Chabane dans la Princesse de Montpensier
Publié le 29/04/2021
Extrait du document
«
Le prince de Montpensier, dans sa plus tendre jeunesse, avait fait une amitié très particulière avec le
comte de Chabanes, qui était un homme d'un âge beaucoup plus avancé que lui et d'un mérite
extraordinaire .
Ce comte avait été si sensible à l'estime et à la confiance de ce jeune prince, que,
contre les engagements qu'il avait avec le prince de Condé, qui lui faisait espérer des emplois
considérables dans le parti des huguenots, il se déclara pour les catholiques, ne pouvant se résoudre
à être opposé en quelque chose à un homme qui lui était si cher .
Ce changement de parti n'ayant
point d'autre fondement, l'on douta qu'il fût véritable, et, la reine mère, Catherine de Médicis, en eut
de si grands soupçons que, la guerre étant déclarée par les huguenots, elle eut dessein de le faire
arrêter, mais le prince de Montpensier l'en empêcha et emmena Chabanes à Champigny en s'y en
allant avec sa femme.
Le comte, ayant l'esprit fort doux et fort agréable, gagna bientôt l'estime de la
princesse de Montpensier, et en peu de temps, elle n'eut pas moins de confiance et d 'amitié pour lui
qu'en avait le prince son mari
Chabanes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté , d 'esprit et de vertu qui paraissaient
en cette jeune princesse, et, se servant de l'amitié qu'elle lui témoignait , pour lui inspirer des
sentiments d'une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance , il la rendit en peu de
temps une des personnes du monde la plus achevée .
Le comte qui connaissait la sincérité de cette belle princesse et qui lui voyait d'ailleurs des
dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie , ne douta point de la vérité de ses paroles, et
néanmoins il ne put se défendre de tant de charmes qu'il voyait tous les jours de si près.
Il devint
passionnément amoureux de cette princesse , et, quelque honte qu'il trouvât à se laisser surmonter, il
fallut céder et l'aime r de la plus violent e et de la plus sincère passion qui fût jamais.
S'il ne fut pas
maître de son cœur , il le fut de ses actions.
Le changement de son âme n'en apporta point dans sa
conduite et personne ne soupçonna son amour .
Il prit un soin exact, pendant une année entière, de
le cacher à la princesse , et il crut qu'il aurait toujours le même désir de le lui cacher.
L'amour fit en lui
ce qu'il fait en tous les autres, il lui donna l'envie de parler et, après tous les combats qui ont
accoutumé de se faire en pareilles occasions, il osa lui dire qu'il l 'aimait , s'étant bien préparé à
essuyer les orages dont la fierté de cette princesse le menaçait.
Mais il trouva en elle une tranquillité
et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs à quoi il s'était attendu .
Elle ne prit pas la peine
de se mettre en colère contre lui.
Elle lui représenta en peu de mots la différence de leurs qualités et
de leur âge, la connaissance particulière qu'il avait de sa vertu et de l'inclination quelle avait eue pour
le duc de Guise, et surtout ce qu'il devait à l'amitié et à la confiance du prince son mari.
Le comte
pensa mourir à ses pieds de honte et de douleur.
Elle tâcha de le consoler en l'assurant qu'elle ne se
souviendrait jamais de ce qu'il venait de lui dire , qu'elle ne se persuaderait jamais une chose qui lui
était si désavantageuse et qu'elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami .
Ces
assurances consolèrent le comte, comme on se le peut imaginer.
Il sentit le mépris des paroles de la
princesse dans toute leur étendue, et, le lendemain, la revoyant avec visage aussi ouvert que de
coutume, son affliction en redoubla de la moitié .
Le procédé de la princesse ne la diminua pas.
Elle
vécut avec lui avec la même bonté qu'elle avait accoutumé.
Elle lui reparl a, quand l'occasion en fit
naître le discours , de l'inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et, la renommée
commençant alors à publier les grandes qualités qui paraissaient en ce prince, elle lui avoua qu'elle
en sentait de la joie et qu'elle était bien aise de voir qu'il méritait les sentiments qu'elle avait eus
pour lui.
Toutes ces marques de confiance , qui avaient été si chères au comte, lui devinrent
insupportable s.
Il n'osait pourtant le témoigner à la princesse , quoiqu'il osât bien la faire souvenir
quelquefois de ce qu'il avait eu la hardiesse de lui dire.
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