CONFUCIUS ET LE CONFUCIANISME
Publié le 23/12/2021
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La philosophie sociale et politique du confucianisme 6 En effet, elle applique les principes moraux qui régissent la société familiale aux questions relatives à la vie publique et elle exige, pour le gouvernement de la société, des capacités et des vertus analogues à celles que demande le gouvernement de la famille. Celui qui développerait « pleinement » les vertus familiales, observe le philosophe Mentse, « serait capable de gouverner l'empire » ; celui qui les néglige « n'est même pas capable de remplir ses devoirs envers ses parents ». (L. II, Ch. 1, 6.) Je laisse au lecteur de suivre le R. P. Kao dans le développement de cette thèse et de toutes celles qui lui sont connexes ; il les a étudiées et approfondies chez les trois grands philosophes Confucius, Mentse et Suntse. Il expose leur conception de l'homme et de la société, étudiant la pensée chinoise primitive sur « la loi de la vie sociale » et sur les applications de cette loi dans la famille, dans l'État et dans la « société universelle », telle que, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, le confucianisme a l'ambition de concevoir pareille société. Qu'on ne s'étonne pas de cette disposition d'esprit qui, jusqu'à nos jours, est demeurée très étendue en Chine. L'État chinois constituait, dans son milieu, l'unique « grande puissance », consciente des valeurs culturelles et morales qui étaient son premier trésor, assez forte pour être aisément pacifique et mettant cette force à rechercher et à maintenir l'équilibre et la paix. La famille chinoise fut pénétrée de cet esprit, qui peut donner aux citoyens et aux institutions d'un grand pays un sens habituel de pondération et de magnanimité. Les troubles et les guerres, qui hélas, en Chine comme en Europe, ont été les jalons de l'histoire, n'ont jamais modifié chez nous cette disposition fondamentale de l'esprit et du cœur de notre peuple, de nos familles et de nos populations. * En conclusion de son étude, le R. P. Kao ébauche une comparaison entre le confucianisme et le christianisme. Elle est plus spécialement destinée au lecteur chrétien, pour lui permettre de juger à la mesure des idéaux chrétiens l'idéal et les prescriptions du confucianisme. Ceci ouvre un très grand problème. Le lecteur non-chrétien, tant La philosophie sociale et politique du confucianisme 7 d'Europe que d'Asie, peut trouver opportun de ne pas le sous-estimer. Dans les ouvrages dont Confucius se dit le simple compilateur et qui remontent au deuxième et troisième millénaire avant l'ère chrétienne, nous trouvons, à chaque pas, les traces d'un culte religieux rendu au « Souverain Seigneur de l'Auguste Ciel », dont le temple ne comprit jamais aucune idole, dont l'Empereur était le mandataire, ayant, comme premier devoir, d'offrir des sacrifices au Ciel, au Ciel Maître des événements, Providence, Suprême Justice, Suprême Bonté, Rémunérateur, Père. De même que, pour le confucianiste, la pratique de la piété filiale au sein de la famille est l'école de la vie sociale, ainsi, à l'origine de nos institutions, la compréhension des rapports de l'homme avec le Ciel et la pratique religieuse qui s'ensuit sont considérées comme ouvrant l'esprit à la compréhension de la vie de la cité et à l'acquisition d'un juste sens gouvernemental. Le Li Ki déclare : « L'influence des enseignements que les sacrifices comportent pour l'instruction du peuple et la réforme des mœurs atteint les choses dans leur principe. (XXIII, 9.) Et encore : « Celui qui connaissait parfaitement l'idée qui préside au sacrifice était un prince véritable ; celui qui savait la mettre en pratique était un vrai ministre d'État. Quelle sereine grandeur, quelle majestueuse unité dans cette conception synthétique de la vie de l'homme sur la terre ! Or, par un souci vraiment sincère de réalisme, par cette crainte très légitime d'erreur, qui retenait Confucius chaque fois que la question religieuse se posait devant lui, — les commentateurs du Maître ont cru prudent de limiter leurs prescriptions à la morale privée et publique dont la loi naturelle garde le dépôt et ils ont estimé sage de ne pas s'avancer plus loin et de laisser sans réponse la question de l'origine et de la fin de l'homme et celle des rapports de l'homme avec celui que nos anciens sages et philosophes appelaient « avec le plus profond La philosophie sociale et politique du confucianisme 8 respect » le Souverain Seigneur de l'Auguste Ciel. Cette discrétion a donné lieu à beaucoup de confusion. Elle a, de plus, ouvert la Chine tout entière au bouddhisme. Car l'homme est un être religieux. Le sens religieux, que nos lettrés craignaient de fausser et se refusaient à développer, dévia dans une direction qui comportait une vive piété, mais en même temps, beaucoup de superstitions et de conséquences fâcheuses. Par son attitude négative, le bouddhisme, basé sur le mépris des choses temporelles, a contribué beaucoup au défaut de sens public des populations qui, malgré les enseignements si formels du confucianisme, ne furent pas en mesure de collaborer, comme il l'aurait fallu, aux progrès du pays et aux développements de l'avenir national. * Que sera, du point de vue des valeurs morales et spirituelles, la Chine de demain ? Le confucianisme nous apparaît si « humain » que nous ne pouvons le supposer limitativement « chinois ». D'autre part, dès le XVIIe siècle, aux yeux d'un de nos hommes d'État les plus distingués, Siu Koang-K'i, le christianisme apparaissait si « divin » qu'il ne pouvait le supposer limitativement « étranger ». Nécessairement, une vraie religion « humanise » les hommes. Quoi qu'il en soit, de grands problèmes se posent, aujourd'hui, en Chine comme ailleurs, pour tout homme qui a le courage de réfléchir et de penser. L'étude des points de rapprochement entre l'idéal confucianiste et l'idéal chrétien peut éclairer un certain nombre de ces problèmes. Il faut savoir gré au R. P. Kao d'amener le lecteur à se les poser. Son livre appelle d'autres livres, pour approfondir progressivement les domaines divers sur lesquels, si judicieusement, il attire et retient l'attention. TSIEN TAI, Ambassadeur de Chine à Bruxelles. Bruxelles, le 1er juillet 1938. La philosophie sociale et politique du confucianisme 9 AVANT-PROPOS @ La philosophie Sociale et Politique est « la Grande Science : Ta-hio » du confucianisme. La présente étude en expose les grands principes et les principales applications