Chardin
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
CHARDIN
1699-1779
Sr le XVIIIe siècle possède en nombre appréciable des peintres d'imagination, Chardin, lui,
est le peintre
de la réalité, à vrai dire le seul grand en France.
Celui qui se content~ des objets
les plus
banaux, des plus humbles personnages, en les répétant sans cesse.
Il n'eut pas besoin de chercher bien loin ses modèles.
Ces meubles, ces ustensiles, ces vases,
tous ces attributs généralement assez vulgaires, ou peu luxueux, c'est dans son
propre ménage
qu'il les trouva, sauf à les emprunter à des amis, des confrères.
De même, c'est dans le quartier
de Paris où ce fils de menuisier vit le jour et passa toute son existence, qu'il découvrit ces femmes,
ces enfants auxquels il
s'attacha; ils appartiennent au peuple, tout au plus à la bourgeoisie, ja
mais à l'aristocratie.
Et voilà le « réaliste>> Chardin promu au rang de peintre bourgeois.
Ces
héros sans prétention, il n'eut que la peine de les regarder et surtout celle de les aimer.
Car c'est
là
que réside son secret: encore qu'éloigné de toute sentimentalité autant que de tout parti pris
moralisateur,
Chardin éprouva une réelle tendresse pour tout ce qu'il peignit, choses et gens.
Il mit non seulement tout son savoir, qui était grand, mais aussi tout son amour à les décrire.
Pour employer un terme fort à la mode, il « s'engagea» en les peignant.
Si objective soit-elle,
dans sa discrétion
et sa pudeur, son œuvre n'en est pas moins autobiographique, précisément
par tout ce qu'il y mit de ses affinités, de ses préférences personnelles.
Sans le savoir et sans le
vouloir,
il s'y confesse tout entier, Français moyen, Parisien de naissance et d'élection, artisan
probe,
bon mari et bon père, homme d'intérieur, un peu borné peut-être, très simple, sans grande
ambition, si ce n'est celle, combien méritoire, de faire consciencieusement, avec beaucoup d'ap
plication et de soin, son œuvre volontairement limitée.
Occupé tantôt à peindre dans son inté
rieur, tantôt à flâner dans les rues, il n'a cure que de ce qui frappe directement son regard.
C'est
même cette incapacité, ou ce refus, de suppléer à la nature, qui étonna le plus ses contemporains,
habitués à plus de fantaisie, à
une mise en scène plus grandiose ou plus plaisante.
En effet, comme
il lui était impossible d'impro.viser ou d'inventer, il fallait
que Chardin eût constamment devant
les yeux les choses ou les hommes qu'il se proposait, non point d'imiter, comme l'écrit Mariette,
mais
d'interpréter.
Et cependant, on lui fait tort en admettant que son art se limite à la repro
duction platement naturaliste des personnages ou des objets choisis par lui.
Un artiste emploie
souvent
autant d'imagination à combiner sur un bout de toile une nature morte qui se tienne
en équilibre, à évoquer à petite échelle
une scène d'intérieur du plus judicieux effet, qu'à créer
d'énormes tableaux historiques ou mythologiques.
Mais il y a plus:
jamais Chardin, ce soi-disant
réaliste,
ne s'est borné, en fait, à rendre uniquement l'aspect extérieur de la vie.
Par l'émo
tion même, si paisible soit-elle, dont il enveloppe son univers, il recrée celui-ci.
Au réel, il ajoute,
sciemment ou non, l'irréel, grâce à
tout ce que son œuvre comporte de pénétration un peu mysté
rieuse, de sublime occulte.
Au demeurant, pour nous toucher, un artiste n'a pas besoin de re
courir à l'imagination et à la pensée, à la mise en scène, aux sujets grandioses, aux effets puissam
ment décoratifs.
Et nous ne croyons plus à la hiérarchie des genres.
C'est en tant que peintre, par.
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