Charles Quint
Publié le 16/05/2020
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Charles Quint
Lorsque la nouvelle de l'élection du roi d'Allemagne, auquel revenait aussi le titre d'empereur romain élu, parvint à lacour royale d'Espagne, le grand chancelier Gattinara rédigea un mémoire, dans lequel il disait : "Sire, puisque Dieunous a accordé l'immense grâce de vous élever au-dessus de tous les rois et princes de la chrétienté, à un pouvoirque seul votre prédécesseur Charlemagne avait possédé jusqu'ici, vous vous trouvez sur le chemin qui mène à lamonarchie universelle et à la réunion de la chrétienté guidée par un seul pasteur." Ce document, plein d'excellentsconseils en vue d'un règne prospère, a pour conclusion que la raison d'être de la monarchie est l'unification de tousles peuples pour le service de Dieu.
Le souverain, qui n'avait alors que dix-neuf ans, reçut ainsi l'idée directrice, qu'ilappliqua sa vie durant.
Dans les erreurs et les confusions de cette vie mouvementée, dans ses victoires et défaitescomme dans le bonheur et la peine, Charles Quint fut pénétré de la conviction d'être appelé, lui-même et sa maison,à servir la gloire de Dieu et le bien de l'Église.
Nous retrouvons le même motif dans les impressionnantes paroles qu'ilprononça aux Pays-Bas en 1555 au moment de transmettre le pouvoir à son fils Philippe II, alors âgé de vingt-huitans.
C'est dans cet acte solennel, en face du monde entier, qu'il rendit compte de sa vie et des principes qui lagouvernèrent.
Ceci se déroulait au même endroit où, quarante ans plus tôt, il avait été déclaré majeur par songrand-père, l'empereur Maximilien.
A ce moment-là lui échurent la Bourgogne et l'Espagne et plus tard le SacrumImperium Romanum ; la chrétienté était divisée ; les pays sur lesquels il régnait, entourés d'ennemis qu'il avait étéobligé de combattre durant son règne.
Toute sa vie, il se serait efforcé de défendre les intérêts de ses États etd'accomplir les devoirs qui lui avaient été imposés.
Son rôle suprême aurait été de veiller sur la chrétienté et de laprotéger contre les infidèles.
Et il conjura son fils : "Ne cesse jamais de respecter la religion.
Dans ces États,renforce la foi catholique dans toute sa pureté.
Considère les lois du pays comme chose sacrée et inviolable ; et si,plus tard, tu nourris le désir de chercher la paix dans une vie retirée, puisses-tu avoir un fils auquel transmettre lesceptre avec autant de joie que je le fais en ce jour." Avec grande dignité et résignation, Charles Quint quitta lascène mondiale où il avait tenu le rôle principal pendant presque trente ans.
Jeune prince, il vécut aux Pays-Bas, terres de l'héritage bourguignon de Charles le Téméraire.
Érasme lui dédia sonInstitutio principis christiani, où il explique les devoirs d'un prince élevé dans la foi chrétienne : devoir d'exercer lajustice, d'accorder sa grâce, de gagner les cœurs de ses sujets et, avant tout, celui de maintenir la paix.
Gattinaraconsidérait la base réelle de la puissance universelle et la grandeur comme conditions d'un engagement efficace auservice de la chrétienté entière.
L'empereur, qui avait grandi dans l'atmosphère chevaleresque de la noblessebourguignonne, parmi les conceptions de l'honneur et de générosité propres aux chevaliers de la Toison d'or, étaitsans doute accessible aux idées ambitieuses.
L'expression "Honeur et Repudacion de notre Maison d'Autriche"apparaît souvent dans ses lettres comme l'expression de sa conscience dynastique.
Mais le déploiement du pouvoirde l'empereur est justement ce qui irrite et provoque ses adversaires ; François Ier, roi de France (qui considère lapuissance des Habsbourg encerclant son État comme tyrannie et despotisme), les États néerlandais (qui y voientune menace de leurs droits et de leurs privilèges traditionnels), les princes et les villes-républiques d'Italie (qui, bienqu'engagés dans de constants combats à se disputer le pouvoir, ne sont pas favorables à une dominationétrangère) : tous, ils se méfient de la concentration du pouvoir dans les mains de l'empereur, concentrationinconnue jusqu'alors.
Mais l'empereur ne désire pas devenir un réformateur et possède encore moins de penchantsau despotisme.
Il ne peut être que le conservateur d'un ordre et d'une union décidés par Dieu.
Il se considère pascomme un conquérant audacieux, mais constamment comme un défenseur.
Et, pour lui, la défense est un devoird'honneur que personne n'a le droit de lui disputer.
Cette "loi supra-individuelle" exige de lui acceptation de toutdéfi, mais aussi l'abandon courageux à l'inévitable.
Ce n'est ni le malheur ni les défaites qui peuvent souiller lebouclier immaculé de l'honneur, ce dont seule serait capable une fuite lâche devant les difficultés et les dangers.
Lapuissance de sa Maison s'étend, mais ce processus s'effectue sans son concours, presque comme par miracle,comme une grâce de Dieu et non comme le résultat des exploits d'un conquérant.
En effet, il ne s'est jamais engagédans une guerre de conquête.
Un an après la bataille de Mühlberg (1548) ou il vainquit la coalition des princesprotestants de la ligue de Smalkalde, il exhorte ainsi son fils : "Maintiens la paix, évite la guerre à moins que, pour tedéfendre, tu n'y sois contraint."
Pour Charles Quint, le pouvoir représente une charge imposée par Dieu, dans le but de le servir.
Cette conceptionreligieuse l'élève au-dessus de la conception politique du pouvoir d'un Gattinara et plus au-dessus encore de l'idéeantimorale de la raison d'État de Machiavel.
Son pouvoir ne repose pas non plus sur un seul État, mais sur denombreux États et territoires et sur de nombreux peuples qui sont unis entre eux par la couronne supranationale del'Empire romain.
La puissance et la domination lui semblent être trop exposées aux passions et aux vicissitudes pourpouvoir les utiliser comme instruments sûrs au service de son bon plaisir.
Les amis deviennent ennemis et les traitéssolennellement conclus sont cassés sans vergogne dès qu'ils cessent d'être profitables.
Les périodes de guerressont suivies de périodes de paix armée qui servent à préparer de nouvelles guerres.
Mais la seule guerre qui luitienne à cœur, à laquelle il pense toujours, celle qu'il veut conduire pour le salut de la chrétienté, c'est-à-dire lacroisade générale des princes chrétiens d'Occident, ne se réalise pas.
Tous ses efforts pour unir le monde chrétien,pour réconcilier les princes, catholiques et protestants, sous la bannière d'un but commun, restent sans succès.Pourquoi donc ? Parce que l'on n'a pas encore reconnu le caractère essentiel du schisme, parce qu'une méfianceprofondément enracinée s'oppose à un commandement unique, et enfin parce que le particularisme et l'égoïsmefleurissent en ce temps-là, comme jamais auparavant.
Jamais, confesse-t-il au soir de sa vie, il ne s'était renducoupable d'injustice ou d'arbitraire, ni n'avait refusé sa grâce ; la seule chose dont il pourrait s'accuser était sonincapacité de porter plus longtemps le lourd fardeau du pouvoir..
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