dans l'enchaînement méthodique que leur a donné l'âge d'or du confucianisme et qui les lie en un système très simple et très complet. Elle est basée entièrement sur les textes originaux des livres classiques chinois. Pour la traduction de ces textes, nous avons tenu compte des travaux du père Couvreur, S. J., sur les Quatre Livres, sur le Chou-king et du « Catéchisme de Confucius » de MM. Kou-Hong-Ming et Francis Borrey. Bien souvent cependant, — en général, pour des questions de nuances, — nous avons estimé devoir donner une traduction dont la portée se différencie du sens auquel ces auteurs se sont arrêtés. Quant aux livres de Suntse, il n'en existe pas encore de traduction française. * Nous devons ici un hommage de reconnaissance à la Faculté de Droit de l'Université catholique de Lille, à son vénéré Doyen, M. Eugène Duthoit, à M. Maurice Gand, Directeur de l'École des Sciences Sociales et Politiques et, particulièrement, au Révérend Père J. Delos, O. P., professeur à la Faculté de Droit, dont les sages conseils nous ont assuré une aide précieuse. @ La philosophie sociale et politique du confucianisme 10 ABRÉVIATIONS des ouvrages fréquemment cités @ Chk = Chou-king, Les Annales des Empereurs Yk = Y-king, Livre des Mutations Lk = Li-ki, Mémoires sur les Bienséances et les Cérémonies Ly = Lun-yu, Entretiens de Confucius avec ses disciples Th = Ta-hio, Grande Science Ty = Tchoung-young, Juste Milieu Mt = Mentse, Livres de Mentse St = Suntse, Livres de Suntse. @ La philosophie sociale et politique du confucianisme 11 INTRODUCTION @ § 1. — L'ORIGINE DU CONFUCIANISME p.007 Le confucianisme s'appelle en chinois : Jou-Kia, l'école des Jou. Au temps de la Dynastie des Tcheou, (1122 à 255 avant JésusChrist) le terme Jou désignait, d'une part, les savants, les philosophes et les érudits, et, de l'autre, les maîtres de l'enseignement public chargés par l'État d'enseigner au peuple la législation civile et les doctrines morales des anciens sages. Ces maîtres connaissaient les livres classiques : le Chou (Les Annales des Empereurs), le Cheu (Les Poèmes), le Y (Le Livre des Mutations) et les Li (Les Rites et les Lois) et ils possédaient les six arts libéraux, à savoir les rites et la musique, l'escrime et l'art de conduire un char, la calligraphie et l'arithmétique. À l'époque de Confucius (551-479 avant Jésus-Christ), l'ordre social, basé sur le régime féodal, subissait les premières secousses du bouleversement qui allait le renverser et le système de l'éducation publique, comme beaucoup d'autres institutions sociales, tombait déjà en décadence. Confucius se proposa de rétablir l'ordre dans l'empire en préparant une équipe de fonctionnaires compétents et vertueux, qui sauraient mettre en pratique les principes des anciens sages. De tous côtés, des jeunes gens affluèrent vers lui. Le caractère traditionnel de cet enseignement valut à l'École de Confucius d'être appelée Jou-Kia ; ses disciples furent nommés les Jou. La doctrine de l'École des Jou est essentiellement la sagesse traditionnelle des anciens rois, sages et vertueux, dont les hautes physionomies ouvrent l'histoire nationale de Chine ; au troisième millénaire avant Jésus-Christ : Yao (vers 2357-2285), Chouen (vers 2285) et Yu (vers 2205) ; au second millénaire : T'ang (vers 1766), Ouen-ouang (vers 1200) et Ou-ouang (vers 1122). Aux noms de ces souverains, il faut joindre ceux de leurs ministres intègres tels que Kaoyo (sous Chouen et Yu), Yyin (sous T'ang) et Tchou-koung (sous Ouen La philosophie sociale et politique du confucianisme 12 et Ou). Confucius a repris cette tradition glorieuse ; il en a colligé et perfectionné les données en les développant en un système complet et, par l'intermédiaire de ses disciples, il l'a transmise aux générations qui allaient suivre. C'est ainsi qu'il est considéré comme le Maître et le fondateur de l'École des Jou. Il n'est p.008 pas cependant l'auteur unique et premier de la doctrine qui porte son nom. Lui-même en porte témoignage : « Je transmets et je commente les enseignements des anciens ; je n'invente rien de neuf. Je donne ma confiance aux anciens et je les aime 1. Et dans Le Juste Milieu (Tchoung-young), son petit-fils, Tseu-sée écrit : « Confucius enseigna la doctrine originelle transmise par les empereurs Yao et Choen et il adopta et perfectionna les lois et les institutions établies par les empereurs Weng et Wou 2. Aux yeux de Confucius ces empereurs et ces ministres sont des hommes accomplis en sagesse et en vertu ; il les présente aux princes comme les meilleurs modèles à imiter. Leur pensée et les principes dont elle s'inspira sont recueillis dans le Livre des Annales des empereurs, le Chouking, qui de ce chef, est le principal ouvrage canonique dont s'inspire l'École des Jou. L'héritage spirituel que cette École a reçu des anciens peut se résumer en quelques préceptes qui entassent les principaux devoirs d'État des hommes de gouvernement. 1° Aimer le peuple, le renouveler moralement et lui procurer les moyens nécessaires pour l'entretien de sa vie quotidienne. 2° Pour ce motif servir en premier lieu avec un souverain respect Celui qui est le Suprême Dominateur. 3° Cultiver la vertu personnelle et viser sans cesse à la perfection. 4° Dans la vie privée comme dans la vie publique, observer toujours la voie supérieure du « Juste Milieu ». 5° Tenir compte des deux sortes d'inclinations de l'homme : les unes viennent de la chair et sont dangereuses ; les autres appartiennent à la raison et sont très subtiles et 1 Ly, VII, 1. 2 Ty, 30. La philosophie sociale et politique du confucianisme 13 faciles à perdre. 6° Pratiquer les devoirs des cinq relations sociales. 7° Avoir pour objet final la paix universelle et le bonheur général. Ces principes sont devenus les idées maîtresses du confucianisme, largement développées dans la suite par les maîtres de l'École. Parmi les anciens sages dont il était héritier, Confucius portait une affection et une vénération toute particulière au duc Tchou Koung Tang, fils du roi Ouen, frère du roi Ou, et auteur principal de la splendide civilisation de la dynastie des Tchou. Il rêvait d'être le successeur moral de ce grand homme d'État, et se proposait de renouveler les institutions faites par lui et de les remettre en pratique. En effet, les institutions civiles et religieuses qui sous le nom global de rites furent établies sous la direction de Tchou-koung-T'ang étaient plus parfaites que celles des âges p.009 précédents et elles étaient encore partiellement en usage à l'époque de Confucius ; leur restauration rencontrait donc moins de difficultés. 