COMMENTAIRE DE TEXTE : Raymond Radiguet, Le Diable au corps
Publié le 02/12/2021
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Raymond Radiguet est l’auteur de récits qui ont fait de lui un jeune génie de la littérature, mort prématurément ; un roman intitulé Le Diable au corps parut en 1923 au sortir du premier conflit mondial, cadre de son récit. Cette histoire fit scandale en raison de l’amour qui unit un très jeune homme à une femme dont le mari est au front ; l’explicite relate le drame du narrateur-personnage qui vient d’apprendre la mort de sa bien aimée. C’est la relation étroite des registres lyrique et tragique qui est au cœur de cet extrait. Pour ce faire, l’étude portera d’abord sur la dimension tragique de cette fin de roman avant d’analyser l’évolution des sentiments du narrateur confronté à la brutalité de destin.
Tout d’abord, le narrateur, âgé de quinze ans vit avec son père, sa mère et ses frères. Il est donc placé dans son univers familial. Celui-ci entretient depuis un certain temps une relation avec Marthe, une femme plus âgée que lui, dont il est fou amoureux. Cependant celle-ci est mariée et son mari est au front. Cette idylle parait dès lors nuire l'homme qui est en train de se battre pour la France, sa Patrie, puisque derrière son dos, sa femme le trompe. De plus, leur amour est clandestin et caché par rapport à la famille et à la société des années vingt où ce genre de relations n’étaient pas admises ou étaient très taboues. Cependant, à la mort de Marthe, le texte permet de comprendre pourquoi les deux protagonistes entretenaient une relation cachée ; Marthe était une amie de la famille car le père du jeune homme pleure et ce sont les frères qui annoncent sa mort. Les parents de l’adolescent comprennent tout de suite ce qui c’est passé entre leur fils et cette femme. En effet, la réaction de celui-ci fut un choc terrible. Quant à sa famille, ils ne réagissent pas tous de la même façon ; le père s’exprime par un discours direct, il pleurait et « son visage se décomposait «, ce qui montre qu’il est violement touché par la mort de Marthe. Cependant, les enfants et la mère s’expriment par un discours indirect, ce qui en d‘autre terme permet d’affirmer que les frères sont indifférents et que la femme est très froide et maîtrise ses émotions. Le spectateur assiste à la désorganisation de la cellule familiale, à la déstabilisation des institutions.
Ensuite, la fatalité s’insinue dans le texte de manière poétique ; en effet, le narrateur emploi plusieurs images de destruction, telle que la « foudre «, comparant employé pour souligner la brutalité du choc subi. La gradation de verbes à l’infinitif « durcir, refroidir, me pétrifier « évoque également les sensations éprouvées par le narrateur à la suite de l’annonce. Il signale ainsi qu’il vit à son tour certains symptômes de la mort en perdant sa sensibilité d’être vivant. La violence du destin apparaît aussi à travers l’injonction au discours direct du père, «sortez«, dernière réaction possible avant le silence de toute la maison, mort symbolique qui les a tous frappé. Ainsi le registre tragique s’affirme clairement dans l’expression de la fatalité.
Enfin, pour finir, le personnage principal est posé comme victime. L’expression de la douleur et de la souffrance son présent dans le texte et montrent la dimension tragique des réactions du jeune homme. En effet, une absence de réaction et un malaise physique de celui-ci sont constatée, « il ne ressentait rien « à la ligne 5, « une syncope « à la ligne 13 et « perdre connaissance « à la ligne 16. Ces réactions qui s’enchaînent enferme le narrateur dans une douleur progressive. Le jeune homme prend conscience des forces qui pèsent sur lui, le dépassent et le dominent. Sa mère dût même s’occuper de lui comme s’il était victime d’une maladie grave.
Si le narrateur reste alors piégé, par l’amour qu’il porte à Marthe, c’est que c’est précisément parce que cet extrait met en scène le choc produit par la mort de la bien- aimé et par conséquent l’évolution brutale des sentiments du personnage.
