Commentaire de texte, Bardamu à la guerre de Céline
Publié le 30/04/2023
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«
Commentaire de texte, Bardamu à la guerre
« Dans une histoire pareille, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à foutre le camp », que je me disais, après
tout…
Au-dessus de nos têtes, à deux millimètres, à un millimètre peut-être des tempes, venaient vibrer l’un
derrière l’autre ces longs fils d’acier tentants que tracent les balles qui veulent vous tuer, dans l’air chaud
d’été.
Jamais je ne m’étais senti aussi inutile parmi toutes ces balles et les lumières de ce soleil.
Une immense,
universelle moquerie.
Je n’avais que vingt ans d’âge à ce moment-là.
Fermes désertes au loin, des églises vides et ouvertes,
comme si les paysans étaient partis de ces hameaux pour la journée, tous, pour une fête à l’autre bout
du canton, et qu’ils nous eussent laissé en confiance tout ce qu’ils possédaient, leur campagne, les
charrettes, brancards en l’air, leurs champs, leurs enclos, la route, les arbres et même les vaches, un
chien avec sa chaîne, tout quoi.
Pour qu’on se trouve bien tranquilles à faire ce qu’on voudrait pendant
leur absence.
Ça avait l’air gentil de leur part.
« Tout de même, s’ils n’étaient pas ailleurs ! — que je me
disais — s’il y avait encore eu du monde par ici, on ne se serait sûrement pas conduits de cette ignoble
façon ! Aussi mal ! On aurait pas osé devant eux ! Mais, il n’y avait plus personne pour nous surveiller
! Plus que nous, comme des mariés qui font des cochonneries quand tout le monde est paru.
»
Je me pensais aussi (derrière un arbre) que j’aurais bien voulu le voir ici moi, le Déroulède dont on
m’avait tant parlé, m’expliquer comment qu’il faisait, lui, quand il prenait une balle en plein bidon.
Ces Allemands accroupis sur la route, têtus et tiraient leurs, tiraient mal, mais ils semblaient avoir des
balles à en revendre, des pleins magasins sans doute.
La guerre décidément, n’était pas terminée ! Notre
colonel, il faut dire ce qui est, manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de
la chaussée et puis de long en large parmi les trajectoires aussi simplement que s’il avait attendu un ami
sur le quai de la gare, un peu impatient seulement
Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée
triste, avec ses bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins
qui ne vont nulle part.
Mais quand on y ajoute la guerre en plus, c’est à pas y tenir.
Le vent s’était levé,
brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui
venaient de là-bas sur nous.
Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant
de mille morts, on s’en trouvait comme habillés.
Je n’osais plus remuer.
(...)
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je.
Et avec quel effroi !… Perdu parmi deux millions
de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux,
sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant,
caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout
détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens,
adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et
tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidé ment, je le concevais, je m’étais embarqué dans une
croisade apocalyptique.
On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté.
Comment aurais-je pu me douter moi de cette
horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout
ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ?
À présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des
profondeurs et c’était arrivé.
Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline – Extrait
« Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans.
Je ne la déplore pas moi...
Je ne me résigne pas moi...Je
la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec
elle.
» (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Louis Ferdinand Céline (1894-1961) a marqué le XX ème Siècle de son œuvre si particulière : la
publication de Voyage au bout de la nuit a été un événement.
En rompant avec la tradition romanesque,
il a permis le développement du genre en 1950.
En effet, ce premier roman est représentatif d’un style
insolite, reposant notamment sur la langue populaire.
Cette œuvre est un roman malgré le caractère
autobiographique que l’on pourrait lui trouver.
Céline s’y défend d’ailleurs en disant : « Je m’arrange
avec mes souvenirs en trichant comme il faut ».
Cet extrait se situe au début du roman lorsque Bardamu
rentre dans l’armée, forcé par les circonstances.
Il ne comprend pas ce qu’il fait là et apporte un regard
extérieur mais plein de jugement sur la situation dans laquelle il se trouve.
L’extrait suivant relate l’épisode où le personnage est confronté à la guerre, après s’être engagé sur un
coup de tête.
Personnage ordinaire, Bardamu transmet toutes ses émotions, loin de toute considération
héroïque.
On peut donc se demander à travers l’analyse de cet extrait, Quelle dénonciation de la guerre
opère Céline à travers l’expérience de soldat que fait valoir son héros ?
Dans un premier temps nous nous concentrerons sur le personnage de Bardamu, cet anti-héros notoire
mais qui se révèle finalement être le témoin principal de cette scène absurde.
Il est cependant évident
que nous ne pouvons passer à coté de la dimension dénonciative de la guerre présente dans cet extrait et
ce que nous verrons dans un second temps.
Dans cet extrait, Céline donne le témoignage d’un homme totalement dépassé.
Ce témoignage est donné par un homme ordinaire.
Premièrement, le texte est écrit à la première
personne du singulier, et semble déclamé comme un véritable témoignage de barbu, partageant avec le
lecteur son expérience hors du commun.
Céline fait une précision sur l’âge de Bardamu au moment des
faits en mettant en place une négation restrictive et une redondance de la formule (« vingt ans d’âge » rappelle l’estimation d’un vin pour la garde : le personnage est encore vert) qui permettent d’insister sur
sa jeunesse et son inexpérience.
Le récit qu’il fait de la scène de bataille montre de réelles qualités oratoires : on note par exemple le
recours au discours direct, qui dynamise la narration, lorsque le personnage rapporte sa pensée à propos
des paysans qui ont déserté leurs maisons.
De plus, dans l’ensemble du texte, il s’exprime sur un ton
très vif, semblant chercher à interpeller et faire réagir le lecteur par ses questions et ses exclamations
nombreuses.
De même, le recours à un « moi » emphatique lui permet de s’adresser au lecteur sur le ton
de la confidence – sentiment renforcé par la précaution oratoire que prend Bardamu pour s’exprimer : «
faut que je le dise tout de suite »
Son langage lui-même apparaît très relâché, et donne le sentiment d’entendre la gouaille sans retenue
d’un homme du peuple : phrases non verbales (« une immense, universelle moquerie »), élision de
termes dans la phrase (ex.
« faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir » : absence du pronom
sujet « il » et du terme de négation « ne »), phrases bancales, se constituant d’une proposition
subordonnée sans principale (« Pour qu’on se trouve bien tranquilles… »), usage de termes familiers,
voire enfantins (« des cochonneries » ; « en plein bidon »), incises alourdies par l’ajout licencieux d’une
conjonction de subordination (« que je me disais »), épithète détachée en lieu et place de l’adverbe utilisé
habituellement (« Le vent s’était levé, brutal »
« brutalement »), pléonasme grammatical (« ces
maisons où les gens n’y sont jamais »)…
Ce témoignage cherche à plonger le lecteur au cœur de l’action, et lui fait partager la sidération
du personnage, égaré par la profusion d’informations qui lui arrivent de toutes parts.
Dès le début, la gradation qui décrit la sensation d’être frôlé par les balles, soutenue par l’emploi du
déterminant possessif « nos », invite le lecteur à prendre la place du narrateur et à vivre l’instant de
trouble qu’il partage : « Au-dessus de nos têtes < à deux millimètres < à un millimètre peut-être des
tempes ».
De même, l’usage de plusieurs déictiques tout au long du texte contribue encore davantage à
positionner le lecteur dans la tête et le corps de Bardamu : « au loin », « ici », « de là-bas sur nous » …
La tension de l’atmosphère est traduite par la mention de....
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