1 Au titre de continuateur et de restaurateur de la tradition nationale, Confucius eut un rôle très important dans l'histoire de la Chine. Grâce à lui, les plus anciens documents historiques et littéraires du peuple chinois furent sauvés de la disparition à une époque extrêmement critique ; avec ces documents fut aussi sauvée ce que nous pouvons appeler l'âme de la race chinoise. De plus, la fondation de l'École des Jou par Confucius fut le principe de la floraison intellectuelle la plus splendide de Chine que les historiens ont qualifiée « l'époque classique des philosophes ». Pour la maîtrise supérieure qu'il déploya dans la conservation de la doctrine traditionnelle, Confucius est comparé à ces anciens empereurs les plus vertueux et les plus sages dont il sauva la pensée et qui, tant au point de vue matériel qu'au point de vue spirituel, ont si bien mérité du peuple chinois 2. Les générations postérieures ont appelé Confucius « le Maître des Maîtres », et encore le « Maître de dix mille siècles ». De fait, pendant plus de vingt siècles 1 Ly, III, 14. 2 Mt, L. III, Ch. 2, 9 ; L. V. Ch. II, 1. La philosophie sociale et politique du confucianisme 14 sa doctrine a façonné l'âme du peuple chinois, et aujourd'hui encore, son influence spirituelle s'exerce profondément. § 2. — LA VIE ET LES ŒUVRES DE CONFUCIUS Le nom de Confucius est K'iou ; son surnom Tchounggny. Le mot Confucius vient d'un groupe de mots chinois : Koung-Fu-Tse qui signifient : le vénéré Maître Koung ; c'était l'appellation quotidiennement en usage parmi les disciples du philosophe ; les missionnaires du XVIIe siècle ont latinisé ces mots en les réunissant sous le nom de Confucius. Actuellement, en Chine, on appelle communément notre philosophe du nom de Koung-Tse, c'est-à-dire le philosophe Koung ou le maître Koung. * Confucius naquit en l'an 551 avant Jésus-Christ dans le royaume de Lou, actuellement la province du Shantoung. Sa famille était noble et de descendance princière. Son père, Sou Lian Hi était déjà très vieux. Sa mère étant, nous dit-on, en prières sur la colline Gny, obtint cet enfant de la bonté du Ciel. L'enfant était d'un heureux naturel ; il se p.010 plaisait aux « rites » (li) de ses pères et aimait à s'y exercer. Très tôt il fut privé de son père et grandit sous la tutelle vigilante d'une mère qui a laissé le souvenir d'une grande piété. À quinze ans, il se met à étudier les doctrines des anciens sages, et y fit de tels progrès que sa connaissance des Rites, c'est-à-dire des institutions religieuses et civiles, lui valut une réputation précoce attirant de toutes parts des jeunes gens qui venaient à lui comme à un maître. Vers 30 ans, il se rendit dans la ville impériale de Loyan, pour y compléter sa formation intellectuelle ; il y rencontra le célèbre philosophe Lao-tse, père du taoïsme. De retour dans son pays, il ne put y poursuivre longtemps sa tâche éducatrice qui groupait autour de lui des élèves de plus en plus nombreux. Des troubles publics le contraignirent de gagner le royaume de Ts'i. Ayant été informé de sa présence, le prince King, souverain de Ts'i, s'enquit auprès de lui du meilleur principe de gouvernement. Confucius La philosophie sociale et politique du confucianisme 15 lui répondit : — Le prince doit être véritablement prince, le ministre véritablement ministre, le père véritablement père, le fils véritablement fils. Cette laconique glorification du devoir d'État plut tellement au prince qu'il voulut retenir Confucius et faire de lui son ministre. Un ministre en charge parvint à empêcher la réalisation de ce projet. Rentré à Lou, Confucius fut, à plusieurs reprises, chargé de fonctions administratives. De préfet de la ville de Tchoung-tou, il fut élevé à la fonction de ministre de la Justice. L'histoire a gardé le souvenir de ses démêlés avec le puissant préfet Siaotchengmao, qui par les sophismes dont il émaillait ses discours pervers, tenait les esprits en effervescence. Confucius mit un terme à ses agissements et le condamna. Faisant fonction de premier ministre, il se rencontra, à Kiaku, comme délégué du royaume de Lou avec les ambassadeurs du royaume de Ts'i. Il y déploya une grande habileté diplomatique, il sut abaisser l'orgueil du royaume de Ts'i qui, par la présence de troupes aux abords du congrès, avait cherché à l'intimider, et il réussit à recouvrer pour son pays le territoire antérieurement perdu. Dans sa politique intérieure, en trois mois de temps, il avait si bien noué la réforme du royaume de Lou que le prince de Ts'i en prit ombrage, et recourut à un stratagème pour faire échouer cette œuvre : il envoya au prince de Lou un chœur de danseuses, dans le dessein de détourner ce souverain de l'accomplissement de ses devoirs. Le prince de Lou tomba dans le piège ; trois jours de suite, il s'abstint de réunir son conseil quotidien et d'offrir le sacrifice rituel. p.011 Confucius, voyant que ses efforts resteraient infructueux, renonça à poursuivre sa tâche et, accompagné de ses disciples, entreprit un voyage à travers l'empire. Il espérait rencontrer quelque souverain qui lui permettrait de mettre à l'épreuve sa doctrine de réforme, fondée sur les vertus d'humanité et de justice naturelle. Nulle part il ne fut agréé. De passage dans le La philosophie sociale et politique du confucianisme 16 royaume de Tcheng il fut réduit, huit jours durant, à la plus extrême pauvreté ; dans le royaume de Song, il fut persécuté par le puissant ministre Houang-tei et faillit être massacré. Après treize ans d'absence, il rentra dans sa patrie ; il avait alors 68 ans. Il renonça à briguer une fonction de ministre et se livra tout entier à l'éducation de la jeunesse et à la rédaction et correction des livres classiques. À l'âge de 73 ans, en 479 avant Jésus-Christ, Confucius mourut ; il fut enterré à Ciufou, dans le Shangtong. