Claude-Adrien Helvétius, De l'esprit (1758). La vérité est ordinairement trop mal accueillie des princes et des grands. Commentaire
Publié le 19/12/2021
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Claude-Adrien Helvétius, De l'esprit (1758).
La vérité est ordinairement trop mal accueillie des princes et des grands, pour
séjourner longtemps dans les cours.
Comment habiterait-elle un pays où la
plupart de ceux qu'on appelle les honnêtes gens, habitués à la bassesse et à la
flatterie, donnent et doivent réellement donner à ces vices le nom d'usage du
monde ? L'on aperçoit difficilement le crime où se trouve l'utilité.
Qui doute
cependant que certaines flatteries ne soient plus dangereuses et par conséquent
plus criminelles aux yeux d'un prince ami de la gloire, que des libelles faits contre
lui ? Non que je prenne ici le parti des libelles : mais enfin une flatterie peut, à
son insu détourner un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu'un libelle peut
quelquefois y ramener un tyran.
Ce n'est souvent que par la bouche de la licence
que les plaintes des opprimés peuvent s'élever jusqu'au trône.
Mais l'intérêt
cachera toujours de pareilles vérités aux sociétés particulières de la cour.
Ce
n'est, peut-être, qu'en vivant loin de ces sociétés qu'on peut se défendre des
illusions qui les séduisent.
Il est du moins certain que, dans ces mêmes sociétés,
on ne peut conserver une vertu toujours forte et pure, sans avoir habituellement
présent à l'esprit le principe de l'utilité publique, sans avoir une connaissance
profonde des véritables intérêts de ce public, par conséquent de la morale et de
la politique.
La parfaite probité n' est jamais le partage de la stupidité; une
probité sans lumières n'est, tout au plus, qu'une probité d'intention, pour laquelle
le public n'a et ne doit effectivement avoir aucun égard, 1 parce qu'il n'est point
juge des intentions; 2 parce qu'il ne prend, dans ses jugements, conseil que de
son intérêt.
S'il soustrait à la mort celui qui par malheur tue son ami à la chasse,
ce n' est pas seulement à l'innocence de ses intentions qu'il fait grâce, puisque la
loi condamne au supplice la sentinelle qui s'est involontairement laissé
surprendre au sommeil.
Le public ne pardonne, dans le premier cas, que pour ne
point ajouter à la perte d'un citoyen celle d'un autre citoyen; il ne punit, dans le
second, que pour prévenir les surprises et les malheurs auxquels l'exposerait une
pareille invigilance.
Il faut donc, pour être honnête, joindre à la noblesse de l'âme
les lumières de l'esprit.
Quiconque rassemble en soi ces différents dons de la
nature, se conduit toujours sur la boussole de l'utilité publique.
Cette utilité est
le principe de toutes les vertus humaines, et le fondement de toutes les
législations.
Elle doit inspirer le législateur, forcer les peuples à se soumettre à
ses lois; c'est enfin à ce principe qu'il faut sacrifier tous ses sentiments, jusqu'au
sentiment même de l'humanité.
L'humanité publique est quelquefois impitoyable
envers les particuliers.
Lorsqu'un vaisseau est surpris par de longs calmes, et que
la famine a, d'une voix impérieuse, commandé de tirer au sort la victime.
»
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