Colette, Sido, I, « Le Capitaine »
Publié le 19/06/2021
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«
MPS FRANÇAIS / PASSAGE 1 SIDO
Colette, Sido , I, « Le Capitaine »
Il y a dix ans, je sonnais, amenée par un ami, à la porte de Mme B..., qui a,
professionnellement, commerce avec les « esprits ».
Elle nomme ainsi ce qui demeure, errant
autour de nous, des défunts, particulièrement de ceux qui nous tinrent de près par le sang, et
par l’amour.
N’attendez pas que je professe une foi quelconque, ni même que je fréquente de
passion les privilégiés qui lisent couramment l’invisible.
Il s’agit d’une curiosité, toujours la
même, qui me conduit indifféremment à visiter tour à tour Mme B..., la « femme-à-la-
bougie », le chien- qui-compte, un rosier à fruits, comestibles, le docteur qui ajoute du sang
humain à mon sang humain, que sais-je encore ? Si cette curiosité me quitte, qu’on
m’ensevelisse, je n’existe plus.
Une de mes dernières indiscrétions s’adressa au grand
hyménoptère d’acier bleu qui abonde, en Provence, pendant la floraison des « soleils », en
juillet-août.
Tourmentée d’ignorer le nom de ce guerrier bardé, je m’interrogeais: «A-t-il ou
non un dard ? Est-il seulement un samouraï magnifique et sans sabre?» Je suis bien soulagée
d’être tirée d’incertitude.
Une curieuse petite déformation, sur l’os d’une phalangine, atteste
que le guerrier bleu est armé à merveille, et prompt à dégainer.
Chez Mme B..., j’eus l’agréable nouveauté d’un appartement moderne, traversé de soleil.
Sur
la fenêtre chantaient des oiseaux en cage, dans la pièce voisine des enfants riaient.
Une
aimable et ronde femme à cheveux blancs m’affirma qu’elle n’avait besoin ni de clair-obscur,
ni d’aucun maléfique décor.
Elle ne réclama qu’un instant de méditation, et ma main serrée
dans les siennes.
– Vous voulez me poser des questions ? me demanda-t- elle.
Je m’avisai alors que j’étais sans avidité, sans passion pour un au-delà quelconque, sans
souhaits immodérés, et je ne trouvai rien à dire, sinon le mot le plus banal :
– Alors, vous voyez les morts ? Comment sont-ils ?
– Comme les vivants, répondit Mme B..., avec rondeur.
Ainsi, derrière vous...
Derrière moi, c’était la fenêtre ensoleillée, et la cage des serins verts.
–...derrière vous est assis l’ « esprit » d’un homme âgé.
Il porte une barbe non taillée, étalée,
presque blanche.
Les cheveux assez longs, gris, rejetés en arrière.
Des sourcils...
oh ! par
exemple, des sourcils..., tout broussailleux...
et là-dessous des yeux oh ! mais, des yeux !...
Petits, mais d’un éclat qui n’est pas soutenable...
Voyez-vous qui ça peut être ?
– Oui.
Très bien.
– En tout cas, c’est un esprit bien placé.
– ?...
– Bien placé dans le monde des esprits.
Il s’occupe beaucoup de vous...
Vous ne le croyez
pas ?
– J’en doute un peu...
– Si.
Il s’occupe beaucoup de vous à présent.
– Pourquoi à présent ?
– Parce que vous représentez ce qu’il aurait tant voulu être sur la terre.
Vous êtes justement ce
qu’il a souhaité d’être.
Lui, il n’a pas pu.
Je ne mentionnerai pas ici les autres « portraits » que me fit Mme B...
Ils valaient tous, à mes
yeux, par quelque détail dont la vigueur et le secret m’enchantèrent comme une sorcellerie
anodine et inexplicable.
D’un « esprit » où je fus bien obligée de reconnaître, trait pour trait,
mon demi-frère, l’aîné, elle dit, apitoyée : « Je n’ai jamais vu un mort aussi triste ! ».
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