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage qui est demeuré en vénération. Comme le prouve toute son œuvre, comme l'attestent en particulier ses Entretiens, Confucius était doué d'une vie morale des plus hautes, qui aidait considérablement le développement de sa très profonde vie intellectuelle. Actif, courageux et d'une dignité supérieure, doté d'une perspicacité géniale, d'un sens inné de la psychologie du cœur humain et de la haute perfection à laquelle l'homme est appelé, il déploya toute son inlassable énergie à réaliser en lui-même et, ensuite, à diffuser autour de lui l'idéal de vie dont il détenait le trésor. Il avait pénétré toute la valeur des institutions sociales dans lesquelles les premiers grands sages de Chine avaient condensé les enseignements de la loi naturelle et il savait, avec un discernement supérieur, se conformer aux rites de lois morales rédigés par lui, et transmis à ces disciples immédiats pour devenir la base de la pensée chinoise jusqu'à nos jours. Son autorité tient autant à son exemple qu'à son enseignement. Il aimait tous les hommes ; il respectait la parole donnée ; il croyait en Dieu et observait avec la plus sincère et profonde vénération les lois fixées par la Providence. Il fut surtout un infatigable chercheur de la sagesse, un admirable éducateur. Dans l'éclat de ses talents, il fit preuve, en toute circonstance, d'une surprenante modestie. La philosophie sociale et politique du confucianisme 17 Vers le déclin de ses jours, le philosophe pourra en toute sincérité décrire ainsi son évolution intellectuelle et morale : — A l'âge de quinze ans, mon esprit était continuellement adonné à l'étude ; à trente ans, je m'étais arrêté en des principes solides et définitivement établis ; à quarante p.012 ans, je n'éprouvais plus d'hésitation ; à cinquante ans, je connaissais les lois de la Providence ; à soixante ans, je saisissais facilement les causes des événements ; à soixantedix ans, mon cœur trouvait la satisfaction de ses désirs dans l'équilibre de la juste mesure. 1 Ces lignes décrivent le progrès constant du Maître vers la sagesse et la perfection. L'élévation morale de Confucius a exercé une très profonde influence sur les disciples qui, l'ayant suivi, l'ont admiré de tout leur cœur. Yen-yuan le considéra comme son père 2 ; Tseu-Tchang, l'élève plus haut que Yao et Chouen les deux empereurs les plus parfaits de l'antiquité 3 ; Tseu-Koung compara son rayonnement à celui du soleil et de la lune 4 ; et Yeou-Jo dit : « Depuis qu'il existe des hommes, il n'y a pas eu de plus grand jusqu'à nos jours que Confucius » 5. Conservés grâce à Confucius, les anciens livres canoniques de Chine sont le fondement de l'École des Jou ; ils s'érigent tel un monument imposant, qui ouvre l'histoire de la vie, de la pensée et de la littérature chinoises. Ces ouvrages sont au nombre de six : le Y-king (le Livre des Mutations), le Chou-king (les Annales des empereurs), le Cheu-king (le livre des Poèmes), le Li-king (les Livres des Rites), le Tchouen-ts'iou (le Printemps et l'Automne) et le Yo-king (le Livre de la Musique). Confucius en colligea et réunit les éléments et il leur donna la forme définitive dans laquelle il les transmit à ses disciples. 1 Ly, II, 4. 2 Ly, XI, 10. 3 Mt, L. II, Ch. 1, 2. 4 Ly, XIX, 24. 5 Mt, L. II, Ch. 1, 2. La philosophie sociale et politique du confucianisme 18 L'œuvre personnelle de Confucius dépasse de beaucoup ce premier travail et elle se développe dans les enseignements qu'il départit à ses disciples et que ceux-ci consignèrent dans Les Entretiens et dans un grand nombre des traités réunis ensuite dans le Li-king. Dans toute cette œuvre de collation, de rédaction et d'éducation, Confucius s'avère grand et magistral par le souci constant d'objectivité qui l'anime. Il avait, en colligeant les ouvrages classiques, décrit avec respect les principes et les manifestations de la foi religieuse des aïeux. Dans son enseignement personnel, on lui trouve, à ce sujet, une prudence sans cesse en éveil ; il craint de franchir les limites du vrai et de tomber en quelque superstition ; c'est pourquoi il se cantonne à l'étude de l'ordre naturel, à la recherche des principes de la loi morale et à leur mise en pratique. Cette disposition intérieure constante ressort particulièrement de la lecture du Tchouen-ts'iou. p.013 Examinons maintenant le contenu des livres classiques chinois tel qu'il est parvenu jusqu'à nous : 1. Le Y-king (Livre des Mutations). C'est le plus ancien, il date environ de l'an 3000 avant Jésus-Christ. Il est attribué à quatre sages. Fuhi (vers 2850 avant J.-C.) qui conçut le Pa-Koua, autrement dit les huit trigrammes symboliques ; Ouen-ouang (première moitié du douzième siècle avant J.-C.) multiplia ces trigrammes jusqu'à 64 hexagrammes, son fils Tchou-koung T'ang y ajouta des explications imagées ; enfin Confucius en écrivit les commentaires ou gloses. Telle est du moins l'opinion traditionnelle. La critique moderne contredit cette manière de voir et prétend qu'il est impossible de préciser avec certitude quelles sont les parties des gloses ou commentaires écrits par Confucius. On admet généralement cependant que les commentaires furent composés tout au moins par les disciples du Sage. La doctrine morale qui s'y trouve est en effet spécifiquement de l'École de Confucius. Le Livre des Mutations est unique dans son genre et il est difficile à comprendre. Il traite de l'origine et de la constitution du monde et a La philosophie sociale et politique du confucianisme 19 pour objet d'ordonner les actions humaines d'après les lois de la nature. C'est à la fois une cosmologie, une psychologie et une morale. Par suite de son caractère mystérieux, le Y-king est susceptible de toutes sortes d'interprétations ; il a suscité une foule de commentaires variés et extravagants ; les sinologues missionnaires du XVIIIe siècle y ont même vu une sorte de prophétie messianique. 2. Le Chou-king (Les Annales des empereurs). Il contient l'histoire, la législation et les discours des anciens empereurs. Il se divise en quatre sections : La première relate les actes des trois grands empereurs Yao, Chouen, Yu ; la seconde rapporte l'histoire de la dynastie des Hia ; la troisième nous parle des faits et gestes de la dynastie des Chang-Yin ; la quatrième, plus longue que les autres, collationne les documents relatifs aux empereurs de la dynastie des Tcheou. Ce livre fort ancien, — il remonte à quatre mille ans — est une source précieuse pour la doctrine confucianiste : il expose en effet la sagesse des anciens princes que Confucius proposa comme modèles à imiter. Il faut toutefois, s'en servir avec prudence, car de nombreuses pièces falsifiées s'y sont introduites. p.014 3. Le Cheu-king (Le Livre des Poèmes). Il contient environ 300 morceaux poétiques qui se divisent en trois catégories : a) les mœurs et les coutumes régionales ; b) les hauts faits ou les événements illustres ; c) les odes religieuses. Toutes ces poésies contiennent des principes et des exemples destinés à la réforme morale 1. Confucius disait de cet ouvrage :
