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Publié le 22/05/2020
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«
À ARSÈNE HOUSSAYE
Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire,
sans injustice, qu'il n'a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois
tête et queue, alternativement et réciproquement.
Considérez, je vous prie,
quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à
moi et au lecteur.
Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous
le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de
celui-ci au fil interminable d'une intrigue superflue.
Enlevez une vertèbre, et les
deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine.
Hachez-
la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part.
Dans
l'espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous
plaire et vous amuser, j'ose vous dédier le serpent tout entier.
J'ai une petite confession à vous faire.
C'est en feuilletant, pour la vingtième
fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit , d'Aloysius Bertrand (un livre connu
de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits à
être appelé fameux ?) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose
d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie
moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie
ancienne, si étrangement pittoresque.
Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle
d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et
assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux
ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?
C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de
leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant.
Vous-même, mon cher
ami, n'avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier ,
et d'exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce
cri envoie jusqu'aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue ?
Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m'ait pas porté bonheur.
Sitôt que j'eus commencé le travail, je m'aperçus que non seulement je restais
bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais
quelque chose (si cela peut s'appeler quelque chose) de singulièrement
différent, accident dont tout autre que moi s'enorgueillirait sans doute, mais qui
ne peut qu'humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand
honneur du poète d'accomplir juste ce qu'il a projeté de faire.
Votre bien affectionné,
C.
B..
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