Commentaire d'arrêt 4 mars 2020 Chambre Sociale
Publié le 16/02/2024
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«
Commentaire
Tandis qu’un régime intermédiaire entre le salariat et les indépendants existe dans certains États européens, comme au
Royaume-Uni, le droit français ne connaît qu’une qualification binaire de travailleur indépendant et de travailleur
salarié.
Le nouveau statut du « travailleur des plateformes numériques », à mi-chemin entre le travail indépendant et le
travail subordonné, a ainsi fait naitre un nouveau contentieux en la matière, dont la disparité des décisions subsiste.
Par un arrêt du 4 mars 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation retient que le contrat conclu entre un
chauffeur VTC et une société́ utilisant une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des
clients et des chauffeurs exerçant sous le statut de travailleur indépendant, peut être qualifié de contrat de travail.
En l’espèce, un chauffeur déclaré en tant que travailleur indépendant avait conclu un contrat de prestation de services
avec la société Uber BV, afin de bénéficier de sa plateforme numérique de mise en relation par voie électronique.
Ce
contrat prévoyait et encadrait la mise à disposition de la plateforme numérique Uber, matérialisée par une application
permettant au prestataire d’être mis en relation avec des clients, en vue d’assurer une prestation de transport de
personnes.
Après 6 mois d’exercice, la société a rompu ce contrat en désactivant définitivement le compte du
chauffeur, afin qu’il ne puisse plus accéder à la plateforme.
Ce dernier, a donc saisi la juridiction prud’homale d’une demande en requalification de son contrat initial en contrat
de travail, dans le but d’obtenir les salaires et indemnités de rupture.
Le conseil de prud’hommes de Paris déboute le
demandeur au motif que ce contrat avait une nature commerciale.
Le demandeur interjette appel devant la cour
d’appel de Paris, qui infirme le jugement prud’homal, dans un arrêt du 10 janvier 2019, et prononce la requalification
du contrat de prestation de services en contrat de travail.
Le défendeur, la société Uber BV, se pourvoit en cassation, et fait grief à l’arrêt attaqué de retenir que le contrat ayant
lié le demandeur au défendeur, est un contrat de travail, alors qu’aucun lien de subordination juridique ne saurait
résulter dudit contrat au regard de l’article L.
8221-6 du code du travail.
Il s’agissait pour la Cour de cassation de s’interroger sur les question suivantes :
Le contrat conclu par travailleur indépendant avec une plateforme numérique, peut-il être qualifié de contrat
de travail ?
Plus précisément, le contrat conclu entre un chauffeur VTC et la société utilisant une plate-forme numérique et
une application afin de mettre en relation des clients et des chauffeurs exerçant sous le statut de travailleur
indépendant, peut-il être qualifié de contrat de travail ?
Peut-on retenir, eu égard à l’ensemble des éléments dudit contrat, l’existence d’un véritable lien de
subordination juridique entre le travailleur et la personne qui l’emploie, critère essentiel à la qualification du
contrat de travail ?
La Cour de cassation rejette le pourvoi du défendeur.
Elle répond ainsi par l’affirmative en qualifiant de « fictif » le
statut de travailleur indépendant du chauffeur, dès lors que ce dernier « exécute un travail sous l'autorité d'un
employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les
manquements de son subordonné ».
L’existence en l’espèce d’un lien de subordination lors des connexions du
chauffeur de VTC à l’application Uber est ainsi reconnue.
La haute juridiction, par cet arrêt vient, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 13 nov.
1996),
définir la caractérisation du lien de subordination juridique, qui se décompose en trois éléments : le pouvoir de donner
des instructions, le pouvoir d’en contrôler l’exécution, le pouvoir de sanctionner le non-respect des instructions
données.
Les juges de la Cour de cassation retiennent également une définition, du travailleur indépendant, écartée en l’espèce,
qui se caractérise par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs, et la liberté de
fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.
Cette décision de la Cour de cassation s’inscrit dans une nouvelle lignée jurisprudentielle, apparue avec l’essor du
numérique et l’« ubérisation » de l’économie.
En conséquence, les tribunaux inférieurs saisis de cette question sont
divisés, certains optant pour l’indépendance, d’autres pour la requalification en contrat de travail et d’autres encore
préférant reconnaitre une protection spécifique inspirée de celle des salariés, sans retenir la qualité de salariés,
protection renforcée par le législateur par la loi du 8 août 2016.