La philosophie sociale et politique du confucianisme 6 En effet, elle applique les principes moraux qui régissent la société familiale aux questions relatives à la vie publique et elle exige, pour le gouvernement de la société, des capacités et des vertus analogues à celles que demande le gouvernement de la famille. Celui qui développerait « pleinement » les vertus familiales, observe le philosophe Mentse, « serait capable de gouverner l'empire » ; celui qui les néglige « n'est même pas capable de remplir ses devoirs envers ses parents ». (L. II, Ch. 1, 6.) Je laisse au lecteur de suivre le R. P. Kao dans le développement de cette thèse et de toutes celles qui lui sont connexes ; il les a étudiées et approfondies chez les trois grands philosophes Confucius, Mentse et Suntse. Il expose leur conception de l'homme et de la société, étudiant la pensée chinoise primitive sur « la loi de la vie sociale » et sur les applications de cette loi dans la famille, dans l'État et dans la « société universelle », telle que, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, le confucianisme a l'ambition de concevoir pareille société. Qu'on ne s'étonne pas de cette disposition d'esprit qui, jusqu'à nos jours, est demeurée très étendue en Chine. L'État chinois constituait, dans son milieu, l'unique « grande puissance », consciente des valeurs culturelles et morales qui étaient son premier trésor, assez forte pour être aisément pacifique et mettant cette force à rechercher et à maintenir l'équilibre et la paix. La famille chinoise fut pénétrée de cet esprit, qui peut donner aux citoyens et aux institutions d'un grand pays un sens habituel de pondération et de magnanimité. Les troubles et les guerres, qui hélas, en Chine comme en Europe, ont été les jalons de l'histoire, n'ont jamais modifié chez nous cette disposition fondamentale de l'esprit et du cœur de notre peuple, de nos familles et de nos populations. * En conclusion de son étude, le R. P. Kao ébauche une comparaison entre le confucianisme et le christianisme. Elle est plus spécialement destinée au lecteur chrétien, pour lui permettre de juger à la mesure des idéaux chrétiens l'idéal et les prescriptions du confucianisme. Ceci ouvre un très grand problème. Le lecteur non-chrétien, tant La philosophie sociale et politique du confucianisme 7 d'Europe que d'Asie, peut trouver opportun de ne pas le sous-estimer. Dans les ouvrages dont Confucius se dit le simple compilateur et qui remontent au deuxième et troisième millénaire avant l'ère chrétienne, nous trouvons, à chaque pas, les traces d'un culte religieux rendu au « Souverain Seigneur de l'Auguste Ciel », dont le temple ne comprit jamais aucune idole, dont l'Empereur était le mandataire, ayant, comme premier devoir, d'offrir des sacrifices au Ciel, au Ciel Maître des événements, Providence, Suprême Justice, Suprême Bonté, Rémunérateur, Père. De même que, pour le confucianiste, la pratique de la piété filiale au sein de la famille est l'école de la vie sociale, ainsi, à l'origine de nos institutions, la compréhension des rapports de l'homme avec le Ciel et la pratique religieuse qui s'ensuit sont considérées comme ouvrant l'esprit à la compréhension de la vie de la cité et à l'acquisition d'un juste sens gouvernemental. Le Li Ki déclare : « L'influence des enseignements que les sacrifices comportent pour l'instruction du peuple et la réforme des mœurs atteint les choses dans leur principe. (XXIII, 9.) Et encore : « Celui qui connaissait parfaitement l'idée qui préside au sacrifice était un prince véritable ; celui qui savait la mettre en pratique était un vrai ministre d'État. Quelle sereine grandeur, quelle majestueuse unité dans cette conception synthétique de la vie de l'homme sur la terre ! Or, par un souci vraiment sincère de réalisme, par cette crainte très légitime d'erreur, qui retenait Confucius chaque fois que la question religieuse se posait devant lui, — les commentateurs du Maître ont cru prudent de limiter leurs prescriptions à la morale privée et publique dont la loi naturelle garde le dépôt et ils ont estimé sage de ne pas s'avancer plus loin et de laisser sans réponse la question de l'origine et de la fin de l'homme et celle des rapports de l'homme avec celui que nos anciens sages et philosophes appelaient « avec le plus profond La philosophie sociale et politique du confucianisme 8 respect » le Souverain Seigneur de l'Auguste Ciel. Cette discrétion a donné lieu à beaucoup de confusion. Elle a, de plus, ouvert la Chine tout entière au bouddhisme. Car l'homme est un être religieux. Le sens religieux, que nos lettrés craignaient de fausser et se refusaient à développer, dévia dans une direction qui comportait une vive piété, mais en même temps, beaucoup de superstitions et de conséquences fâcheuses. Par son attitude négative, le bouddhisme, basé sur le mépris des choses temporelles, a contribué beaucoup au défaut de sens public des populations qui, malgré les enseignements si formels du confucianisme, ne furent pas en mesure de collaborer, comme il l'aurait fallu, aux progrès du pays et aux développements de l'avenir national. * Que sera, du point de vue des valeurs morales et spirituelles, la Chine de demain ? Le confucianisme nous apparaît si « humain » que nous ne pouvons le supposer limitativement « chinois ». D'autre part, dès le XVIIe siècle, aux yeux d'un de nos hommes d'État les plus distingués, Siu Koang-K'i, le christianisme apparaissait si « divin » qu'il ne pouvait le supposer limitativement « étranger ». Nécessairement, une vraie religion « humanise » les hommes. Quoi qu'il en soit, de grands problèmes se posent, aujourd'hui, en Chine comme ailleurs, pour tout homme qui a le courage de réfléchir et de penser. L'étude des points de rapprochement entre l'idéal confucianiste et l'idéal chrétien peut éclairer un certain nombre de ces problèmes. Il faut savoir gré au R. P. Kao d'amener le lecteur à se les poser. Son livre appelle d'autres livres, pour approfondir progressivement les domaines divers sur lesquels, si judicieusement, il attire et retient l'attention. TSIEN TAI, Ambassadeur de Chine à Bruxelles. Bruxelles, le 1er juillet 1938. La philosophie sociale et politique du confucianisme 9 AVANT-PROPOS @ La philosophie Sociale et Politique est « la Grande Science : Ta-hio » du confucianisme. La présente étude en expose les grands principes et les principales applications dans l'enchaînement méthodique que leur a donné l'âge d'or du confucianisme et qui les lie en un système très simple