Chili (1983-1984) - Le dialogue piégé
Publié le 13/09/2020
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Chili 1983-1984
Le dialogue piégé
Les cinq cents journalistes étrangers partis pour Santiago en septemb
re 1983 sont rentrés déçus du
voyage.
Ils s'y rendaient afin d'assister aux derniers jours du régim
e du général Pinochet, qui après dix
ans de règne incontesté semblait cette fois près de s'écroul
er définitivement.
Mais le grand événement ne
s'est pas produit.
Faisant preuve d'une grande habileté tactique, le
régime était parvenu à désamorcer
une situation devenue explosive.
De là à conclure que la dictature était réinstallée pour
une longue période, il n'y a qu'un pas que certains
observateurs ont franchi, un peu hâtivement.
Si 1983 n'a pas été
l'année décisive, elle aura toutefois
marqué un revirement majeur par rapport à la période précé
dente.
Le régime a en effet perdu sa
capacité d'initiative.
Sous le poids de la crise économique, son p
rojet de "révolution capitaliste" a tourné
court.
Stratégiquement, la dictature a atteint le seuil de l'épuis
ement.
D'un régime qui n'avait pas de
délais mais seulement des objectifs, on est vite passé à un ré
gime qui n'a plus qu'un seul but: tenir
jusqu'en 1989, échéance légale fixée par le referendum truqu
é de 1981.
Les principaux événements
survenus en 1983 en témoignent.
La crise économique ouverte en 1981 s'est nettement aggravée.
À
une chute record du PNB (-14% en
1982), a succédé en 1983 une nouvelle régression (-0,5%).
Le
niveau de production de l'économie
chilienne a été ainsi ramené à celui de 1970 et son revenu p
ar habitant au niveau de ...
1960.
Le taux de
chômage a atteint des proportions considérables: un tiers de la po
pulation active! Quant à la dette
extérieure (environ 18 milliards de dollars à la fin de 1983) el
le était une des plus élevées du monde par
habitant.
Le "miracle chilien", proclamé par le régime et loué
par la grande presse économique
internationale, a débouché sur une catastrophe.
La nationalisation
de facto ("intervención") des
principaux établissements financiers le 13 janvier 1983, trois jours
seulement après la signature de
l'accord standby avec le Fonds monétaire international, a mis en é
vidence la faillite du modèle importé de
l'école de Chicago.
Le montant des crédits accordés par les ban
ques chiliennes dépassait en effet
largement celui de leur capital et de leurs réserves, mettant en pé
ril l'ensemble du système financier.
D'où l'intervention de l'État: c'est la "voie militaire vers le so
cialisme", ont ironisé certains
commentateurs...
La débâcle économique a sérieusement ébranlé la base s
ociale de la dictature et renforcé l'opposition.
L'époque de la consommation effrénée de toutes sortes de biens
importés par les couches sociales les
plus favorisées était bien révolue.
Dans ce contexte, la contes
tation sociale est devenue de plus en plus
massive.
L'ampleur de la première journée nationale de protestatio
n (11 mai 1983), convoquée par les
travailleurs du cuivre, a dépassé les pronostics les plus optimist
es des organisateurs.
Les casseroles
mobilisées par la droite au temps de l'Unité populaire se sont mis
es de nouveau à résonner, cette fois-ci
pour exprimer le mécontentement de la population à l'égard des
militaires.
Les journées de protestation
se sont ensuite succédé régulièrement tous les mois.
Surpris
, le gouvernement a tardé à réagir.
Après
quelques mois d'hésitation, il choisit la politique de la carotte et
du bâton.
Lors de la quatrième journée
de protestation (11 août), dix-huit mille soldats descendaient dans
les rues de la capitale pour disperser
les manifestants.
On dénombrera une centaine de morts parmi la popula
tion, notamment celle des
bidonvilles.
Mais avec la nomination d'un nouveau ministre de l'Intérieur, l'ancie
n sénateur et président du Parti
national Sergio Onofre Jarpa, l'"ouverture politique" était déclar
ée.
Bon tacticien, le ministre Jarpa a lancé
un appel solennel au dialogue avec l'opposition.
Pressée par la hié
rarchie de l'Église catholique, l'Alliance
démocratique (AD), le principal conglomérat de l'opposition s'as
seyait à la table de négociation.
Ce fut un
dialogue de sourds.
Le ministre Jarpa n'avait pas en effet le pouvoir de
satisfaire les exigences de l'AD:
démission de Pinochet, élection d'une assemblée constituante et
mise en place d'un gouvernement
provisoire.
Contrairement à ce qu'on avait pu croire, il n'était m
ême pas autorisé à en débattre.
Après
trois séries de pourparlers infructueux, l'AD interrompait le dialogu
e.
Les résultats de cette opération ont été largement négati
fs pour l'opposition, qui a ainsi permis au régime
de gagner du temps et de recomposer partiellement son unité.
Le mouve
ment d'opposition s'est retrouvé.
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