Si cet arrêt est cohérent avec la lignée jurisprudentielle tracée par l'arrêt Take Eat Easy (de la Cour de cassation du 28
novembre 2018 concernant une autre plateforme numérique), la solution rendue restait incertaine dans la mesure où
les conditions d'exercice des activités semblent varier sensiblement d'une plateforme à l'autre, nécessitent ainsi une
profonde analyse de la relation prévue par le contrat afin de retenir ou non, l’existence d’un lien de subordination
juridique.
Les juges de la Cour de cassation, pour retenir le statut de salarié du demandeur procèdent à une application classique
des critères jurisprudentiels du contrat de travail (I).
Cette décision laisse pour autant subsister des incertitudes quant
au futur du statut des travailleurs des plateformes numériques (II).
I/ Une application traditionnelle des critères jurisprudentiels du contrat de travail
A/ La réaffirmation du triptyque de la caractérisation du lien de subordination
B/ L’application casuistique du principe de réalité
II/Une solution équivoque au regard du statut général du travailleur des plateformes
A/ L’incertitude du statut « fictif » du travailleur indépendant
B/ Une évolution du droit des travailleurs VTC juridiquement limité
I/ Une application traditionnelle des critères jurisprudentiels du contrat de travail
La chambre sociale fait ici une application classique de la jurisprudence relative au lien de subordination, qui doit
pour être caractérisé, réunir le triptyque : pouvoir de direction, pouvoir de contrôle et pouvoir de sanction (A) ; et
retient le rejet de la dépendance économique comme critère, ou même seulement comme indice (B).
A/ La réaffirmation du triptyque de la caractérisation du lien de subordination
Cet arrêt du 4 mars 2020, affermit la caractérisation du lien de subordination comme critère essentiel du contrat de
travail, tel qu’il a été défini par l’arrêt Société générale du 13 novembre 1996, rendu par la chambre sociale de la Cour
de cassation en les termes suivants : « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de
donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné
».
Les juges de la haute juridiction vont, pour retenir la requalification du contrat de prestation en contrat de travail,
chercher à réunir, in concreto, le triptyque : pouvoir de direction, pouvoir de contrôle et pouvoir de sanction.
Quid du pouvoir de direction ? La Cour de cassation retient que le chauffeur « a été contraint pour pouvoir devenir
"partenaire" de la société Uber BV (…) de s'inscrire au Registre des Métiers et que, loin de décider librement de
l'organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, il a ainsi intégré un service de
prestation (…) à travers l'utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni
les conditions d'exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la société Uber BV.
»
Ainsi selon la Cour de cassation, le travailleur qui n’est pas libre de décider de l’organisation de son actvité, ni de
fixer ses tarifs, ni de constituer une clientèle propre, ni de choisir ses fournisseurs, est subordonné à un pouvoir de
direction de son employeur.
Le critère des conditions de fixation des tarifs est ici très révélateur de l’étendue des pouvoirs dont dispose la
plateforme.
En effet, les tarifs sont déterminés unilatéralement par la société Uber BV, en amont de la course, selon
ses propres algorithmes, et est permis à la plateforme, dans le contrat, de réajuster en amont le tarif initialement prévu,
notamment dans le cas où le chauffeur aurait suivi un « itinéraire inefficace ».
Cela restreint donc considérablement la
liberté supposément octroyée au chauffeur de choisir son itinéraire, et traduit le fait qu’Uber lui donnait des directives
et en contrôlait l’application.
De plus, ce pouvoir de direction est d’autant plus établi que la destination n’est pas
systématiquement connue du coursier, qui ne peut donc pas choisir librement son trajet comme le ferait un chauffeur
indépendant.
Le premier critère relatif au lien de subordination est donc établi.
Concernant le pouvoir de contrôle, il est également constaté par les corrections tarifaires (ci haut) imposées au
prestataire en cas de déviation de l’itinéraire imposé par la plateforme.
En revanche, contrairement à la cour d’appel et
à l’arrêt Take Eat Easy du 28 novembre 2018, la Cour de cassation ne retient pas dans notre arrêt, pour caractériser ce
pouvoir, l’existence d’un système de géolocalisation des chauffeurs.
Le rapport publié par la Cour révèle ainsi que la
géolocalisation ne caractérise pas nécessairement le pouvoir de contrôle de la plateforme puisqu’elle peut être mise en
place afin « d’assurer la sécurité....
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