et très complet. Elle est basée entièrement sur les textes originaux des livres classiques chinois. Pour la traduction de ces textes, nous avons tenu compte des travaux du père Couvreur, S. J., sur les Quatre Livres, sur le Chou-king et du « Catéchisme de Confucius » de MM. Kou-Hong-Ming et Francis Borrey. Bien souvent cependant, — en général, pour des questions de nuances, — nous avons estimé devoir donner une traduction dont la portée se différencie du sens auquel ces auteurs se sont arrêtés. Quant aux livres de Suntse, il n'en existe pas encore de traduction française. * Nous devons ici un hommage de reconnaissance à la Faculté de Droit de l'Université catholique de Lille, à son vénéré Doyen, M. Eugène Duthoit, à M. Maurice Gand, Directeur de l'École des Sciences Sociales et Politiques et, particulièrement, au Révérend Père J. Delos, O. P., professeur à la Faculté de Droit, dont les sages conseils nous ont assuré une aide précieuse. @ La philosophie sociale et politique du confucianisme 10 ABRÉVIATIONS des ouvrages fréquemment cités @ Chk = Chou-king, Les Annales des Empereurs Yk = Y-king, Livre des Mutations Lk = Li-ki, Mémoires sur les Bienséances et les Cérémonies Ly = Lun-yu, Entretiens de Confucius avec ses disciples Th = Ta-hio, Grande Science Ty = Tchoung-young, Juste Milieu Mt = Mentse, Livres de Mentse St = Suntse, Livres de Suntse. @ La philosophie sociale et politique du confucianisme 11 INTRODUCTION @ § 1. — L'ORIGINE DU CONFUCIANISME p.007 Le confucianisme s'appelle en chinois : Jou-Kia, l'école des Jou. Au temps de la Dynastie des Tcheou, (1122 à 255 avant JésusChrist) le terme Jou désignait, d'une part, les savants, les philosophes et les érudits, et, de l'autre, les maîtres de l'enseignement public chargés par l'État d'enseigner au peuple la législation civile et les doctrines morales des anciens sages. Ces maîtres connaissaient les livres classiques : le Chou (Les Annales des Empereurs), le Cheu (Les Poèmes), le Y (Le Livre des Mutations) et les Li (Les Rites et les Lois) et ils possédaient les six arts libéraux, à savoir les rites et la musique, l'escrime et l'art de conduire un char, la calligraphie et l'arithmétique. À l'époque de Confucius (551-479 avant Jésus-Christ), l'ordre social, basé sur le régime féodal, subissait les premières secousses du bouleversement qui allait le renverser et le système de l'éducation publique, comme beaucoup d'autres institutions sociales, tombait déjà en décadence. Confucius se proposa de rétablir l'ordre dans l'empire en préparant une équipe de fonctionnaires compétents et vertueux, qui sauraient mettre en pratique les principes des anciens sages. De tous côtés, des jeunes gens affluèrent vers lui. Le caractère traditionnel de cet enseignement valut à l'École de Confucius d'être appelée Jou-Kia ; ses disciples furent nommés les Jou. La doctrine de l'École des Jou est essentiellement la sagesse traditionnelle des anciens rois, sages et vertueux, dont les hautes physionomies ouvrent l'histoire nationale de Chine ; au troisième millénaire avant Jésus-Christ : Yao (vers 2357-2285), Chouen (vers 2285) et Yu (vers 2205) ; au second millénaire : T'ang (vers 1766), Ouen-ouang (vers 1200) et Ou-ouang (vers 1122). Aux noms de ces souverains, il faut joindre ceux de leurs ministres intègres tels que Kaoyo (sous Chouen et Yu), Yyin (sous T'ang) et Tchou-koung (sous Ouen La philosophie sociale et politique du confucianisme 12 et Ou). Confucius a repris cette tradition glorieuse ; il en a colligé et perfectionné les données en les développant en un système complet et, par l'intermédiaire de ses disciples, il l'a transmise aux générations qui allaient suivre. C'est ainsi qu'il est considéré comme le Maître et le fondateur de l'École des Jou. Il n'est p.008 pas cependant l'auteur unique et premier de la doctrine qui porte son nom. Lui-même en porte témoignage : « Je transmets et je commente les enseignements des anciens ; je n'invente rien de neuf. Je donne ma confiance aux anciens et je les aime 1. Et dans Le Juste Milieu (Tchoung-young), son petit-fils, Tseu-sée écrit : « Confucius enseigna la doctrine originelle transmise par les empereurs Yao et Choen et il adopta et perfectionna les lois et les institutions établies par les empereurs Weng et Wou 2. Aux yeux de Confucius ces empereurs et ces ministres sont des hommes accomplis en sagesse et en vertu ; il les présente aux princes comme les meilleurs modèles à imiter. Leur pensée et les principes dont elle s'inspira sont recueillis dans le Livre des Annales des empereurs, le Chouking, qui de ce chef, est le principal ouvrage canonique dont s'inspire l'École des Jou. L'héritage spirituel que cette École a reçu des anciens peut se résumer en quelques préceptes qui entassent les principaux devoirs d'État des hommes de gouvernement. 1° Aimer le peuple, le renouveler moralement et lui procurer les moyens nécessaires pour l'entretien de sa vie quotidienne. 2° Pour ce motif servir en premier lieu avec un souverain respect Celui qui est le Suprême Dominateur. 3° Cultiver la vertu personnelle et viser sans cesse à la perfection. 4° Dans la vie privée comme dans la vie publique, observer toujours la voie supérieure du « Juste Milieu ». 5° Tenir compte des deux sortes d'inclinations de l'homme : les unes viennent de la chair et sont dangereuses ; les autres appartiennent à la raison et sont très subtiles et 1 Ly, VII, 1. 2 Ty, 30. La philosophie sociale et politique du confucianisme 13 faciles à perdre. 6° Pratiquer les devoirs des cinq relations sociales. 7° Avoir pour objet final la paix universelle et le bonheur général. Ces principes sont devenus les idées maîtresses du confucianisme, largement développées dans la suite par les maîtres de l'École. Parmi les anciens sages dont il était héritier, Confucius portait une affection et une vénération toute particulière au duc Tchou Koung Tang, fils du roi Ouen, frère du roi Ou, et auteur principal de la splendide civilisation de la dynastie des Tchou. Il rêvait d'être le successeur moral de ce grand homme d'État, et se proposait de renouveler les institutions faites par lui et de les remettre en pratique. En effet, les institutions civiles et religieuses qui sous le nom global de rites furent établies sous la direction de Tchou-koung-T'ang étaient plus parfaites que celles des âges p.009 précédents et elles étaient encore partiellement en usage à l'époque de Confucius ; leur restauration rencontrait donc moins de difficultés. 