Carnets d'un chasseurIvan TourguenievTatiana Borissovna et son neveu (extrait)L'amour de l'art et des artistes donne à ces gens-là une fadeur inexplicable ;converser avec eux est un supplice : on dirait une bûche enduite de miel !
Publié le 23/05/2020
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Carnets d'un chasseur
Ivan Tourgueniev
Tatiana Borissovna et son neveu (extrait)
L'amour de l'art et des artistes donne à ces gens-là une fadeur inexplicable ;
converser avec eux est un supplice : on dirait une bûche enduite de miel ! Jamais, par
exemple, ils ne parleront de Raphaël ou du Corrège en d'autres termes que : “ le
divin Sanzio, l'inimitable Allegri ”.
Il traitent de “ génie ” le talent le plus ordinaire,
le plus vain, le plus emprunté, le plus médiocre ; le ciel bleu de l'Italie, les citronniers
du Midi, les effluves embaumés de la Brenta reviennent sans cesse sur leurs lèvres.
“ Ah ! Vassia, Vassia ! ” ou bien : “ Ah ! Sacha, Sacha ! ” se disent-ils l'un à l'autre
d'une voix attendrie.
“ C'est dans le Midi que nous devrions vivre… Nous sommes
Grecs dans l'âme, des Grecs d'autrefois ! ” Il faut les voir aux expositions, arrêtés
devant les œuvres de certains peintres bien russes.
(Il est à remarquer que la plupart
de ces messieurs sont grands patriotes.) Ils reculent de deux pas, penchent la tête, se
rapprochent du tableau ; leurs petits yeux s'embrument d'attendrissement.
“ Ah !
mon Dieu, s'écrient-ils enfin d'une voix brisée par l'émotion, que de sentiment, que
de c œur ! Que d'âme il a mis là dedans, quelle profondeur ! Et comme c'est conçu !
C'est vraiment une œuvre de maître ! ” Et si vous saviez quelles toiles décorent leurs
salons ; quels artistes viennent le soir prendre le thé chez eux et prêter l'oreille à
leurs propos ! De quels tableaux il leur est fait hommage : des vues de leur propre
appartement en perspective, avec, au premier plan à droite, un balais, un petit tas de
poussière sur le parquet luisant, un samovar jaune sur une table près de la fenêtre, et
le maître du logis lui-même en calotte et robe de chambre, un rai de lumière sur la
joue ! Quels poètes chevelus, au sourire fébrile et dédaigneux, hantent leur logis !
Quelles jeunes filles au teint blême s'égosillent à leurs pianos !… Car nous autres
Russes ne saurions nous contenter d'un seul art, il nous les faut tous.
Il n'y a donc
rien d'étonnant à ce que les amateurs protègent aussi la littérature russe, surtout la
littérature dramatique… C'est pour eux que sont écrits les Jacopo Sannazar ; la lutte,
mille fois dépeinte, du talent méconnu avec le monde, avec l'univers entier, les fait
tressaillir jusqu'au tréfonds de l'être..
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