Commentaire composé Retour au désert, de Koltés
Publié le 20/04/2022
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«
Le Retour au désert, B.M.
Koltès, 1988
Pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Mathilde revient en France avec son fils Édouard dans
l’intention de récupérer la maison familiale et de régler des comptes.
Une violente dispute l’oppose à son
frère Adrien devant les serviteurs, Aziz et madame Queuleu.
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Aziz.
– Qu’ils se tapent donc, et, quand ils seront calmés, Aziz ramassera les morceaux.
Entre Édouard.
Madame Queuleu.
– Édouard, je t’en supplie, je vais devenir folle.
Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien.
Adrien – Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer tous
les gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les
habitudes des autres, accuser, calomnier, injurier le monde entier ? Tu n’es qu’une femme,
une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de temps
encore, tu aurais été bannie de la société, on te cracherait au visage et on t’enfermerait
dans une pièce secrète pour faire comme si tu n’existais pas.
Que viens-tu revendiquer ?
Oui, notre père t’a forcée à dîner à genoux pendant un an à cause de ton péché, mais la
peine n’était pas assez sévère, non.
Aujourd’hui encore, c’est à genoux que tu devrais
manger à notre table, à genoux que tu devrais me parler, à genoux devant ma femme, devant
madame Queuleu, devant tes enfants.
Pour qui te prends-tu, pour qui nous prends-tu, pour
sans cesse nous maudire et nous défier ?
Mathilde.
– Eh bien, oui, je te défie, Adrien ; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de
femme.
Je vous défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l’entoure et
l’arbre sous lequel ma fille se damne, et le mur qui entoure le jardin.
Je vous défie, l’air que
vous respirez, la pluie qui tombe sur vos tètes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie
cette ville, chacune de ses rues et chacune de ses maisons, je défie le fleuve qui la
traverse, le canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est au-dessus de vos têtes,
les oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et les enfants
dans le ventre de leurs mères.
Et, si je le fais, c’est parce que je sais que je suis plus solide
que vous tous, Adrien.
Aziz entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde.
Mais ils s’échappent et
reviennent.
Mathilde.
– Car sans doute l’usine ne m’appartient-elle pas, mais c’est parce que je n’en ai
pas voulu, parce qu’une usine fait faillite plus vite qu’une maison ne tombe en ruine, et que
cette maison tiendra encore après ma mort et après celle de mes enfants, tandis que ton
enfant se promènera dans des hangars déserts où coulera la pluie en disant : C’est à moi,
c’est à moi.
Non, l’usine ne m’appartient pas, mais cette maison est à moi et, parce qu’elle
est à moi, je décide que tu la quitteras demain.
Tu prendras tes valises, ton fils, et le reste,
surtout le reste, et tu iras vivre dans tes hangars, dans tes bureaux dont les murs se
lézardent, dans le fouillis des stocks en pourriture.
Demain je serai chez moi.
Adrien.
– Quelle pourriture ? Quelles lézardes ? Quelles ruines ? Mon chiffre d’affaires est
au plus haut.
Crois-tu que j’ai besoin de cette maison ? Non.
Je n’aimais y vivre qu’à cause de
notre père, en mémoire de lui, par amour pour lui.
Mathilde.
– Notre père ? De l’amour pour notre père ? La mémoire de notre père, je l’ai mise
aux ordures il y a bien longtemps.
Adrien.
– Ne touche pas à cela, Mathilde.
Respecte au moins cela.
Cela au moins, ne le salis
pas.
Mathilde.
– Non, je ne le salirai pas, cela est déjà très sale tout seul.
Bernard-Marie Koltès (1948-1989), Le Retour au désert, Editions de Minuit, 1988..
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