1 Au titre de continuateur et de restaurateur de la tradition nationale, Confucius eut un rôle très important dans l'histoire de la Chine. Grâce à lui, les plus anciens documents historiques et littéraires du peuple chinois furent sauvés de la disparition à une époque extrêmement critique ; avec ces documents fut aussi sauvée ce que nous pouvons appeler l'âme de la race chinoise. De plus, la fondation de l'École des Jou par Confucius fut le principe de la floraison intellectuelle la plus splendide de Chine que les historiens ont qualifiée « l'époque classique des philosophes ». Pour la maîtrise supérieure qu'il déploya dans la conservation de la doctrine traditionnelle, Confucius est comparé à ces anciens empereurs les plus vertueux et les plus sages dont il sauva la pensée et qui, tant au point de vue matériel qu'au point de vue spirituel, ont si bien mérité du peuple chinois 2. Les générations postérieures ont appelé Confucius « le Maître des Maîtres », et encore le « Maître de dix mille siècles ». De fait, pendant plus de vingt siècles 1 Ly, III, 14. 2 Mt, L. III, Ch. 2, 9 ; L. V. Ch. II, 1. La philosophie sociale et politique du confucianisme 14 sa doctrine a façonné l'âme du peuple chinois, et aujourd'hui encore, son influence spirituelle s'exerce profondément. § 2. — LA VIE ET LES ŒUVRES DE CONFUCIUS Le nom de Confucius est K'iou ; son surnom Tchounggny. Le mot Confucius vient d'un groupe de mots chinois : Koung-Fu-Tse qui signifient : le vénéré Maître Koung ; c'était l'appellation quotidiennement en usage parmi les disciples du philosophe ; les missionnaires du XVIIe siècle ont latinisé ces mots en les réunissant sous le nom de Confucius. Actuellement, en Chine, on appelle communément notre philosophe du nom de Koung-Tse, c'est-à-dire le philosophe Koung ou le maître Koung. * Confucius naquit en l'an 551 avant Jésus-Christ dans le royaume de Lou, actuellement la province du Shantoung. Sa famille était noble et de descendance princière. Son père, Sou Lian Hi était déjà très vieux. Sa mère étant, nous dit-on, en prières sur la colline Gny, obtint cet enfant de la bonté du Ciel. L'enfant était d'un heureux naturel ; il se p.010 plaisait aux « rites » (li) de ses pères et aimait à s'y exercer. Très tôt il fut privé de son père et grandit sous la tutelle vigilante d'une mère qui a laissé le souvenir d'une grande piété. À quinze ans, il se met à étudier les doctrines des anciens sages, et y fit de tels progrès que sa connaissance des Rites, c'est-à-dire des institutions religieuses et civiles, lui valut une réputation précoce attirant de toutes parts des jeunes gens qui venaient à lui comme à un maître. Vers 30 ans, il se rendit dans la ville impériale de Loyan, pour y compléter sa formation intellectuelle ; il y rencontra le célèbre philosophe Lao-tse, père du taoïsme. De retour dans son pays, il ne put y poursuivre longtemps sa tâche éducatrice qui groupait autour de lui des élèves de plus en plus nombreux. Des troubles publics le contraignirent de gagner le royaume de Ts'i. Ayant été informé de sa présence, le prince King, souverain de Ts'i, s'enquit auprès de lui du meilleur principe de gouvernement. Confucius La philosophie sociale et politique du confucianisme 15 lui répondit : — Le prince doit être véritablement prince, le ministre véritablement ministre, le père véritablement père, le fils véritablement fils. Cette laconique glorification du devoir d'État plut tellement au prince qu'il voulut retenir Confucius et faire de lui son ministre. Un ministre en charge parvint à empêcher la réalisation de ce projet. Rentré à Lou, Confucius fut, à plusieurs reprises, chargé de fonctions administratives. De préfet de la ville de Tchoung-tou, il fut élevé à la fonction de ministre de la Justice. L'histoire a gardé le souvenir de ses démêlés avec le puissant préfet Siaotchengmao, qui par les sophismes dont il émaillait ses discours pervers, tenait les esprits en effervescence. Confucius mit un terme à ses agissements et le condamna. Faisant fonction de premier ministre, il se rencontra, à Kiaku, comme délégué du royaume de Lou avec les ambassadeurs du royaume de Ts'i. Il y déploya une grande habileté diplomatique, il sut abaisser l'orgueil du royaume de Ts'i qui, par la présence de troupes aux abords du congrès, avait cherché à l'intimider, et il réussit à recouvrer pour son pays le territoire antérieurement perdu. Dans sa politique intérieure, en trois mois de temps, il avait si bien noué la réforme du royaume de Lou que le prince de Ts'i en prit ombrage, et recourut à un stratagème pour faire échouer cette œuvre : il envoya au prince de Lou un chœur de danseuses, dans le dessein de détourner ce souverain de l'accomplissement de ses devoirs. Le prince de Lou tomba dans le piège ; trois jours de suite, il s'abstint de réunir son conseil quotidien et d'offrir le sacrifice rituel. p.011 Confucius, voyant que ses efforts resteraient infructueux, renonça à poursuivre sa tâche et, accompagné de ses disciples, entreprit un voyage à travers l'empire. Il espérait rencontrer quelque souverain qui lui permettrait de mettre à l'épreuve sa doctrine de réforme, fondée sur les vertus d'humanité et de justice naturelle. Nulle part il ne fut agréé. De passage dans le La philosophie sociale et politique du confucianisme 16 royaume de Tcheng il fut réduit, huit jours durant, à la plus extrême pauvreté ; dans le royaume de Song, il fut persécuté par le puissant ministre Houang-tei et faillit être massacré. Après treize ans d'absence, il rentra dans sa patrie ; il avait alors 68 ans. Il renonça à briguer une fonction de ministre et se livra tout entier à l'éducation de la jeunesse et à la rédaction et correction des livres classiques. À l'âge de 73 ans, en 479 avant Jésus-Christ, Confucius mourut ; il fut enterré à Ciufou, dans le Shangtong. