César Vallejo
Publié le 09/12/2021
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César Vallejo 1892-1938 La biographie d'un écrivain n'est pas faite, ou tout au moins n'est pas seulement faite, de ses actes externes. On serait même tenté de penser que les écrivains, dont nous connaissons variété d'anecdotes, ne sont généralement pas les plus profonds. En tout cas un poète, s'il est vrai poète, n'est jamais anecdotique. Il faut, certainement, préciser quelques faits. César Vallejo est né au Pérou. La poésie de l'Amérique hispanique était dominée, pendant la première jeunesse de Vallejo, par les poètes du Modernismo. Le Modernismo, qui avait donné quelques grands écrivains (Rubén Darío, Leopoldo Lugonnes, Amado Nervo), signifiait la pénétration du symbolisme français — aussi, souvent, du parnassianisme — dans la poésie de langue espagnole. Les fadeurs du romantisme étaient remplacées par les nouveaux rythmes, les nouvelles combinaisons d'images, le chromatisme parfois délirant. Cependant, vers les années de1915 à 1920, le Modernismo était déjà en pleine décadence, devenu une poésie de princesses irréelles, de lacs nordiques déracinés de la vie et des hommes d'Amérique. Lorsque Vallejo publia son premier livre (Los Heraldos negros, 1918), la réaction contre le Modernismo avait déjà commencé — Juan Ramón Jiménez en Espagne, Enrique Gonzáles Martínez au Mexique cherchaient à la fois une expression poétique plus directe, plus pure, plus immédiate. Le premier livre de Vallejo, où l'on pourrait trouver encore certains éléments de Modernismo, est cependant un livre nouveau qui ouvre les possibilités à une expression à la fois liée à la terre et à la vie intérieure. Vallejo ne resta pas longtemps au Pérou. Il voyagea en Europe, vécut à Paris, participa à la guerre d'Espagne, fit un voyage en U.R.S.S., adhéra au Parti communiste, et il mourut là où il savait qu'il allait mourir ("me moriré en Paris con aguacero") le Vendredi saint, 15 avril 1938. L'œuvre de Vallejo comprend, en plus de Los Heraldos negros, Trilce (1922) et Poemas humanos, volume posthume dédié dans sa plus grande partie à la guerre d'Espagne.
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César Vallejo1892-1938
La biographie d'un écrivain n'est pas faite, ou tout au moins n'est pas seulement faite, de ses actes externes.
On serait même tenté depenser que les écrivains, dont nous connaissons variété d'anecdotes, ne sont généralement pas les plus profonds.
En tout cas un poète,s'il est vrai poète, n'est jamais anecdotique.
Il faut, certainement, préciser quelques faits.
César Vallejo est né au Pérou.
La poésie de l'Amérique hispanique était dominée, pendantla première jeunesse de Vallejo, par les poètes du Modernismo.
Le Modernismo, qui avait donné quelques grands écrivains (Rubén Darío,Leopoldo Lugonnes, Amado Nervo), signifiait la pénétration du symbolisme français — aussi, souvent, du parnassianisme — dans lapoésie de langue espagnole.
Les fadeurs du romantisme étaient remplacées par les nouveaux rythmes, les nouvelles combinaisonsd'images, le chromatisme parfois délirant.
Cependant, vers les années de1915 à 1920, le Modernismo était déjà en pleine décadence,devenu une poésie de princesses irréelles, de lacs nordiques déracinés de la vie et des hommes d'Amérique.
Lorsque Vallejo publia sonpremier livre (Los Heraldos negros, 1918), la réaction contre le Modernismo avait déjà commencé — Juan Ramón Jiménez en Espagne,Enrique Gonzáles Martínez au Mexique cherchaient à la fois une expression poétique plus directe, plus pure, plus immédiate.
Le premierlivre de Vallejo, où l'on pourrait trouver encore certains éléments de Modernismo, est cependant un livre nouveau qui ouvre les possibilitésà une expression à la fois liée à la terre et à la vie intérieure.
Vallejo ne resta pas longtemps au Pérou.
Il voyagea en Europe, vécut à Paris, participa à la guerre d'Espagne, fit un voyage en U.R.S.S.,adhéra au Parti communiste, et il mourut là où il savait qu'il allait mourir ("me moriré en Paris con aguacero") le Vendredi saint, 15 avril1938.
L'oeuvre de Vallejo comprend, en plus de Los Heraldos negros, Trilce (1922) et Poemas humanos, volume posthume dédié dans saplus grande partie à la guerre d'Espagne.
Lorsque nous pensons à l'oeuvre de Vallejo, notre tendance immédiate est de la classifier: poète social, poète révolté.
Vallejo a été, eneffet, un poète social et un poète de la révolte.
Mais ce qu'il ne fut jamais c'est le genre de poète social dont les propagandes politiques— de gauche, de droite ou de centre — veulent faire un symbole.
