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COMMENTAIRE « LE PORT »

Publié le 12/02/2024

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« COMMENTAIRE « LE PORT » Le poète cherche à donner une dimension poétique aux mots employés dans le langage quotidien.

En disposant de manière particulière le matériau de la langue qui nous sert à communiquer à propos du monde qui nous entoure, il déporte le regard quotidien que nous pouvons porter sur notre environnement.

Le vers a longtemps été la forme privilégiée par ceux qui donnent cette ambition à leur écriture, et la nature leur terrain d’observation ; mais les poètes du XIXe siècle, en étendant leur champ d’observation à la ville, cherchent également de nouvelles manières de s’exprimer.

C’est le cas de Baudelaire depuis Les Fleurs du mal de 1857, mais plus encore peut-être dans le recueil en prose que ce poète compose en 1869.

Dans la dédicace qui ouvre cette œuvre intitulée Le Spleen de Paris, Baudelaire confirme l’oxymore « prose poétique » et affirme que c’est la « fréquentation des villes énormes » qui l’a inspiré.

Le poème XLI, intitulé « Le Port », semble se situer à l’extrémité du paysage urbain. Depuis ce point de vue privilégié, le poète décrit de manière personnelle les différents éléments qui se croisent sans véritablement se confondre ailleurs que dans son regard. Nous nous demanderons donc comment le regard que le poète déploie depuis le port lui permet d’accueillir l’inconciliable. I/ Le poète fait du port un espace propice à la contemplation de confluences diverses 1) Le port est un point de vue privilégié pour qui veut contempler la mobilité Le poème s’ouvre sur le groupe nominal « Un port », qui se démarque du titre par l’emploi du déterminant indéfini qui suppose une équivalence entre tous les ports, celui du poème n’étant qu’un exemple de ce que les ports ont de commun.

Le poème présente le port comme un lieu de confluence : « ciel », « mer », et terre (« belvédère » et « môle » en sont des métonymies) s’y côtoient, et le « scintillement des phares » évoque même la flamme : tous les éléments s’y croisent.

Les hommes n’en sont pas absents, mais ils sont réduits à des silhouettes dans les périphrases « ceux qui partent et […] ceux qui reviennent ».

Le principal personnage du texte est le poète, celui qui à partir de ce « port » indéterminé développe une posture, un « port » particulier.

Cette pose est celle de l’observateur, de l’esthète, de celui qui sait apprécier les beautés du monde : les adjectifs dans « plaisir mystérieux et aristocratique » sont des hypallages qui renvoient au poète qui, réduit à la métonymie des « yeux », aime « contempler ».

Or, étymologiquement, « contempler », c’est tracer un templum, c’est-à-dire un rectangle dans lequel l’augure interprète les vols, les « mouvements » des oiseaux.

Il n’y a pas d’oiseau dans le texte, mais tous les éléments qui sont observés sont frappés de mouvement : l’épithète oxymorique de « architecture » est « mobile », celle de « colorations » est « changeantes » ; les navires se caractérisent par leurs « oscillations », et ce champ lexical est complété par les verbes de mouvement « partent » et « reviennent ».

Le seul point fixe, « couché » ou « accoudé » est celui de l’observateur, c’est pourquoi le port est bien un point de vue privilégié pour qui veut contempler la mobilité. 2) Un prisme merveilleux à partir duquel se déploie un regard singulier et pénétrant Nous suivons le regard de cet observateur amant du mouvement, d’abord selon une direction descendante (« ciel », « nuages », « mer ») puis à travers une perspective pénétrante grâce aux « phares ».

Ces éléments sont associés à un « prisme » : un instrument d’optique qui permet de dévier la lumière, notamment pour décomposer des longueurs d’ondes caractéristiques de son spectre.

C’est ce que fait le poète à partir de la proposition « Le port est […] » puisqu’il tire de ce singulier des énumérations et une série de groupes nominaux pluriels.

N'oublions pas également que l’expression figurée « voir à travers le prisme de » signifie avoir un point de vue personnel, privilégié (et déformé) sur la réalité.

Or la contemplation qui nous est présentée est bien personnelle : elle est celle d’une « âme fatiguée des luttes de la vie », ou encore de « celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition ».

Derrière ces périphrases marquées par l’usure et les négations nous reconnaissons évidemment la figure du poète mélancolique qui caractérise Baudelaire, l’auteur du Spleen du Paris : c’est à travers le prisme spleenétique de son regard singulier et pénétrant que le port nous est donné à voir. 3) Un espace poétisé par la contemplation L’espace n’est pas décrit de manière anodine : le poète semble notamment avoir choisi les mots qui en rendent compte en fonction de certaines de leurs sonorités.

Ainsi, dans « L’ampleur » nous entendons « pleurs » ; dans « architecture mobile », « art » et « mots » ; et « or » dans « colorations » pour ne parler que de la deuxième phrase, qui laisse également une place à la « muse » dans « amuser ».

Le champ lexical des beaux-arts confirme cet aspect poétique du paysage avec « architecture », « formes », « harmonieuses », « rythme », « beauté ».

De plus, le verbe « entretenir » (qui signifie faire durer, mais aussi faire tenir ensemble) permet de faire le lien entre ces « formes » et le « goût » de celui qui observe, mais qui est menacé par le délitement de ses forces.

Nous comprenons alors que, malgré le manque de rimes et le défaut de métrique, le rectangle de la strophe est le cadre du templum dessiné par le poète contemplateur afin de transformer en art les éléments qui entrent dans son champ de vision : le port est ainsi le lieu qui lui permet d’adopter un port d’esthète, une posture de poète. Baudelaire se sert des différents espaces visibles depuis le prisme du port pour déployer, dans la prose, une langue poétique qui caractérise sa vision du monde. II/ Les mouvements du texte rendent compte d’un point de vue très personnel et poétique 1) Mouvements de la nature et des hommes Le « port » est d’abord caractérisé par un attribut du sujet qui l’associe à « un séjour charmant ».

Or le « séjour » est le lieu d’un arrêt momentané, qui peut se prolonger mais ne saurait être définitif, et l’adjectif « charmant » l’associe à une sorte de sorcellerie, ou du moins insiste sur son caractère subjuguant : c’est bien à son envoûtement.... »

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