qu’à elle.

Or, tout ce que Louis révèlera à Antoine c’est qu’il est arrivé dans la nuit — révélation dont Antoine ne veut pas : « Pourquoi est-ce que tu me racontes ça ? / Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? ».

Ainsi, la pièce peut être lue comme l’échec de Louis, ou plus précisément l’échec de la parole de Louis, annoncé et pressenti par La Mère dans la scène 8 de la première partie : « […] Tu te dis peut-être aussi, je ne sais pas, / je parle, / tu te dis peut-être aussi que je me trompe, / que j’invente, / et qu’ils n’ont rien à te dire / et que la journée se terminera ainsi comme elle a commencé, / sans nécessité, sans importance.

Bien.

Peut-être.

».

Les mots salvateurs qu’il voulait prononcer et qu’il voulait entendre, Louis ne les aura pas.

Son message se transformera en un cri, évoqué dans l’épilogue, cri retenu, jamais proféré, la nuit, le long d’un viaduc, mais tout autant regretté.  Solitude de Louis. Le voyage que Louis entreprend auprès des siens révèle un autre drame intime, bien plus profond, vécu par le personnage.

Ce dernier réalise dans le monologue de la scène 5 de la première partie que s’il est revenu dans la maison familiale, c’est d’abord pour tenter d’exorciser la peur de l’oubli, la peur de ne plus être aimé qu’il ressent depuis l’enfance.

Le jeune homme semble en effet souffrir d’un déficit affectif qui l’amène à toujours se sentir comme un étranger auprès de sa propre famille et de ceux qui l’entourent : « […] mes parents et tous ceux que j’approche ou qui s’approchèrent de moi, / mon père aussi par le passé, admettons que je m’en souvienne, / ma mère, mon frère là aujourd’hui / et ma soeur encore, / que tout le monde après s’être fait une certaine idée de moi, / un jour ou l’autre ne m’aime plus, ne m’aima plus / et qu’on ne m’aime plus / (ce que je veux dire) / « au bout du compte », / comme par découragement, comme par lassitude de moi, / qu’on m’abandonna toujours car je demande l’abandon.

» Le retour dans la maison natale fait donc resurgir un drame intime plus ancien, celui qui, dans le passé, a amené Louis à « fausser compagnie » une première fois à sa famille, celui de son « abandon » initial – comme le dit Suzanne, c’est « là que ça commence ».

Les raisons de ce départ demeurent mystérieuses : pourquoi Louis est-il parti pour ne conserver avec les siens qu’une relation épistolaire, fondée seulement sur des « lettres elliptiques » ? Les deux premières scènes de la première partie semblent éviter soigneusement le sujet de la cause du départ.

C’est Suzanne qui l’aborde dans la troisième scène, sous le mode du reproche : « Ce n’est pas bien que tu sois parti, parti si longtemps ».

Toutefois, la jeune femme avoue tout ignorer des raisons de la fuite de son frère : elle « imagine, mais ne sait rien de la réalité ». Dispute avec le père, mort depuis, à cause de l’homosexualité du fils, laquelle n’est que très vaguement suggérée ? Rejet de son milieu social par Louis devenu écrivain ? Le drame de Louis restera d’autant plus intime que ses raisons ne seront jamais clairement précisées. Dans la scène 3 de la deuxième partie, Antoine évoque pourtant le sentiment de désamour dont a souffert son frère, sentiment auquel les siens n’ont pas su répondre: « les parents en parlaient devant moi comme on ose évoquer un secret dont on devait me rendre également responsable ».

De fait, Louis semble s’être longtemps pensé en paria, en mal-aimé. Pour assumer sa différence, il s’est composé un personnage, celui de « l’Homme malheureux », soucieux de « paraître » fort, quitte à devenir un « tricheur », un égoïste ne prenant aucune responsabilité extérieure à sa vie.

Le drame intime de Louis est celui d’une solitude qu’il a lui-même édifiée autour de lui comme une cage de verre, d’une forme.... »

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