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Colonel Chabert

Publié le 08/12/2021

Extrait du document

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Résumé
 
En 1819, à son retour en France, le colonel Chabert, homme simple et loyal, qui, blessé en participant, au cours de la bataille d'Eylau en 1807, à la charge monumentale donnée par Joachim Murat qui força l’ennemi à la retraite, fut déclaré mort mais était resté vivant sous une montagne de cadavres, cherche en vain à recouvrer son identité, ses biens, son rang, et peut-être sa femme. On apprend que Hyacinthe Chabert, enfant trouvé, a gagné ses galons de colonel dans la Garde impériale en participant à l’expédition d’Égypte de Napoléon Ier, a épousé Rose Chapotel, une modeste roturière qu’il a installée dans un luxueux hôtel particulier et, après sa mésaventure, avait réussi à faire reconnaître son identité de l’autre côté du Rhin avant, après de longs détours, pouvoir revenir à Paris pour découvrir que Rose Chapotel, remariée au comte Ferraud, un homme avide de pouvoir dont elle a deux enfants, a liquidé tous les biens du colonel en minimisant sa succession. Malgré le caractère invraisemblable de l’affaire, Maître Derville accepte de s’occuper de l’affaire colonel Chabert. Après maintes démarches, il conseille au colonel Chabert de ne pas saisir la justice et d’accepter une transaction. Le vieil homme est à deux doigts d’accepter lorsque une machination grossière de Rose Chapotel, qui a tenté de séduire son ex-mari par des câlineries, met en lumière la noirceur de ses intentions. Malgré le soutien de Maitre Derville, Chabert alors renonce à toute transaction déshonorante et disparaît pour se réfugier à l’hospice où il devient l’anonyme numéro 164, septième salle. Rencontrant, quelques années après, l’homme rendu méconnaissable par la misère, Derville s’écrie : «Quelle destinée. Sorti de l’hospice des enfants trouvés, il revient mourir à l’hospice de la vieillesse, après avoir, dans l’intervalle, aidé Napoléon à conquérir l’Égypte et l’Europe.»
 
Analyse
 
(la pagination est celle du Livre de poche)
 
Intérêt de l'action
 
Avec un personnage qui prononce cette phrase impossible : «Je suis celui qui est mort», ‘’Le colonel Chabert’’ est une histoire de résurrection (on y retrouve le vieil archétype du Christ réapparaissant à ses disciples après sa mort), une résurrection toute en douleur, une histoire de héros revenant longtemps après la fin de la guerre (comme Ulysse ou Agamemnon), une histoire de revenant d'entre les morts, de messager des ténèbres, d'homme qui a été victime d'un crime et qui dit : «Je suis là, je veux me venger, même en faisant appel à la loi, pour rentrer en possession de mon nom, de mon rang, de ma fortune et de  ma femme». Cet homme mène le combat de sa vie, dans lequel il perdra car, s'il a pu se déterrer, sortir de son trou, quitter les morts, se recoudre le crâne, marcher pendant des années, il aura bien plus de mal à s'authentifier, sa parole n'offrant aucune garantie, et surtout à résister à sa femme et à une société dans laquelle, nécessairement, il introduit le désordre. Et sa femme est en quelque sorte une victime innocente elle aussi car elle s'est remariée en toute bonne foi (un autre titre donné à la nouvelle est ‘’La comtesse à deux maris’’), croyant son mari mort, et elle a des enfants (son argument suprême est : il ne s'agit pas de moi, mais de mes enfants).
Cette histoire de revenant, cette scène parisienne, cette histoire militaire et politique où il y a un affrontement public entre le héros militaire de l'Empire et la société de la Restauration, cette étude de femme, cet affrontement privé entre le mari et l'épouse qui est une autre variation sur l'éternelle lutte de l'homme contre la femme et de la femme contre l'homme, est une tragédie moderne, pleine de violence et de noirceur, qui reprend l'idée intemporelle du passé qui revient dans un présent, où le personnage subit bien la fatalité.
Mais la nouvelle, dont le titre primitif était ‘’La transaction’’, c'est-à-dire un acte juridique par lequel on évite un scandale public, le scandale d'un procès, d'une instruction, est aussi une affaire judiciaire. L'avoué Derville est l'intermédiaire qui négocie avec le revenant. Il connaît les secrets du monde, il dit à la fin qu'il a «vu les sentiments les plus méprisables, toutes les horreurs du monde qui [lui] fait horreur». On peut l'identifier à l'auteur : c'est lui qui tient les fiches, qui connaît les secrets, qui fait la description des horreurs de la société pour tirer la leçon qui est de quitter Paris ; il est le philosophe de la société qui la condamne en s'en retirant, au lieu de chercher à y faire fortune comme tout le monde.
 
Déroulement :
L'exposition est trop longue tandis que le drame est extrêmement bref, sans détails ni commentaires. Ce n'est pas simplement que Balzac n'a pas pu ou voulu établir des proportions plus égales, ce n'est pas non plus qu'il se soit complu dans l'abondance de la préparation ou la minutie de la mise en place, c'est que tout est dit et fourni à l'avance pour que la lutte soit impitoyable, inflexible, pour qu'elle se limite à la brutalité des faits. Le comte Ferraud n'existe que par son nom, la comtesse demeure «la femme sans cœur», Chabert, devenu fou, tombe dans une espèce d'animalité.
Balzac construit et clôt sa nouvelle sur un double renoncement : celui de Chabert et aussi celui de Derville, qui préfère se retirer dans sa campagne et ne plus avoir à faire avec cette société, lui aussi. Du point de vue de l'intrigue, cette fin est frustrante : que Derville n'ait eu ni la volonté ni le plaisir de faire tomber cette femme (simplement par une sorte de devoir moral vis-à-vis de Chabert) est assez étrange. Pour Balzac, Derville est envahi par un sentiment qui est assez comparable à celui de Chabert.
 
