Cinq Grandes Odes (extrait)Paul ClaudelÉpode (1907)-- Va-t'en !

« Cinq Grandes Odes (extrait) Paul Claudel Épode (1907) — Va-t'en ! Je me retourne désespérément vers la terre ! Va-t'en ! tu ne m'ôteras point ce froid goût de la terre, Cette obstination avec la terre qu'il y a dans la moelle de mes os et dans le caillou de ma substance et dans le noir noyau de mes viscères ! Vainement ! tu ne me consumeras point ! Vainement ! plus tu m'appelles avec cette présence de feu et plus je retire en bas vers le sol solide, Comme un grand arbre qui s'en va rechercher le roc et le tuf de l'embrassement et la vis de ses quatre-vingt deux racines ! Qui a mordu à la terre, il en conserve le goût entre les dents. Qui a goûté le sang, il ne se nourrira plus d'eau brillante et de miel ardent ! Qui a aimé l'âme humaine, qui a une fois été compact avec l'autre âme vivante, il y reste pris pour toujours. Quelque chose de lui-même désormais hors de lui vit au pain d'un autre corps. Qui a crié ? J'entends un cri dans la nuit profonde ! J'entends mon antique s œur des ténèbres qui remonte une autre fois vers moi. L'épouse nocturne qui revient une autre fois vers moi sans mot dire, Une autre fois vers moi avec son c œur, comme un repas qu'on se partage dans les ténèbres, Son c œur comme un pain de douleur et comme un vase plein de larmes. Une autre fois du Ténare ! une autre fois de l'autre côté de ce bas canal que n'éclaire pas même Le rai d'un astre de plomb et la corne lugubre d'Hécate !. »