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage qui est demeuré en vénération. Comme le prouve toute son œuvre, comme l'attestent en particulier ses Entretiens, Confucius était doué d'une vie morale des plus hautes, qui aidait considérablement le développement de sa très profonde vie intellectuelle. Actif, courageux et d'une dignité supérieure, doté d'une perspicacité géniale, d'un sens inné de la psychologie du cœur humain et de la haute perfection à laquelle l'homme est appelé, il déploya toute son inlassable énergie à réaliser en lui-même et, ensuite, à diffuser autour de lui l'idéal de vie dont il détenait le trésor. Il avait pénétré toute la valeur des institutions sociales dans lesquelles les premiers grands sages de Chine avaient condensé les enseignements de la loi naturelle et il savait, avec un discernement supérieur, se conformer aux rites de lois morales rédigés par lui, et transmis à ces disciples immédiats pour devenir la base de la pensée chinoise jusqu'à nos jours. Son autorité tient autant à son exemple qu'à son enseignement. Il aimait tous les hommes ; il respectait la parole donnée ; il croyait en Dieu et observait avec la plus sincère et profonde vénération les lois fixées par la Providence. Il fut surtout un infatigable chercheur de la sagesse, un admirable éducateur. Dans l'éclat de ses talents, il fit preuve, en toute circonstance, d'une surprenante modestie. La philosophie sociale et politique du confucianisme 17 Vers le déclin de ses jours, le philosophe pourra en toute sincérité décrire ainsi son évolution intellectuelle et morale : — A l'âge de quinze ans, mon esprit était continuellement adonné à l'étude ; à trente ans, je m'étais arrêté en des principes solides et définitivement établis ; à quarante p.012 ans, je n'éprouvais plus d'hésitation ; à cinquante ans, je connaissais les lois de la Providence ; à soixante ans, je saisissais facilement les causes des événements ; à soixantedix ans, mon cœur trouvait la satisfaction de ses désirs dans l'équilibre de la juste mesure. 1 Ces lignes décrivent le progrès constant du Maître vers la sagesse et la perfection. L'élévation morale de Confucius a exercé une très profonde influence sur les disciples qui, l'ayant suivi, l'ont admiré de tout leur cœur. Yen-yuan le considéra comme son père 2 ; Tseu-Tchang, l'élève plus haut que Yao et Chouen les deux empereurs les plus parfaits de l'antiquité 3 ; Tseu-Koung compara son rayonnement à celui du soleil et de la lune 4 ; et Yeou-Jo dit : « Depuis qu'il existe des hommes, il n'y a pas eu de plus grand jusqu'à nos jours que Confucius » 5. Conservés grâce à Confucius, les anciens livres canoniques de Chine sont le fondement de l'École des Jou ; ils s'érigent tel un monument imposant, qui ouvre l'histoire de la vie, de la pensée et de la littérature chinoises. Ces ouvrages sont au nombre de six : le Y-king (le Livre des Mutations), le Chou-king (les Annales des empereurs), le Cheu-king (le livre des Poèmes), le Li-king (les Livres des Rites), le Tchouen-ts'iou (le Printemps et l'Automne) et le Yo-king (le Livre de la Musique). Confucius en colligea et réunit les éléments et il leur donna la forme définitive dans laquelle il les transmit à ses disciples. 1 Ly, II, 4. 2 Ly, XI, 10. 3 Mt, L. II, Ch. 1, 2. 4 Ly, XIX, 24. 5 Mt, L. II, Ch. 1, 2. La philosophie sociale et politique du confucianisme 18 L'œuvre personnelle de Confucius dépasse de beaucoup ce premier travail et elle se développe dans les enseignements qu'il départit à ses disciples et que ceux-ci consignèrent dans Les Entretiens et dans un grand nombre des traités réunis ensuite dans le Li-king. Dans toute cette œuvre de collation, de rédaction et d'éducation, Confucius s'avère grand et magistral par le souci constant d'objectivité qui l'anime. Il avait, en colligeant les ouvrages classiques, décrit avec respect les principes et les manifestations de la foi religieuse des aïeux. Dans son enseignement personnel, on lui trouve, à ce sujet, une prudence sans cesse en éveil ; il craint de franchir les limites du vrai et de tomber en quelque superstition ; c'est pourquoi il se cantonne à l'étude de l'ordre naturel, à la recherche des principes de la loi morale et à leur mise en pratique. Cette disposition intérieure constante ressort particulièrement de la lecture du Tchouen-ts'iou. p.013 Examinons maintenant le contenu des livres classiques chinois tel qu'il est parvenu jusqu'à nous : 1. Le Y-king (Livre des Mutations). C'est le plus ancien, il date environ de l'an 3000 avant Jésus-Christ. Il est attribué à quatre sages. Fuhi (vers 2850 avant J.-C.) qui conçut le Pa-Koua, autrement dit les huit trigrammes symboliques ; Ouen-ouang (première moitié du douzième siècle avant J.-C.) multiplia ces trigrammes jusqu'à 64 hexagrammes, son fils Tchou-koung T'ang y ajouta des explications imagées ; enfin Confucius en écrivit les commentaires ou gloses. Telle est du moins l'opinion traditionnelle. La critique moderne contredit cette manière de voir et prétend qu'il est impossible de préciser avec certitude quelles sont les parties des gloses ou commentaires écrits par Confucius. On admet généralement cependant que les commentaires furent composés tout au moins par les disciples du Sage. La doctrine morale qui s'y trouve est en effet spécifiquement de l'École de Confucius. Le Livre des Mutations est unique dans son genre et il est difficile à comprendre. Il traite de l'origine et de la constitution du monde et a La philosophie sociale et politique du confucianisme 19 pour objet d'ordonner les actions humaines d'après les lois de la nature. C'est à la fois une cosmologie, une psychologie et une morale. Par suite de son caractère mystérieux, le Y-king est susceptible de toutes sortes d'interprétations ; il a suscité une foule de commentaires variés et extravagants ; les sinologues missionnaires du XVIIIe siècle y ont même vu une sorte de prophétie messianique. 2. Le Chou-king (Les Annales des empereurs). Il contient l'histoire, la législation et les discours des anciens empereurs. Il se divise en quatre sections : La première relate les actes des trois grands empereurs Yao, Chouen, Yu ; la seconde rapporte l'histoire de la dynastie des Hia ; la troisième nous parle des faits et gestes de la dynastie des Chang-Yin ; la quatrième, plus longue que les autres, collationne les documents relatifs aux empereurs de la dynastie des Tcheou. Ce livre fort ancien, — il remonte à quatre mille ans — est une source précieuse pour la doctrine confucianiste : il expose en effet la sagesse des anciens princes que Confucius proposa comme modèles à imiter. Il faut toutefois, s'en servir avec prudence, car de nombreuses pièces falsifiées s'y sont introduites. p.014 3. Le Cheu-king (Le Livre des Poèmes). Il contient environ 300 morceaux poétiques qui se divisent en trois catégories : a) les mœurs et les coutumes régionales ; b) les hauts faits ou les événements illustres ; c) les odes religieuses. Toutes ces poésies contiennent des principes et des exemples destinés à la réforme morale 1. Confucius disait de cet ouvrage :
« @ Jean -Baptiste KAO LA PHILOSOPHIE SOCIALE ET POLITIQUE du CONFUCIANISME. »
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