Commentaire du Chapitre 14 de Gargantua
Publié le 25/05/2024
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COMMENTAIRE LINEAIRE DU CHAPITRE 14 DE GARGANTUA
François Rabelais, Gargantua, chapitre 14 : « Comment Gargantua fut instruit… », 1534 :
« Et moi, je vous assure qu'à la seule conversation que j'ai eue tout à l'heure, en votre
présence, avec mon fils Gargantua, je comprends que son intelligence participe de quelque puissance
divine tant je la trouve aiguë, subtile, profonde et sereine; il atteindra un souverain degré de sagesse
s'il est bien éduqué.
C'est pourquoi, je veux le confier à quelque sage pour qu'il soit instruit selon ses
capacités, et je ne regarderai pas à la dépense.
»
De fait, on lui recommanda un grand docteur sophiste, nommé Maître Thubal Holoferne, qui
lui apprit si bien son abécédaire qu'il le récitait par cœur, à l'envers, ce qui lui prit cinq ans et trois
mois.
Puis il lui lut la Grammaire de Donat, le Facet, le Théodolet et Alain dans ses Paraboles, ce qui
lui prit treize ans, six mois et deux semaines.
Mais remarquez que dans le même temps il lui
apprenait à écrire en gothique, et il copiait tous ses livres, car l'art de l'imprimerie n'était pas encore
en usage.
Il portait habituellement une grosse écritoire, pesant plus de sept mille quintaux, dont l'étui
était aussi grand et gros que les gros piliers de Saint-Martin d'Ainay; l'encrier, qui jaugeait un
tonneau du commerce, y était pendu par de grosses chaînes de fer.
Puis il lui lut les Modes de signifier, avec les commentaires de Heurtebise, de Faquin, de
Tropditeux, de Galehaut, de Jean le Veau, de Billon, de Brelinguand et d'un tas d'autres; il y passa
plus de dix-huit ans et onze mois.
Il connaissait si bien l'ouvrage que, mis au pied du mur, il le
restituait par coeur, à l'envers, et pouvait sur le bout du doigt prouver à sa mère que « les modes de
signifier n'étaient pas matière de savoir ».
Puis il lui lut l'Almanach, sur lequel il demeura bien seize ans et deux mois; c'est alors que
mourut le précepteur en question (c'était en l'an mil quatre cent vingt), d'une vérole qu'il avait
contractée.
Après, il eut un autre vieux tousseux, nommé Maître Jobelin Bridé, qui lui lut Hugutio, le
Grécisme d'Everard, le Doctrinal, les Parties, le Quid, le Supplément, Mannotret, Comment se tenir à
table, Les Quatre Vertus cardinales de Sénèque, Passaventus avec commentaire, le Dors en paix,
pour les fêtes et quelques autres de même farine.
À la lecture des susdits ouvrages, il devint
tellement sage que jamais plus nous n'en avons enfourné de pareils.
1
Introduction
Amorce : L’humanisme amorce une réforme profonde des méthodes d’enseignement qui
s’accompagne d’une critique virulente du modèle scolastique.
Dans le chapitre 14 de Gargantua,
Rabelais propose justement une satire des mauvais professeurs qui permettra au lecteur de se
rendre compte de ce que ne doit pas être la « bonne éducation ».
Contexte : Nous sommes au chapitre 14, Gargantua est encore un enfant, et cependant la
dissertation sur les torcheculs qu’il vient de réciter devant son père Grandgousier fait comprendre à
ce dernier que son fils présente des prédispositions pour l’apprentissage.
Il sera donc décidé que
Gargantua sera mis entre les mains de professeurs afin de commencer son éducation.
Description de l’extrait : Notre extrait revêt la forme d’un récit satirique décrivant les premières
expériences pédagogiques de Gargantua auprès de ses deux premiers professeurs : Thubal Holoferne
et Jobelin Bridé.
C’est l’occasion pour Rabelais de tourner en ridicule l’enseignement qu’ils lui
délivreront.
Problématique : En quoi cet extrait propose-t-il une satire de l’enseignement scolastique et un
modèle de « mauvaise éducation » ?
Annonce des mouvements du texte :
§1 Grandgousier décide de commencer l’éducation de Gargantua
§2-5 L’éducation de Maître Thubal Holoferne
§6 L’éducation de Maître Jobelin Bridé
I Grandgousier décide de commencer l’éducation de Gargantua
Suite à la dissertation sur les torcheculs, Grandgousier fait montre de son admiration pour
l’intelligence de son fils.
Le registre du premier paragraphe est encomiastique : il s’agit de faire
l’éloge de Gargantua.
Cet éloge va s’appuyer sur :
-
Une tournure restrictive qui montre le caractère exceptionnel de l’esprit de Gargantua : « à
la seule conversation que j’ai eue tout à l’heure [… je comprends que son intelligence […] »
Des hyperboles : « quelque puissance divine », « un souverain degré de sagesse »
Une accumulation d’adjectifs laudatifs : « aiguë, subtile, profonde et sereine »
De par son caractère excessif, cet éloge a quelque chose de comique, d’autant plus qu’il contraste
avec le sujet (scatologique) de la dissertation faite par Gargantua : les « torcheculs ».
Rire et savoir
(c’est le titre du parcours) sont indissociables dans Gargantua.
Mais ce paragraphe est en même temps l’occasion de mettre l’accent sur l’importance que
l’humanisme accorde à la problématique de l’éducation.
Grandgousier, qui incarne le bon roi et le
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bon père de famille, considère que le seul moyen de devenir sage est d’être « instruit », et il n’hésite
pas à tout faire pour que Gargantua le soit : « je ne regarderai pas à la dépense.
»
II L’éducation de Maître Thubal Holoferne
Avec l’apparition du premier professeur, le texte bascule dans le registre satirique.
Thubal Holoferne est d’emblée décrédibilisé en tant qu’enseignant :
-
Onomastique : « Holoferne » signifie « confusion » en hébreux
Il est présenté....
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