Le roman est une fiction, le personnage principal est le narrateur. En effet, il fait partager son intériorité, le lecteur se fait spectateur de la psychologie et des émotions qui s'affrontent au sein du personnage qui s'exprime à la première personne du singulier. Le récit et de type narratif, il raconte le dénouement tragique de l’histoire, l’explicit du roman. Les sentiments du personnage ne peuvent être donc que mauvais. Le registre lyrique est donc au cœur du roman. En effet, les évènements s’enchaînent de façon chronologiques et se déroulent à un moment particulièrement précis de façon brutale, avec une succession de réactions, comme si le temps s’accélérait ; comme l’indique les compléments de temps et les connecteurs présents « Un jour, à midi « à la ligne 1, « Tandis « à la ligne 4, « Ensuite « à la ligne 7 et « les autres jours « à la ligne 14. Cette soudaine accélération montre bien que le personnage enfermé dans sa souffrance ne contrôle plus ses émotions, ses sentiments.
On assiste ainsi à une introspection poussée du narrateur qui semble opérer au présent sur un passé révolu. De ce fait, la totalité de l’extrait laisse place au monologue intérieur d'un seul personnage, une façon d’exprimer les sentiments de celui-ci. De plus, la présence marquée du narrateur dans le texte intensifie le lyrisme. La présence du champ lexical de la mort « tristesse, souffrance « montrent l’évolution, la modification des sentiments et l’état du personnage. Le garçon est complètement chamboulé par la mort de son amante qu’il est « sans vie « ; comme on le voit à la ligne 7 où il affirme avoir la sensation de durcir, de se pétrifier. Autant dire que le registre pathétique du texte est fait pour faire partager au lecteur la compassion et la souffrance ; l’adolescent sanglote, pleure et dit souffrir d’une syncope. Puis, le narrateur exprime ce qu’il ressent a travers le registre lyrique, qui s’intensifie tout au long du texte ; l’utilisation de « durcir «, « refroidir « à la ligne 7, « je ne ressentais rien « à la ligne 5 , « ma syncope « à la ligne 13, sont des bons exemples.
La narration se présente comme la confession d'un « je « narrateur dissimulant avec pudeur son nom. Ce subterfuge tend vers la confusion auteur/narrateur et donc pose question de l'authenticité de cette pseudo-autobiographie. Or, Radiguet a puisé dans son expérience personnelle, la trame de son roman. Il a effectivement eu une liaison avec une jeune femme plus âgée que lui, Alice, qui était mariée à un soldat combattant au front. Roman initiatique, roman d’amour, roman tragique, roman d’analyse et roman d’inspiration autobiographique, mais surtout roman à succès, Le Diable au corps est tout cela, et bien plus encore. Son succès est immédiat, mais c’est essentiellement un succès de scandale : l’âge de l’auteur, la jeunesse du personnage et le scandale de sa liaison avec une femme mariée, qui plus est avec un soldat qui combat au front, irritent, cinq années à peine après la fin de la guerre. En effet, sa publication provoqua un grand scandale, car il postulait la guerre comme condition même du bonheur des amants et portait atteinte au respect sacré dû au soldat. Il y a la alors sûrement une forme de registre oratoire, qui veut frapper les esprits. Cependant, il faut cependant nuancer les informations car il y a des incohérences entre l'histoire du jeune homme et celle de Raymond. Quelques éléments son répertoriés, ils permettent de ne pas être si catégorique en prétendant que le roman est dans tout son contenu le reflet de la vie de l'écrivain. Raymond s'inspire de son expérience mais il sème le trouble et se défend d'avoir raconté la relation amoureuse qu'il a vécu dans sa jeunesse. Roman autobiographique ? ou simplement de fiction ? Raymond a toujours nié avoir écrit un roman autobiographique, cela porte une grande confusion dont seul lui a la réponse.
Le narrateur-personnage est enfermé dans sa passion dévorante : les tourments physiques puis psychologiques virent à l’obsession, isolant cet individu de sa famille et du reste du monde. C’est cette situation tragique et sans issue qui est à la base d’un lyrisme douloureux touchant le lecteur. Et au-delà du succès de scandale qui avait la saveur des amours interdites entre deux individus d’âges très différents en temps de guerre, c’est certainement la force de ces élans lyriques qui explique l’attachement du public français à ce roman, l’un des deux seuls récits de cet auteur mort à vingt ans.
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