C'est dire que Vallejo n'a jamais fait de propagande, dire aussi queVallejo n'a jamais été didactique, moralisant ou pamphlétaire.
Il était beaucoup trop homme, beaucoup trop grand poète pour cela.
I1savait que la vraie révolte est chose intime, personnelle, qui se trouve enracinée dans la chair et dans l'âme, ou, pour le dire avec le motd'Unamuno, dans le coeur même de "l'homme en chair et en os".
C'est que Vallejo se sent triplement incarné: dans un corps, dans lecorps de l'humanité, dans les racines mêmes de ce corps qui est sa terre natale.
Et c'est de cette triple incarnation que naissent lessentiments, les violences amoureuses de toute sa poésie: la mort, la douleur, la compassion qui est amour.
Incarnation dans sa terre, d'abord.
Vallejo, comme au Mexique cet autre grand poète que fut Ramón López Velarde, ne connaît passeulement son pays, mais il a le Pérou dans l'âme et dans la chair.
I1 est vrai que dans Trilce on sent parfois le poète baroque, doubléde créationisme, de surréalisme, d'ultraïsme.
Mais c'est aussi dans ce même livre qu'il parle à Aguedita, à Nativa, à Miguel, enfantsconstructeurs de bateaux réels dans un paysage réel de ruisseaux et de basse-cour.
I1 serait faux de penser que Vallejo fut un poèterégionaliste.
I1 fut un poète de sa terre et, par là, de la Terre, c'est-à-dire de toutes les terres et, surtout, de tous les hommes.
I1 fut,peut-être surtout, un poète religieux, un de ces poètes qui ont perdu la transcendance mais qui, par-delà la douleur et la mort, cherchentun absolu parmi les hommes.
On a parfois comparé la poésie de Vallejo à un grand cri.
La comparaison est exacte pourvu que l'on pense que ce cri n'est pas seulementun cri de désespoir.
I1 est certainement un poète de la violence (une violence qui ne va pas sans nostalgie):
Il y a des coups, dans la vie, si violents...
Je ne sais pas ! Des coups comme le courroux de Dieu, comme si devant eux le ressac de toutela souffrance s'engouffrait au plus profond de l'âme...
I1 est aussi, certainement, et avec une certitude de style inégalée, un poète de la mort — de "sa" mort qui devient "notre" mort:
Pour mourir seulement, devons- nous mourir à chaque instant
Mais dans ce même sentiment de la mort — sa mort, notre mort — il existe déjà un sentiment de communauté et un besoin — non pasune croyance — de survivre.
Dans quels faits, dans quels symboles peut-on dire que Vallejo a cherché et peut-être trouvé cette survivancedésirée, voulue de toute la volonté des forces charnelles et spirituelles ? C'est ici que les images religieuses acquièrent leur sens.
Lapremière de ces images, c'est celle du Christ.
C'est "notre pain quotitidien" qu'il cherche dans le Christ, image pour lui beaucoup plus del'amour que d'une justice sociale abstraite.
Et c'est à la présence de l'Espagne ("Espagne, éloigne de moi ce calice"), que Vallejo sents'unir son sentiment amoureux (de cet amour violent et tendre qui fut le sien) et son sens à la fois humanitaire et chrétien.
C'est alors,seulement alors, que ce poète dominé par le cri, l'angoisse et la mort, devient prophétique, dans les prophéties qui sont des échos desanciens prophètes bibliques:
...
Et les aveugles, sur le retour, verront ! Et les sourds, le coeur battant, entendront ! Les ignorants seront savants, les sages serontignorants ! Ils seront donnés, les baisers que vous n'avez pu donner ! Seule la mort mourra.
Vallejo fut un des grands poètes tragiques de notre temps.
De "notre" temps, sans doute, car Vallejo, cet homme qui cherchait toujoursune porte ouverte vers la permanence, se sentit forcé à renoncer à cette permanence et à l'affirmer dans les actes, dans les fruits deshommes sur cette terre.
Mais s'il fut un poète tragique, il n'en garde pas moins, comme une source permanente de renouvellement, lesouvenir de ses racines, un souvenir chez lui toujours présent.
A trois mois de sa mort, dans ce Paris où il se sentait destiné à mourir,Vallejo se souvient de cette permanence que fut sa terre péruvienne.
C'est là que le dernier déracinement vient à son âme quand il voitque tous sont morts.
"Madame Antonia à la voix rauque"...
"L'abbé Santiago qui aimait à s'entendre salué par les garçons et les filles etqui répondait à tous, sans aucune distinction: bonjour José ! bonjour Maria !"; "la jeune et blonde Carlota, laissant un enfant de troismois"; "la tante Albina qui avait coutume de chanter les modes d'antan et les jours d'autrefois"...
Dans ce monde où la mort vient envahirl'esprit de Vallejo, il se sent, il se sait maintenant mourir.
I1 sait aussi que son désir de permanence a été un songe, il sait que: "Monéternité est morte et je la veille.".
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