Commentaire Composé Du Sonnet 7, « On Voit Mourir Toute Chose Animée » In Sonnets (1555) De Louise Labé
Publié le 15/05/2020
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[Accroche] Depuis les chansons de geste du Moyen-Âge, la domination symbolique dans le couple est traditionnellement dévolue à lafemme.
À l’origine de cette domination se trouve la tradition de l’amour courtois, amour profond et véritable que le prétendant voue à sadame.
L’homme s’y définit comme le vassal de son aimée, doit être à l’affut de ses désirs et faire preuve d’une fidélité à toute épreuve.Quoique la littérature de la Renaissance se soit en grande partie construite en réaction contre celle du Moyen-Âge, nous avons puconstater, avec l’étude du dizain 186 notamment, que les poètes ont maintenu tel quel ce rapport de domination.[Annonce de la problématique] De manière originale sinon inédite, le sujet lyrique des Sonnets est une femme, et c’est un homme quidevient l’objet du désir amoureux.
Dans le sonnet 7, cette femme présente une requête à l’être aimé.
Que lui reste-t-il dans cettesituation de son statut de souveraine ?Nous verrons dans un premier temps comment le discours féminin semble inverser radicalement le rapport de domination.
Nousintéresserons ensuite au double langage de ce poème, qui nous invite à relire l’infériorité proclamée de la femme comme une stratégiede séduction.
[I.
UNE INVERSION DU RAPPORT DE DOMINATION]
[1.1.
La métaphore du corps et de l’âme pour dire cette inversion]Le sonnet 7 s’ouvre sur une métaphore assimilant le sujet lyrique à un corps et l’être aimé à une âme.
Au vers 3, cette âme est désignéepar la périphrase méliorative, « la meilleure part », qui annonce la supériorité de l’élément spirituel sur l’élément matériel, et donc del’homme sur la femme.
Quelle est la nature de cette supériorité ?Les poètes de la Renaissance étant nourris de néoplatonisme, il peut être intéressant, pour répondre à cette question, de relire quelquespages de Platon.
Dans le Premier Alcibiade, Socrate établit que « l’âme se sert du corps », et qu’ « elle s’en sert en le commandant »(§130).
L’expression « meilleure part » dans le Sonnet 7 renverrait donc à une supériorité hiérarchique : le corps est dominé par l’âme, lesujet lyrique dominé par l’être aimé.Nous assistons donc à une inversion du rapport de domination par rapport à celui habituellement diffusé par la littérature : l’hommedomine la femme.[1.2.
Une domination rigoureuse, une femme maltraitée et suppliante]En l’occurrence, on peut donner ici au terme « domination » un sens fort (du latin dominus, le maître, antonyme de servus, l’esclave).C’est un asservissement de la femme par l’homme dont il est question ici.Les termes utilisés par le sujet lyrique dénoncent presque des maltraitances, acceptées par soumission : elle accuse l’homme de la laisser« pâmée » (v.6), au bord de l’évanouissement, de la mettre en un « hasard » (étymologiquement, « coup défavorable au jeu de dés »),d’être pour elle source de « danger » (v.9), de faire enfin preuve de « sévérité » (v.11, étymologiquement, dureté), de « rigueur » (v.12),voire d’être « cruel » (v.14, étymologiquement, qui torture, qui fait couler le sang).
Cette gradation dans l’expression de la douleurdocilement acceptée contribue à teinter le texte d’un registre pathétique.Comment comprendre l’absence de rébellion de la part du sujet lyrique en pareilles circonstances ? Les deux premiers vers nous y aident :« On voit mourir toute chose animée,/ Lorsque du corps l’âme subtile part ».
Par cette sentence*, la femme exprime son état dedépendance vis-à-vis de l’être aimé : non seulement elle se trouve incomplète en son absence, mais c’est la mort qui la guette si cetteséparation devait se prolonger : « Pour me sauver après viendrais trop tard » (v.6).
La femme n’hésite donc pas à se livrer à un véritablechantage affectif, promettant à mi-mots le suicide si l’homme restait sourd à sa demande.
[II.
UNE POSTURE FICTIVE MASQUANT UNE STRATÉGIE DE SÉDUCTION ?]
[2.1.Un discours axé sur la sensualité pour stimuler le désir]Abstraction faite de la référence à Platon, la métaphore du corps et de l’âme suggère un acte très prosaïque.
Dans l’être humain en effet,le corps et l’âme sont indissociablement liés : ce que propose le sujet est donc une union, une relation au cours de laquelle les amants neferont plus qu’un.Cette union, la femme se propose d’y participer en tant que corps : comment ne pas lire ici un appel à la sensualité, destiné à éveiller ledésir masculin ? Dès lors l’expression « rencontre et revue amoureuse » relève d’un euphémisme que l’amant décryptera sans peinecomme renvoyant à l’union charnelle.
Cette interprétation est justifiée par un discours féminin délibérément équivoque, fortement teintéde badinage.[2.2.
Des traces de badinage]Ce soupçon nous invite à reconsidérer les interprétations développées précédemment sur la domination de la femme par l’homme.
Si elleadmet apparemment cette domination, la femme récupère ponctuellement l’autorité, si bien qu’il est légitime de se demander si lareconnaissance de son infériorité et de sa dépendance ne se limite pas à une stratégie destinée à flatter l’amour-propre de l’amant.Habile séductrice, elle se montre tour à tour cajoleuse et autoritaire avec l’être aimé.
Cajoleuse, elle lui témoigne sa vénération par le tourvocatif « ô âme bien-aimée » (v.4), et par un voussoiement respectueux, inhabituel dans la poésie amoureuse : « Ne me laissez par silongtemps pâmée » (v.5).
Autoritaire, elle rappelle ses droits sur lui, notamment par une utilisation insistante du présent de l’impératif : «Rends-lui sa part et moitié estimée » (v.8, mais aussi 6 et 9).
Au vers suivant, le tutoiement de familiarité reprend, suivi de l’apostrophe «Ami » (v.9) qui contraste avec celle du vers 4.
Dans cette perspective, le vers 6 peut même être interprété comme une menace : « Pourme sauver après viendrais trop tard ».
Et si la femme suggérait ici la possibilité d’assouvir son désir avec un autre si l’amant se faisait tropattendre ?Par ce discours ambivalent, le sujet développe le cliché de la femme légère, lunatique, qui sous des dehors chastes, appelle à l’acte dechair : c’est cet acte qui se cache vraisemblablement derrière le polyptote de l’amour : « bien-aimée » (v.4), « Ami » (v.9), « amoureuse »(v.10), « amiable » (v.12).
[CONCLUSION]
En attribuant symboliquement à l’homme le titre de maître, l’instance lyrique féminine inverse le rapport de domination traditionnel.
Dansle même temps, pourtant, la parole poétique vibre de sensualité et se révèle être une stratégie de l’habile séductrice pour attirer l’objetde son désir : elle renoue ainsi avec son statut de souveraine.
Par où l’on voit se confirmer la sentence de Guy de Maupassant dans NotreCœur (1890) : « Une femme a toujours en vérité la situation qu’elle impose par l’illusion qu’elle sait produire.
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