Découpage : La version moderne de la nouvelle ne comporte aucun découpage, mais, du temps de Balzac, différentes versions sont parues qui comportaient des chapitres :
I - ‘’Scène d'étude’’ 
II - ‘’La résurrection’’
III - ‘’Les deux visites’’
IV – ‘’La transaction’’
V – ‘’L'hospice de la vieillesse’’.
 
Chronologie : Elle est nettement établie par des indication précises au début de chacun des chapitres. Chabert vient chez Derville en mars 1819. C'est «environ trois mois, donc en juin 1819, après cette consultation» que le notaire Crottat vient conférer avec Derville pour le paiement de la demi-solde. C'est «huit jours après les deux visites que Derville avait faites»  qu'a lieu la rencontre des deux époux. Chabert passe «trois jours» à Groslay. En décembre 1819, Derville réclame en vain à la comtesse le paiement de ses honoraires et de ses frais. En 1822, il rencontre au Palais le vagabond Hyacinthe. Le dénouement nous est livré dans une scène isolée par une formidable accélération du temps de l'intrigue puisque c'est «en 1840, vers la fin du mois de juin» que Derville et Godeschal se rendent à «l'Hospice de la vieillesse» et y rencontrent Hyacinthe.
 
Point de vue : Balzac est un narrateur objectif, omniscient, qui a le point de vue de Dieu, mais qui peut donner aussi la vision du personnage : la description de l'étude (un morceau typiquement balzacien) ne vient que lorsque Chabert entre en scène ; le lecteur la découvre alors comme il la voit.
 
Focalisation : À part le long préambule quelque peu inutile qu'est la scène de l'étude, la focalisation est constamment maintenue sur Chabert.
 
Intérêt littéraire
 
On peut juger du style de Balzac par cet extrait qui est un portrait du colonel Chabert au moment de sa rencontre avec Derville : 
«L'ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu'un homme d'imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l'absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s'accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l'idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu'aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d'une douleur profonde, les indices d'une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d'eau tombées du ciel sur un beau marbre l'ont à la longue défiguré. Un médecin, un auteur, un magistrat eussent pressenti tout un drame à l'aspect de cette sublime horreur dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s'amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.
En voyant l'avoué, l'inconnu tressaillit par un mouvement convulsif semblable à celui qui échappe aux poètes quand un bruit inattendu vient les détourner d'une féconde rêverie, au milieu du silence et de la nuit. Le vieillard se découvrit promptement et se leva pour saluer le jeune homme ; le cuir qui garnissait l'intérieur de son chapeau étant sans doute fort gras, sa perruque y resta collée sans qu'il s'en aperçût, et laissa voir à nu son crâne horriblement mutilé par une cicatrice transversale qui prenait à l'occiput et venait mourir à l'œil droit, en formant partout une grosse couture saillante. L'enlèvement soudain de cette perruque sale, que le pauvre homme portait pour cacher sa blessure, ne donna nulle envie de rire aux deux gens de loi, tant ce crâne fendu était épouvantable à voir. La première pensée que suggérait l'aspect de cette blessure était celle-ci : - Par là s'est enfuie l'intelligence !
- Si ce n'est pas le colonel Chabert, ce doit être un fier troupier ! pensa Boucard.
- Monsieur, lui dit Derville, à qui ai-je l'honneur de parler?
- Au colonel Chabert.
- Lequel?
- Celui qui est mort à Eylau, répondit le vieillard.
En entendant cette singulière phrase, le clerc et l'avoué se jetèrent un regard qui signifiait : - C'est un fou !»
Le texte présente des caractéristiques à la fois du romantisme et du réalisme. Sont romantiques les comparaisons («homme foudroyé», «les gouttes d'eau sur le marbre», le mouvement convulsif du poète), les accumulations («les rides blanches», «les sinuosités froides», «le sentiment décoloré»...), l'oxymoron («sublime horreur»), le sens pictural (allusion au portrait de Rembrandt, allusion aux fantaisies des peintres), le souvenir littéraire qui lui fait recourir, pour parler de ce cadavre vivant qu'est Chabert («je ne sais quoi de funeste qu'aucune parole humaine ne pourrait exprimer»), à l'expression employée par Bossuet dans son ‘’Sermon sur la mort’’ où il proclama que dans la tombe le corps humain devient «un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue», la grandiloquence dans l'évocation des avoués («leur ministère»). Sont réalistes la précision médicale («expression de démence triste», «idiotisme», «cicatrice transversale qui prenait à l'occiput et venait mourir à l'œil droit, en formant partout une grosse couture saillante»), l'insistance sur la perruque qui va jusqu'au grotesque de mauvais goût.
Balzac sait varier les tons : du tragique de cet «homme foudroyé» il passe au comique de la perruque enlevée.
Dans le dialogue, il prouve qu'il a le sens de la répartie, de la formule : «Celui qui est mort à Eylau». D'ailleurs, la conversation des clercs dans la scène de l'étude est d'abord un sketch, un dialogue de boulevard, avec des expressions populaires comme il y en a aussi dans la bouche de Chabert («le patron», «les carabins», «faire coffrer un homme», «une face de requiem»).
Ailleurs dans le texte, Balzac s'amuse à d'autres oxymorons («une stupidité spirituelle» page 92), développe d'autres comparaisons (page 123), recourt à son langage pseudo-médical (pages 114-115), passe facilement à la solennité des grands jugements sur la société (page 66), sur la misère (page 91), sur le malheur (page 117), sur la justice (page 125)
 
 
Source : Comptoir littéraire - André Durand

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